Empire romain : quelle est la véritable raison de son déclin ?

Au cours de l’Antiquité, royaumes et nations sombraient dans l’oubli alors que Rome demeurait forte. La chute de l'empire romain est si complexe que les historiens en débattent encore aujourd’hui.

De Jorge Pisa Sánchez
Publication 20 août 2025, 09:03 CEST
THE ROMAN FORUM

Le forum, cœur politique de l’histoire de Rome, les temples se dressaient parmi les infrastructures publiques. Au premier plan se tiennent les colonnes du temple de Saturne, qui abritaient le trésor public.

PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Saffo, Fototeca 9x12

Selon la légende, le premier dirigeant de Rome aurait été Romulus, frère jumeau de Rémus, tous deux élevés par une louve alors qu’ils n’étaient que des bébés. Mais ce dont les historiens sont certains, c’est que l’Empire romain d’Occident qui s’éleva de ce passé mythique, prit fin après 1 200 longues années d'hégémonie. Ce fut l’un des empires les plus durables de l'histoire, mais en 476 de notre ère, son dernier empereur, qui portait également le nom de Romulus - Romulus Augustulus - fut renversé.

Comment l’Empire romain d’Occident prit fin est une question qui taraude les historiens depuis des générations, nourrissant un débat qui ne semble jamais approcher de consensus. En 1984, l’historien allemand Alexander Demandt a dressé une liste de plus de 200 facteurs cités pour expliquer la chute de Rome, qu’on attribuait auparavant à une corruption interne. Dans sa grande œuvre, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain (parfois Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, suivant les dernières traductions), Edward Gibbon écrivit : « Le déclin de Rome était la conséquence naturelle et inévitable d’une grandeur immodérée. Dans la prospérité mûrissait la décadence, les causes de destruction se multipliaient avec chaque conquête et, dès que le temps ou l’accident eurent triomphé de ses soutiens artificiels, le remarquable tissu céda sous la pression de son propre poids (traduction libre). »

D’autres auteurs se tournèrent vers des raisons plus spécifiques. Certains se concentrèrent sur l’évolution de l’économie de Rome, stagnante depuis le 3e siècle apr. J.‑C. à cause de la surdépendance au travail des esclaves. La taille grandissante de la bureaucratie de l’Empire romain et de son armée sont susceptibles d’avoir contribué à son déclin. Leur coût de maintien sapait l’économie impériale et engendrait des augmentations d’impôts et de sérieux problèmes de corruption interne. Les conflits militaires qui faisaient rage et les guerres civiles qui s’ensuivirent éclatèrent au 3e siècle et ne furent pas innocentes dans la chute de l’Empire, affaiblissant son autorité centrale et menant à sa fragmentation ; il devint plus vulnérable aux menaces extérieures.

FORTUNES WON AND LOST

Bâtie au 2e siècle, au paroxysme de l’Empire romain, la somptueuse Villa dei Quintili, aux abords de Rome, est tombée en ruines au moment du déclin de la branche occidentale de l’Empire, au 4e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Guido Baviera, Fototeca 9x12

 

UN CHANGEMENT ENVIRONNEMENTAL

Ces dernières années, cependant, une nouvelle théorie fait parler d’elle et souligne les conséquences des changements climatiques et épidémiques. Dans un ouvrage publié en 2017, Kyle Harper, professeur de lettres classiques au sein de l’université de l’Oklahoma, propose une synthèse ambitieuse des causes du déclin de l’Empire romain. Il avance que « le sort de Rome a été décidé par les empereurs et les barbares, les sénateurs et les généraux, les soldats et les esclaves. Mais les bactéries et les virus, les volcans et les cycles solaires ont joué un rôle tout aussi important. Il s’agit d’une histoire où l’humanité et l’environnement sont indissociables. »

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    SEEDS OF DESTRUCTION

    Les récoltes issues de l’agriculture romaine dépendaient d’une population en bonne santé et reposaient sur la stabilité du climat. Cette mosaïque du 2e siècle découverte dans une villa romaine à Cherchell, en Algérie, montre les phases de semaison et de labour. Elle fait partie d’un plus grand thème sur l’abondance. Musée national public de Cherchell.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    Kyle Harper et d’autres experts ont collecté des données climatologiques et épidémiologiques, ouvrant de nouvelles voies de recherche dans l’étude du passé. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que le déclin de l’Empire romain s’amorça durant la période que l’on connaît sous le nom d’optimum climatique romain, qui s’étendit entre environ 550 av. J.‑C. et 150 apr. J.‑C. Cette époque était marquée par des conditions climatiques tempérées et stables sur toute la Méditerranée. De récentes études dressent un tableau plus complexe, mais les données suggèrent que les conditions climatiques de l’empire au 1er siècle av. J.‑C. favorisèrent la croissance de l’agriculture, de l’économie et de la population. Les récits de première main, comme celui de l’agronome Columelle, indiquent que les chutes de pluie dans le centre et le sud de l’Italie étaient plus fréquentes au 1er siècle avant notre ère qu’elles ne le sont aujourd’hui. Les sources révèlent également que les terres arables couvraient de vastes zones de l’Afrique du Nord, devenue désertique depuis.

    BARBARIAN INVASION

    Copie d’une peinture de 1887 réalisée par Ulpiano Checa, montrant les Huns approcher de Rome au milieu du 5e siècle. Musée du Prado, Madrid.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

     

    LE MONDE VIEILLIT

    À partir de la moitié du 3e siècle apr. J.-C., d’infimes changements dans l’inclinaison terrestre réduisirent les niveaux d’énergie solaire qui pénétraient l’atmosphère. Ce changement influença le climat, qui devint plus variable avec une tendance qui penchait vers le refroidissement et l’aridité en Méditerranée. Cela engendra, de même, des conséquences sur la productivité agricole, un facteur des multiples crises que vécut l’Empire romain au 3e siècle.

    Les témoignages, comme celui de Cyprien, évêque de Carthage, décrivent le phénomène :

    Le monde a, à présent, vieilli et ne fait plus montre de la puissance qu’il avait jusqu’alors. Sa vigueur et sa force l’ont également abandonné. L’hiver n’est plus le temps de l’abondance d’averses qui nourrissaient les graines. Le soleil d’été n’est plus aussi chaud pour chérir les récoltes. Les champs de blé ne sont plus aussi épanouis au printemps. Et les saisons d’automne ne portent plus autant de fruits dans leur feuillage.

    EASTERN ORIGINS

    Palmyre, dans l’actuelle Syrie, était une colonie romaine, lieu où la peste antonine frappa le territoire de l’Empire parthe, à l’Est, vers 165 apr. J.‑C. L’épidémie s’est rapidement répandue alors que Romains et Parthes se livraient bataille, leurs armées toujours en mouvement.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    À cette crise s’ajouta un autre phénomène naturel aux conséquences dévastatrices : les épidémies. Dans une certaine mesure, ce fut le grand succès de la civilisation romaine qui permit aux maladies de proliférer comme elles le firent au 3e siècle. Durant l’optimum climatique romain, le monde de Rome vivait une croissance économique et démographique remarquable, et développa un réseau de cités densément peuplées. Le revers de cette médaille : cette connexion réunissait les conditions idéales pour que les maladies se transmettent rapidement. Kyle Harper avance que « les habitats humains denses, la stoïque transformation des paysages, les réseaux puissants de connectivité au sein de l’Empire, et surtout en dehors, tous ont contribué à une écologie microbienne unique. » Certaines maladies, comme la tuberculose, la lèpre et le paludisme se propagèrent à une échelle restreinte à cette époque, tandis que d’autres devinrent des épidémies majeures. Elles avaient auparavant été contenues dans des régions particulières et étaient saisonnières mais à partir de la seconde moitié du 2e siècle, les épidémies qui émergeaient affectaient des pans entiers de l’Empire romain, avec une intensité jamais vue.

    AN EMPEROR CAPTURED

    Cette camée montrerait la capture de l’empereur Valérien par le roi sassanide Shapur I, à Edessa, en actuelle Turquie, en 260 apr. J.‑C. La victoire de Shapur a été facilitée par la peste de Cyprien qui avait affaibli les forces de Valérien. Bibliothèque nationale de France, Paris.

    PHOTOGRAPHIE DE ACI

    La population de Rome dépassait le million de personnes au début de la période impériale. Les afflux de population de tout l’empire à la ville causèrent surpopulation et diffusion rapide de maladies. Les progrès et les avancées permirent la construction de bains publics ; les empereurs souhaitaient que Rome apparût aux yeux de tous comme une ville civilisée et hygiénique. Se rendre aux bains faisait partie des piliers de la culture romaine, mais dans une société où l’on ignorait comment les maladies se transmettaient, les malades se baignaient aux côtés de ceux qui ne l’étaient pas ; les bains avaient failli à contrebalancer l’accroissement démographique et semblaient même avoir aggravé la situation. Une étude menée en 2020 par l’université britannique de Cambridge a révélé que les bains publics romains, où la matière fécale côtoyait l’eau stagnante directement chauffée par le Soleil, étaient devenus un lieu de prolifération bactérienne.

     

    LE TEMPS DES ÉPIDÉMIES

    La peste antonine, qui dura de 165 à 180 apr. J.‑C. fut la première épidémie majeure à frapper l’Empire romain. Elle commença à l’Est. Cette pestilence (du latin pestis et pestilentia utilisés dans l’Antiquité pour désigner toutes les maladies épidémiques) vit ses conséquences s’abattre sur l’Empire en plusieurs vagues. Celles-ci coïncidaient avec le retour des légionnaires combattant pour l’empereur Lucius Verus contre les Parthes. Des récits détaillés de la peste, de ses symptômes et de ses effets furent rédigés par le médecin grec, Galien, forcé de quitter sa résidence sur la côte de la mer Égée pour se rendre à Rome et soutenir l’empereur Marc-Aurèle et la famille impériale. La peste antonine, que l’on pense avoir été une épidémie de variole, aurait fait entre 5 à 10 millions de victimes ; près de 10 % de la population.

    ROAD OF DEATH

    Les épidémies ont bouleversé les pratiques funéraires romaines. À son apogée, la peste antonine tuait environ 2 000 personnes par jour à Rome. Les cérémonies somptueuses, les tombeaux réservés aux élites, comme ceux figurant sur cette photo, le long de la voie Apienne, ont été remplacés par de prestes inhumations.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Giocoso, Fototeca 9x12

    Au milieu du 3e siècle, une nouvelle épidémie se déclencha : la peste de Cyprien. Elle tient son nom de Cyprien, évêque de Carthage. Dans son sermon De Mortalitate (De la mortalité), il inclut un récit détaillé des symptômes que provoquait cette maladie. Avec une origine possible en Éthiopie, la peste affecta des territoires entiers en Égypte, dans le Levant méditerranéen, en Asie Mineure, en Grèce et en Italie, entre 249 et 269 apr. J.‑C. Paul Orose, un historien chrétien du 5e siècle, résuma cet événement en termes catastrophiques :

    Une peste s’étend à présent sur de nombreuses provinces et une grande pestilence a dévasté toute l’Italie. Partout maisons de campagne, champs et villes étaient ravagés, sans qu’il ne reste rien à replanter, aucun habitant, rien que des ruines et des forêts.

     

    UN RÉTABLISSEMENT INATTENDU

    Cette crise du 3e siècle ne scella cependant pas le sort de l’Empire romain, qui fut en mesure de se reprendre en main et de se remettre au cours du 4e siècle. Cette revitalisation a tendance à être associée à l’influence d’empereurs dynamiques comme Constantin Ier (306 à 337 apr. J.‑C.) et Théodose Ier (379 à 395 apr. J.‑C.). Cependant, les chercheurs étudient de plus en plus les changements climatiques bienfaiteurs qui survinrent au cours du 4e siècle, qui pourraient expliquer le rétablissement de l’Empire à cette période.

    THE RUINS OF ROME
    STABILITY IN CRISIS
    Gauche: Supérieur:

    Sur cette vue aérienne du Forum romain, la maison des Vestales se trouve au premier plan. À l’arrière-plan se trouvent les trois grandes arches de la basilique de Maxence, érigée au début du 4e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE ACI
    Droite: Fond:

    Bâtie par l’empereur Aurélien, cette muraille défensive qui entoure Rome revêt une importance symbolique. Les pestes, les invasions et les scandales économiques ont frappé Rome au 3e siècle. Grand magistrat et soldat, Aurélien est parvenu à inverser la tendance, et à renflouer les caisses de l'empire. Pour un temps seulement.

    PHOTOGRAPHIE DE Andrea Jemolo, Aurimages

    Kyle Harper suggère que le changement favorable des conditions climatiques survenu au 4e siècle était dû à l’oscillation nord-atlantique. C’est un phénomène météorologique : une variation de la différence de pression entre des zones de haute et de basse pression atmosphérique. L’oscillation nord-atlantique causa une augmentation significative des précipitations sur le continent. Le climat devint toutefois plus instable, expliquant la fréquence de sécheresses majeures et de famines enregistrées dans toute la Méditerranée. C’est le cas des famines qui frappèrent la province de Cappadoce, dans l’actuelle Turquie, en 368 et 369 apr. J.‑C. Basile de Césarée, dit « le Grand », alors évêque de Césarée, délivra à partir de 370 des sermons sur le sujet, avertissant que les péchés humains avaient provoqué la famine et incitant le peuple à prendre soin des plus pauvres. « En bonnes âmes, redistribuez vos surplus aux nécessiteux », prêchait-il à ses fidèles.

     

    DES RÉFUGIÉS CLIMATIQUES

    Les plus graves effets des changements climatiques se firent ressentir au-delà des frontières de l’Empire romain. Une période de sécheresse prolongée à travers les steppes eurasiennes, de la Hongrie à la Mongolie, affecta directement les vies des bergers nomades. Ce fut à ce moment-là que les Huns commencèrent à progresser vers l’ouest à travers les steppes, et qu’ils firent leur apparition dans les sources écrites. D’aucuns avancèrent que les Huns, face à la crise environnementale, devinrent des réfugiés climatiques en quête de nouveaux pâturages. Leur déplacement vers l’ouest força d’autres peuples nomades du Nord à se tourner vers les territoires de l’Empire romain.

    THE LAST CAPITAL

    L’intérieur de la basilique San Vitale, à Ravenne, dans le nord de l’Italie. Flavius Honorius en a fait la cour impériale en 401, faisant de Ravenne la dernière capitale de l’Empire romain d’Occident, des décennies avant sa chute.

    PHOTOGRAPHIE DE GIUSEPPE DALL’ARCHE, Fototeca 9x12

    Il semble à présent certain que les épidémies et les sécheresses étaient autant de facteurs notables dans le processus qui mena à la chute définitive de l’Empire romain d’Occident en 476 apr. J.-C. Notre compréhension des conditions climatiques précises de cette époque reste lacunaire, surtout à travers une région aussi vaste que l’Empire romain. Il est crucial d’éviter de tirer des conclusions déterministes. L’Histoire ne peut être expliquée simplement par une variation des températures, des précipitations ou de l’apparition d’épidémies, aussi mortelles qu’elles soient. Néanmoins, des preuves variées indiquent que les facteurs climatiques entraînèrent des conséquences bien réelles. Comme l’avance Kyle Harper, le destin de l’Empire romain est un exemple du « pouvoir incontestable de la nature sur le sort d’une civilisation ».

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire en langue anglaise.

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