Le télescope James Webb dévoile le plus ancien trou noir supermassif jamais observé

D'une masse environ 9 millions de fois supérieure à celle du Soleil, le trou noir repéré par le télescope James Webb existait déjà 570 millions d'années après le Big Bang. Une découverte qui pourrait nous aider à comprendre l'évolution de l'Univers.

De Charles Q. Choi
Publication 13 juil. 2023, 17:46 CEST
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Cette image recadrée capturée par le télescope spatial James Webb fait partie de l'étude Cosmic Evolution Early Release Science (CEERS), qui a permis de révéler certains des trous noirs et galaxies les plus anciens jamais observés.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, Agence Spatiale Européenne, CSA, Steve Finkelstein (UT Austin), Micaela Bagley (UT Austin), Rebecca Larson (UT Austin)

D’une masse d’environ 9 millions de fois celle du Soleil, un trou noir géant qui occupait déjà le centre d’une galaxie dans les premiers temps de l’existence de notre Univers, au moins 570 millions d’années après le Big Bang, a été détecté par le télescope spatial James Webb (JWST). Avec les découvertes semblables qui devraient continuer à voir le jour, cette observation pourrait, selon les chercheurs, contribuer à expliquer comment ces mastodontes ont pu apparaître si tôt dans l’histoire du cosmos.

Au fil des décennies, les scientifiques ont identifié deux types de trous noirs : les trous noirs stellaires et les trous noirs supermassifs. En moyenne, les trous noirs stellaires sont cinq à dix fois plus massifs que notre Soleil ; leur naissance serait le résultat de la mort d’une étoile qui, en s’effondrant sur elle-même, provoquerait une explosion (connue sous le nom de supernova) conduisant à la formation d’un trou noir. Les trous noirs supermassifs, quant à eux, ont une masse de plusieurs millions à plusieurs milliards de fois celle du Soleil et forment le cœur de la plupart, si ce n’est de la totalité, des grandes galaxies de l’Univers.

Bien qu’il ne soit pas absurde d’imaginer que les trous noirs supermassifs sont en réalité des trous noirs stellaires qui ont grandi en se nourrissant continuellement pendant de longues périodes, les astronomes ont détecté l’existence de trous noirs présentant une masse plus d’un milliard de fois supérieure à celle du Soleil, formés moins d’un milliard d’années seulement après le Big Bang, révèle Steven Finkelstein, astrophysicien à l’Université du Texas à Austin. Le processus complexe qui leur a permis d’atteindre des tailles aussi énormes en si peu de temps demeure une énigme pour les spécialistes.

« C'est l’un des problèmes majeurs de l’astronomie moderne », affirme Masafusa Onoue, astronome à l’Institut Kavli pour l’astronomie et l’astrophysique de l’Université de Pékin.

Pour résoudre cette énigme, les scientifiques étudient la lumière produite au cours des 13,7 milliards d’années depuis la création de l’Univers. Néanmoins, après un si long voyage pour arriver jusqu’à nous, la lumière peut être obscurcie par la présence de poussières, ce qui rend donc difficile l’observation des trous noirs très anciens.

Situé dans une galaxie appelée CEERS 1019, le trou noir en question a été découvert dans le cadre d’une étude approfondie des galaxies connue sous le nom de Cosmic Evolution Early Release Science (CEERS). Accompagné de deux autres trous noirs supermassifs anciens, l’objet a été décrit dans un article publié récemment dans la revue Astrophysical Journal Letters.

Lorsqu’elle voyage depuis des galaxies lointaines vers la Terre, la lumière se décale vers l’infrarouge et voit sa longueur d’onde s’allonger. L’étude CEERS propose une analyse des données rapportées par les instruments infrarouges ultrasensibles du JWST, et ce afin de repérer des trous noirs anciens, qui étaient trop peu visibles pour les télescopes précédents.

C’est en recherchant des noyaux galactiques extraordinairement brillants que les astronomes sont parvenus à détecter le trou noir de CEERS 1019. Des recherches antérieures avaient en effet suggéré qu’il était probable que ces noyaux actifs de galaxie (NAG) soient en réalité des trous noirs qui libèrent de grandes quantités d’énergie lorsqu’ils accrètent de la matière.

Compte tenu de la rareté supposée jusqu’alors de ces trous noirs anciens, « j’ai été vraiment surpris de constater que les observations de la première année du JWST ont permis de découvrir un bon nombre de trous noirs actifs… qui datent du premier milliard d’années de l’Univers », admet Onoue, qui n’a pas participé à ces nouvelles recherches.

 

LA FORMATION DES TROUS NOIRS

Le trou noir de CEERS 1019 pourrait non seulement être le plus ancien, mais aussi le plus petit jamais détecté dans l’Univers primordial. La plupart des trous noirs de cette époque présentent une masse supérieure à 1 milliard de fois celle du Soleil. Le trou noir de CEERS 1019, quant à lui, ressemble davantage au trou noir situé au centre de notre galaxie, la Voie lactée, dont la masse n’est que de quelques millions de fois supérieure à celle du Soleil.

« Nous estimions que des trous noirs de faible masse devaient exister dans les galaxies primitives, mais je ne pensais pas que ces observations nous permettraient de les trouver », confie Dale Kocevski, membre de l’équipe de la CEERS et astrophysicien au Colby College de Waterville, dans le Maine. « Le plus surprenant, pour moi, c’est que le JWST se soit avéré encore plus sensible que nous l’espérions. »

Que se passe-t-il à l'intérieur d'un trou noir ?

L’étude CEERS a permis de détecter deux autres trous noirs qui existaient 1 milliard et 1,1 milliard d’années après le Big Bang, dans les galaxies CEERS 746 et CEERS 2782, respectivement. Ces trous noirs sont relativement légers, avec une masse de seulement 10 millions de fois la masse solaire, environ.

Le trou noir de CEERS 2782 était plutôt facile à repérer, car aucune poussière n’obscurcissait la vue du JWST. Le disque d’accrétion brillant qui entoure le trou noir de CEERS 746, quant à lui, était partiellement obscurci par de la poussière, ce qui suggère qu’il pourrait se trouver dans une galaxie qui produit de nombreuses étoiles, explique Kocevski.

Dans CEERS 1019, l’équipe a détecté du gaz en mouvement extrêmement rapide qui, selon elle, ne peut provenir que de la région environnante d’un trou noir supermassif. « La signature du gaz en mouvement rapide que nous observons n’est pas extrêmement solide. Nous avons donc effectué des simulations approfondies afin de quantifier nos incertitudes, et sommes parvenus à un niveau de certitude de 95 % quant à la détection de cette caractéristique. Il sera assez facile d’accroître l’importance de ce signal avec de futures observations. »

Certains scientifiques pensent que les trous noirs supermassifs de l’Univers primordial sont le fruit de la fusion d’éléments plus petits ; et ces nouveaux objets correspondent à cette prédiction. Pourtant, la grande taille du trou noir de CEERS 1019 reste difficile à expliquer.

Selon Finkelstein, qui a dirigé l’étude du CEERS, il est possible que les trous noirs supermassifs soient nés de l’effondrement d’énormes nuages de gaz présentant une masse de 10 000 à 1 million de fois celle du Soleil, et qui existaient avant l’apparition des galaxies. Une autre hypothèse propose que ces trous noirs soient le fruit de supernovas d’étoiles géantes, présentant une masse jusqu’à 100 fois celle du Soleil environ, et qu’ils se soient ensuite développés à un rythme étonnamment rapide.

« Dans un cas comme dans l’autre, nous apprenons quelque chose que nous ne savions pas auparavant », se réjouit Kocevski. « Si la première hypothèse est vraie, nous avons appris quelque chose sur ce qui a précédé les galaxies. Et dans le second cas, nous savons qu’il y a encore un élément que nous ne comprenons pas concernant la croissance des trous noirs. »

Zoltan Haiman, astrophysicien à l’Université Columbia de New York, qui n’a pas participé à cette étude, ajoute que ces deux modèles ne prédisent pas le même nombre de trous noirs ayant existé dans les 600 millions d’années qui ont suivi le Big Bang. En découvrir d’autres pourrait bien aider à résoudre l’énigme.

« Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a certainement d’autres objets de ce type à trouver, et que l’augmentation de la taille de l’échantillon et la recherche dans des temps plus anciens nous permettront de déterminer laquelle de ces théories est la bonne », explique Finkelstein.

 

À LA RECHERCHE DE TROUS NOIRS PLUS ANCIENS

D’autres éléments indiquant la présence de trous noirs primordiaux ont commencé à apparaître. Une équipe pourrait bien avoir identifié un NAG situé dans la galaxie UHZ1, qui daterait d’environ 450 millions d’années après le Big Bang, tandis que la JWST Advanced Deep Extragalactic Survey (JADES) pourrait avoir découvert un NAG dans la galaxie GN-z11, qui daterait quant à lui d’environ 430 millions d’années après le Big Bang, décrit Kevin Hainline, astronome à l’Université de l’Arizona à Tucson et membre de l’équipe JADES.

« Ces records ne le seront pas très longtemps. C’est une bonne chose ! » ajoute Hainline. « Nous ne voyons que le début de ce qui est une grande richesse de trous noirs supermassifs en croissance active dans l’Univers primordial. »

L’étude CEERS a également identifié 11 galaxies candidates lointaines qui existaient déjà alors que l’Univers n’était âgé que de 470 millions à 675 millions d’années : une découverte inattendue, les scientifiques ayant estimé que le JWST détecterait moins de galaxies à de telles distances. Ces nouvelles galaxies formant des étoiles à un rythme rapide, les chercheurs espèrent qu’elles pourraient nous éclairer quant à l’évolution des galaxies au fil de l’histoire cosmique.

Il est intéressant de noter que les trous noirs supermassifs primordiaux repérés dans le cadre de travaux antérieurs éclipsaient tous les galaxies dans lesquels ils se trouvaient. Les nouveaux objets, de leur côté, ont été découverts dans des galaxies qui avaient déjà été détectées, reprend Haiman.

« Cela signifie que, pour une raison quelconque, la situation est inversée : les petits trous noirs sont moins lumineux que les galaxies qui les accueillent, et lorsqu’ils se transforment en trous noirs plus massifs, ils deviennent beaucoup plus lumineux que les galaxies qui les accueillent. Cette découverte indique que les galaxies hôtes connaissent donc une croissance plus lente que celle des trous noirs, ce qui nous permet ainsi de mieux comprendre l’évolution de ces objets. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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