Théorie de la forêt sombre : et si les extraterrestres ne souhaitaient tout simplement pas nous rencontrer ?

Cette théorie n’est qu’une explication parmi d’autres pour tenter d'expliquer l'absence de contact avec une intelligence extraterrestre, alors que l’humanité est jeune et que l’Univers est ancien.

De Robin George Andrews
Publication 27 mai 2024, 11:13 CEST
Se pourrait-il qu’une civilisation extraterrestre avancée se cache près de NGC 604, nébuleuse du Triangle immortalisée ici ...

Se pourrait-il qu’une civilisation extraterrestre avancée se cache près de NGC 604, nébuleuse du Triangle immortalisée ici par le télescope spatial James-Webb ? Depuis longtemps, les astronomes se demandent pourquoi nous n’avons pas encore rencontré de civilisations extraterrestres alors que l’humanité est jeune et que l’Univers est ancien : une énigme qu’on appelle paradoxe de Fermi.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, CSA, STScI

Le célèbre paradoxe de Fermi intrigue les astronomes depuis plus d’un demi-siècle. Résumons-le succinctement : si le cosmos est vieux de près de 14 milliards d’années, où sont les sociétés interstellaires ? Pourquoi n’ont-elles pas fait un saut pour nous dire bonjour ? Si de nombreuses solutions à cette énigme ont été proposées, aucune n’est plus effrayante que la théorie dite de la forêt sombre.

Selon cette hypothèse, si nous ne pouvons pas voir ces civilisations extraterrestres, c’est parce qu’elles se cachent. Contrairement à l’humanité, dont le voisinage galactique bruit des transmissions radio qu’elle émet, ces sociétés auraient toutes conclu qu’il est tout bonnement trop dangereux de diffuser sa propre localisation à de potentiels voisins hostiles.

Voilà une idée qui refroidit, mais une idée qui néanmoins attire de plus en plus l’attention depuis qu’elle a été exposée dans l’adaptation par Netflix du Problème à trois corps, trilogie littéraire de l’auteur chinois Liu Cixin. S’agit-il pour autant d’une solution plausible au paradoxe de Fermi ? Selon les spécialistes, parmi toutes les hypothèses formulées, la théorie de la forêt sombre semble avoir moins de chances que d’autres d’être correcte.

On peut tout à fait envisager que des civilisations extraterrestres intelligentes se cachent si elles le doivent. Mais il est improbable que toutes parviennent à une même conclusion motivée par la peur et qu’elles décident de se tapir dans le cosmos.

« Nous n’observons même pas ce comportement-là dans d’autres cultures sur Terre », tempère Moiya McTier, astrophysicienne, autrice et folkloriste. Certaines civilisations extraterrestres pourraient se composer de membres agissant à l’unisson. Mais d’autres pourraient être constituées de groupes divergents aux comportements distincts, dont certains pourraient s’avérer plus ou moins agressifs ou pacifistes, et plus ou moins curieux ou sujets à la réclusion. Si l’un d’eux daigne nous faire signe, alors nous verrons la lumière d’un feu de camp poindre dans la forêt sombre.

Mais en théorie, tout est possible, car nous ne disposons pas de preuves de l’existence d’une vie extraterrestre. Peut-être que tout le monde est en effet en train de se cacher. Peut-être y a-t-il réellement une menace qui rôde dans les grands espaces, quelque part dans l’obscurité. Et peut-être que l’humanité ne s’en n’est pas encore rendu compte.

 

ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA THÉORIE DE LA FORÊT SOMBRE

Le paradoxe de Fermi fut soulevé de manière informelle par le physicien Enrico Fermi un midi de 1950 lors d’une discussion à la cafétéria de son laboratoire. S’il comporte de nombreuses nuances, en son cœur se trouve cette prémisse fondamentale : le Système solaire n’a que 4,6 milliards d’années, tandis que l’Univers est vieux de 13,8 milliards d’années. Cela laisse suffisamment de temps à la vie d’autres planètes de se développer et de former des sociétés technologiquement avancées, le type de civilisations susceptibles de mettre les voiles sur les océans du cosmos et d’établir des avant-postes ou de nouvelles sociétés sur une multitude de mondes.

Mais nous n’avons jamais décelé de traces de ces civilisations. Alors où sont-elles ?

De quoi pourraient être capables les civilisations extraterrestres les plus évoluées ?

« Il existe une multitude de solutions possibles au paradoxe de Fermi, qui se chevauchent d’ailleurs », affirme Moiya McTier. L’espace est-il tout simplement trop vaste pour que des civilisations extraterrestres aient eu le temps d’atteindre la Terre ? S’anéantissent-elles toutes avant de devenir des civilisations interstellaires ? Sommes-nous la seule civilisation technologiquement avancée dans notre coin du ciel ? L’apparition de la vie est-elle en fait prodigieusement rare ?

« Tout ce que le paradoxe de Fermi dit est que les civilisations sont rares. Il ne nous dit pas pourquoi elles le sont », souligne Ian Crawford, planétologue et astrobiologiste à l’Université de Londres-Birkbeck. « L’une des solutions est : oui, elles sont toutes là, mais elles se cachent. Si elles se trahissent, quelqu’un va venir pour les anéantir. »

Cela fait des décennies que l’idée que ces extraterrestres voyageurs soient simplement réticents au fait de révéler leur existence imprègne les récits de science-fiction. C’est dans La Forêt Sombre, deuxième roman de la trilogie, paru en 2008, que Liu Cixin donne à l’hypothèse son nom accrocheur. Il y décrit l’Univers comme une forêt sombre où chaque civilisation extraterrestre est semblable à un chasseur craintif et armé avançant avec précaution. Si ce chasseur découvre « une autre créature vivante – un autre chasseur, un ange ou un démon, un bébé sans défense ou un vieillard boiteux, une magnifique jeune fille ou un magnifique jeune homme, il n’a qu’un seul choix : ouvrir le feu et l’éliminer. Dans cette forêt, l’enfer c’est les autres. »

Être ainsi craintif comporte des avantages du point de vue de l’évolution : nous sursautons en entendant un bruit étrange dans la nuit, et bien que celui-ci ne soit pas cette fois-ci signe de danger, notre attention nous sauvera peut-être la vie la fois où la menace sera bel et bien là.

« On ne peut pas nier qu’il y a une prime à la survie dans le fait d’être agressif », prévient Seth Shostak, astronome à l’Institut de recherche d’intelligence extraterrestre (SETI), en Californie. Éliminez préventivement la concurrence, et vous dormirez mieux tout en vous garantissant des ressources supplémentaires. L’histoire de l’humanité, comme son présent aussi d’ailleurs, sont émaillés d’illustrations sinistres de ce fait.

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    Le télescope spatial Hubble a pris cet aperçu instantané de centaines de milliers d’étoiles se déplaçant dans le Grand Amas d’Hercule (Messier 13), l’un des amas globulaires les plus brillants et les plus célèbres du ciel septentrional. S’il s’avère que des civilisations extraterrestres existent, il est, selon les spécialistes, peu probable qu’elles se tapissent dans l’ombre ainsi que le suggère la théorie de la forêt sombre.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (STScI, AURA)

     

    ARGUMENTS QUI RÉFUTENT LA THÉORIE DE LA FORÊT SOMBRE

    Heureusement, la théorie de la forêt sombre souffre d’une multitude de lacunes difficiles à résoudre : la plus évidente étant qu’il est extraordinairement difficile de dissimuler un monde technologiquement avancé.

    Bien avant que la quête de vie extraterrestre ne devienne une discipline scientifique mondiale, les signaux radio dus aux communications intra-espèce quotidiennes des Terriens se diffusaient déjà dans le cosmos ; chose qu’une civilisation extraterrestre voisine souhaitant trouver un nouvel allié ou une proie fraîche pourrait facilement repérer.

    L’analogie de la forêt tombe également à l’eau lorsque l’on prend en compte la véritable nature de l’Univers, voire même simplement celle de notre gigantesque galaxie. Les bois peuvent sembler vastes et infinis dans l’obscurité, mais ce n’est rien comparé à l’immensité de l’espace.

    La Terre, quant à elle, a déjà fait part de son existence à l’Univers. En novembre 1974, nous avons diffusé cette image (nommée « message d’Arecibo ») en direction de l’amas globulaire M13. Son message binaire, destiné à des potentielles sociétés extraterrestres, contient des informations sur la Terre : notre système de numérotation (orange-rouge), les formules de divers éléments (violet), la population de la Terre (fuschia) et, bien sûr, une silhouette humaine (bleu outremer).

    PHOTOGRAPHIE DE Monica Schroeder, Science Source

    « Il y a peut-être des extraterrestres hostiles dans le cosmos », commente Seth Shostak. Mais les distances qui les séparent sont probablement incompréhensiblement grandes, si bien que l’idée qu’ils puissent éprouver le besoin de s’en prendre les uns les autres préventivement semble étrange. Même s’ils se craignaient les uns les autres, l’étendue qui les sépare fait qu’ils n’auraient vraisemblablement pas besoin de se livrer bataille pour accéder aux ressources ; chaque civilisation disposerait d’une réserve aux limites fort abstraites de mondes, d’astéroïdes et même d’étoiles à exploiter.

    Puisque les Terriens forment, de l’aveu général, une civilisation technologique jeune, bruyante et vulnérable, s’il y a des formes de vie intelligentes dans le cosmos, toutes ne peuvent pas être instinctivement agressives.

    « S’il y a tant de civilisations que cela, et que certaines sont en mesure de nous anéantir, alors il nous faut expliquer pourquoi ce n’est pas encore arrivé », explique Karim Jebari, chercheur à l’Institut de futurologie de Stockholm. « Peut-être qu’il existe un Empire galactique qui limite les hostilités ou bien peut-être qu’il est particulièrement difficile de se faire la guerre sur des distances interstellaires. »

    Ou alors, comme l’a récemment suggéré Karim Jebari dans un article, que les civilisations extraterrestres intelligentes sont parvenues à la même conclusion : qu’elles existent encore parce que d’autres civilisations extraterrestres avancées ont choisi de ne pas s’en prendre à elles, peut-être dans l’espoir d’entretenir un jour une entente mutuelle bénéfique. « Nous n’avons pas de raison de les attaquer avec une frappe préventive, explique Karim Jebari. S’ils sont intelligents… alors peut-être qu’ils pensent la même chose de nous. »

    Que toutes les formes de vie extraterrestre intelligente partagent l’instinct très humain de s’attendre au pire venant d’une entité inconnue est également un présupposé de taille.

    « Pour moi, [la forêt sombre] est l’une des solutions les moins convaincantes au paradoxe de Fermi, car elle s’appuie sur des présupposés anthropocentriques qui ne me semblent pas justes », tempère Moiya McTier. La peur est chose puissante. Mais la curiosité aussi.

     

    LE SCÉNARIO CAUCHEMARDESQUE

    Cela ne signifie pas forcément que la théorie de la forêt sombre est hors-course. Le problème réside dans le fait que la résolution des incohérences de la théorie nécessite l’accentuation du facteur terreur.

    « Le scénario cauchemardesque c’est, disons, que ceux qui se cachent ont raison de le faire, explique Ian Crawford. Imaginez qu’à un moment donné dans l’histoire de la galaxie, une civilisation technologique ait décidé que chaque fois qu’une planète abritant la vie ou une technologie était découverte, elle devait être détruite. »

    Dit autrement, si l’objectif est l’extermination pour l’extermination, alors la théorie de la forêt noire semble plus plausible. « Si quelque chose de ce genre a eu lieu dans l’histoire de la galaxie, alors oui, cela expliquerait le paradoxe de Fermi », affirme Ian Crawford.

    Donc en effet, peut-être que notre banlieue galactique est calme parce que l’apparition de la vie est un phénomène d’une extrême rareté. Peut-être nous sentons-nous seuls car les civilisations extraterrestres ont la mauvaise habitude de s’annihiler dès lors qu’elles découvrent quelque chose comme les armes atomiques.

    Ou bien, tout simplement, « nous ne les voyons pas car elles ne sont pas là », ainsi que le formule Ian Crawford, car une entité meurtrière va d’étoile en étoile pour éteindre tout signe de vie. « C’est la chose véritablement effrayante. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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