Vivre à Babylone : plongée dans le quotidien d’une cité légendaire
À son apogée, l’Ancien Empire babylonien était l’une des plus grandes civilisations que le monde ait connues. Le Code d’Hammurabi et un trésor de tablettes livrent leurs secrets sur les Babyloniens et les aléas de leur vie quotidienne.

Cette illustration de Babylone est dominée par la ziggurat d’Etemenanki, ce à quoi elle aurait ressemblé au cours du 6e siècle av. J.‑C. Certains pensaient qu’il s’agissait de la tour de Babel décrite dans la Bible, la ziggurat a été reconstruite de nombreuses fois au cours des siècles. La structure originale a tout d’abord été érigée au 18e siècle av. J.‑C., au temps du roi Hammurabi, qui a posé les fondations de l’avenir de Babylone.
La cité de Babylone, érigée sur les bords de l’Euphrate en Basse Mésopotamie, atteignit le zénith de son premier âge sous le règne du roi Hammurabi (souverain de 1792 à 1750 av. J.‑C.). Sous son égide, la capitale de l’empire babylonien consolida sa réputation de creuset cosmopolite, attirant les peuples de toute la région. L’empire, dans son entièreté, gagna pouvoir et prestige durant l’Ancien Empire babylonien, de 1894 à 1595 av. J.‑C., mais Hammurabi décida de conquérir de vastes portions de territoires en Mésopotamie, s’appropriant des cités éloignées telles qu’Ur, Eshnunna, Assur, Ninive et Tuttul. Alors que Hammurabi gagnait en puissance, une grande partie du royaume prospérait, tant sur les plans culturel, économique, social et religieux, surtout dans sa capitale, Babylone.

QUOTIDIEN, FAMILLE ET DIVORCES
Les milliers de textes cunéiformes qui survécurent de cette époque fournissent un aperçu fascinant des vies des Babyloniens. Ils documentent les exploits des rois, les conflits militaires, les ambassades diplomatiques et les codes juridiques. Ce sont aussi des fenêtres ouvertes sur les quotidiens des habitants de Mésopotamie : leurs tâches régulières, leurs inquiétudes, leur vision de la famille, leurs activités commerciales. Ces documents contiennent de très nombreux détails, souvent sous la forme de tablettes d’argile, et montrent que la Babylone d’il y a 4 000 ans n’était pas si différente de notre société moderne.
La famille était la pierre angulaire de la société. La maison typique où habitait une famille babylonienne comportait deux ou trois pièces, parfois plus, construites autour d’une cour ouverte. Certaines pièces devaient être utilisées comme chambres à coucher, mais il existe des preuves qui suggèrent que d’autres servaient d’ateliers ou de boutiques. Les maisons les plus riches comportaient des aménagements supplémentaires, comme des pièces pour se laver, d’autres avec des coffres ou dispositifs métalliques pour la conservation d’objets précieux. D’autres pièces de la maison servaient de sanctuaires religieux.
Les familles de Babylone étaient généralement organisées autour d’un mariage monogame. La polygamie était autorisée par la loi, mais seulement dans des situations particulières. Par exemple, si la première épouse ne pouvait enfanter ou dans des cas tels qu’un marchand qui résidait dans une autre ville pendant un long moment et décidait de s’y marier. Parfois, le contrat de mariage, appelé rikistu en akkadien, un mot qui s’appliquait également à d’autres types de contrats, était réalisé à l’écrit, stipulant des détails tels que la dote offerte par la famille de la mariée. Dans cette société, le mariage n’était pas nécessairement définitif et pouvait être révoqué par le divorce. Les promesses de mariage pouvaient également être rompues durant les fiançailles. Plusieurs textes babyloniens indiquent comment ces ruptures se déroulaient. Dans la langue de l’époque, on appelait cela « couper l’ourlet ».
Dans un texte du 18e siècle av. J.‑C., un homme du nom d’Aham-nirši souhaitait dissoudre son mariage à venir. Le texte disait : « En la présence de ces témoins, ils ont demandé à Aham-nirši “Cette femme est-elle [toujours] votre épouse ?” Il a déclaré “Vous pouvez me pendre, me démembrer, je ne resterai pas marié [à elle] !” Telles étaient ses paroles. Ils ont demandé à sa femme et elle a répondu “J’aime [encore] mon époux.” Telles étaient ses paroles. Lui, cependant, a refusé. Il a roulé son ourlet et l’a coupé. »
ADOPTION ET HÉRITIERS
L’objectif fondamental du mariage à Babylone était d’avoir des enfants, et il existait des protocoles si un couple n’en était pas capable, pour quelques raisons que ce soit. Les Babyloniens savaient que la matrice génitale jouait un rôle essentiel dans la reproduction. Le mythe d’Atrahasis contait l’histoire de la création des humaines et du grand déluge et on y retrouvait les mots : « la matrice était ouverte et produisait des enfants ». Les textes médicaux qui survécurent aux ravages du temps indiquent que les Babyloniens utilisaient certaines herbes, amulettes ou arts mystiques pour combattre la stérilité.

Un plaidant supplie le roi Hammurabi de Babylone, assis sur son trône sur cette illustration du 20e siècle par Robert Thom.
Les couples sans enfant biologique avaient la possibilité d’adopter un bébé, un jeune enfant ou un adolescent. L’adoption devait être assez commune au vu du nombre de textes y ayant trait qui nous sont parvenus. Par cet acte, un lien de filiation légal était créé entre l’adoptant et l’adopté, de même poids que celui de la filiation biologique. L’un des textes dit ainsi : « Yasirum et Ama‑Suen ont pris comme enfant un nourrisson du nom de Ili‑awili, fils de Ayartum, avec le consentement d'Ayartum, sa mère, et de Erištum, son mari. »
L’adoption à Babylone pouvait avoir plusieurs raisons : obtenir un héritier, un apprenti, ou une personne qui pourrait prendre soin de ses parents adoptifs au soir de leur vie. Les couples adoptaient également pour que les rites funéraires soient accomplis à leur mort. L'adopté pouvait y gagner un domaine, apprendre un commerce ou, dans le cas d'un jeune enfant, être élevé depuis sa plus tendre enfance. De nombreux documents découverts attestent d’adoptions lors desquelles les enfants devinrent apprentis auprès du père adoptif.
Par exemple, une tablette remontant au 15e siècle av. J.‑C. et découverte à Nuzi, une cité du nord de la Mésopotamie, explique : « Huitilla, fils de Warteya, a offert son fils Naniya pour adoption à Tirwiya, servant de Enna‑mati. Tirwiya devra trouver une femme à Naniya et lui enseigner le métier de tisserand […]. Si Tirwiya faillit à son devoir d’enseigner le métier de tisserand à Naniya, Huitilla pourra, le cas échéant, réclamer le retour de son fils à Tirwiya. »
ARTISANS ET MARCHANDS
Il était normal à Babylone que les jeunes hommes apprennent certains commerces au sein de leur foyer, la plupart du temps en suivant les traces de leur père. On retrouve des dizaines de cas attestés de scribes, de prêtres et d’artisans qui passèrent le flambeau de leur profession à leur descendance. En d’autres occasions, et par vertu d’un contrat d’apprentissage, un professionnel reconnu prenait un apprenti pour lui apprendre son métier. C’est le cas de l’exemple précédent, où Tirwiya le tisserand prit comme apprenti, et fils adoptif, Naniya.
Les Babyloniens accordaient une grande importance à l’artisanat. Dans la région de Sumer, en basse Mésopotamie, aujourd’hui le sud de l’Irak, la plupart des artisans et des marchands étaient liés aux institutions du palais et des temples. À l’inverse, dans la Babylone du roi Hammurabi, on retrouve de nombreuses preuves que ces marchands et artisans travaillaient pour leur compte. Des milliers de tablettes retrouvées par des archéologues mentionnent des livraisons, le plus souvent d’orge, à destination d’individus dont il n’est pas rare de voir la profession mentionnée. Par exemple, les tablettes font mention de jardiniers, de forgerons, de boulangers et de constructeurs. Beaucoup de Babyloniens, souvent des femmes, des enfants et des esclaves, travaillaient pour des commerces du textile : tissage, cardage (le démêlage et la préparation des fibres textiles) ou encore foulage (le nettoyage et l’assouplissement de la laine). Les biens qu’ils produisaient étaient vendus dans toute la Mésopotamie par des marchands qui suivaient des routes commerciales bien établies. Des infrastructures améliorées, l’irrigation, le commerce et, plus tard, l’expansion militaire, contribuèrent à la richesse de l’empire.

Cette tablette gravée de Babylone montre des dieux et des fidèles déposant des offrandes. 18e siècle av. J.‑C., conservée au musée du Louvre, à Paris.
TRIBUNAUX ET JUGES
La force de la société babylonienne reposait sur plusieurs principes : son gouvernement centralisé, sa diplomatie et ses lois. Le Code d'Hammurabi, un ensemble de 282 lois diffusées à travers son empire, posa les fondations d’un système juridique, d’un ordre social, de règles économiques, de lois à destination des femmes, de punitions et plus encore. Toutes les occasions étaient bonnes pour faire régner la justice, qu'il fût question de conflits de propriété ou d’héritage, de vols ou de divorces. Les juges étaient respectés pour leur vaste connaissance des codes légaux et des sentences appropriées qui s’appliquaient lorsque leurs règles étaient enfreintes. Plusieurs juges pouvaient être présents à un procès. D’ailleurs, plus ils étaient nombreux, plus grande était leur légitimité aux yeux des parties impliquées. Tous les jugements étaient rendus pro se, les plaignants se représentaient eux-mêmes. La profession d’avocat n’existait pas dans l’ancienne Babylone.
Les procès qui traitaient de problèmes sérieux étaient l’affaire des juges en lien avec la monarchie. Un document du 18e siècle av. J.‑C. explique comment trois personnes intentèrent un procès à une femme, Sumu‑la‑ilu, pour la propriété d’une maison et de vergers. Leur affaire fut entendue par le roi lui-même. « Ils se sont présentés devant le roi qui écouta leur litige. Le roi [jugea] le cas de la femme Sumu‑la‑ilu. Dorénavant, toute personne [qui apportera] un litige devra payer 200 [shekels] d’argent. »
DES AMOUREUX DES PLAISIRS
Le divertissement aurait été une partie fondamentale de la vie quotidienne des anciens Babyloniens. On retrouve des preuves qu’ils jouaient des instruments, comme la flûte, et qu’ils s’adonnaient à la danse. En plus des musiciens et des danseurs, certains faisaient du divertissement leur métier : chanteurs, charmeurs de serpents, acrobates et dresseurs d’ours.
Les Babyloniens étaient également joueurs et les dés comptaient parmi leurs préférés. Ils utilisaient des os de chevilles d’animaux en forme de cube pour faire office de dés. On les utilisait aussi pour prédire l’avenir en les jetant sur des tablettes d’argile gravées des signes astrologiques.

Une riche famille babylonienne dans le jardin de leur demeure, illustration du 20e siècle.
La vie de Babylone était rythmée par des processions et des festivals religieux, comme l’Akitu, la célébration de la nouvelle année, qui était d’une grande importance à leurs yeux. On y fêtait Marduk, la divinité principale du panthéon babylonien, commémorant sa victoire sur Tiamat, la déesse primordiale. L’Akitu était un moment où étaient réunis cieux et terre, riches et pauvres, dieux et mortels. Les fondations sociales posées dans l’ancien Empire ont pavé la route de Babylone, jusqu’à ce qu’elle devienne la perle du monde antique.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
