Chine antique : les linceuls de jade n'étaient finalement pas une légende
Les cryptes inexplorées sont rares. En 1968, des soldats ont découvert les tombeaux intacts de membres de la dynastie Han, qui regorgeaient d’objets devant les accompagner dans la vie après la mort.

Le costume funéraire de la princesse Dou Wan, constitué de milliers de tessons de jade, 2e siècle av. J.-C.
Lingshan toise le xian de Mancheng, à 200 kilomètres au sud de Pékin. Il y a plus de 2 000 ans, des milliers de tonnes de roches furent ôtées de sa pente orientale afin de bâtir de splendides tombeaux. Ils abritaient les restes d’un noble couple : Liu Sheng, prince de Zhongshan, et son épouse, Dou Wan.
Les tombes sont restées intactes durant les deux millénaires qui suivirent l’inhumation, jusqu’à leur découverte dans les années 1960 par des archéologues. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Non seulement les tombeaux étaient des merveilles d’ingénierie, mais ils contenaient en plus des objets fascinants. Les dépouilles du couple étaient enveloppées dans des costumes funéraires de jade et sont maintenant considérés parmi comme des trésors parmi les plus précieux de Chine.
LE SEIGNEUR DU NORD
Le père de Liu Sheng, Jing Di, fut le sixième empereur de la dynastie des Han, deuxième dynastie de la Chine impériale. Ses empereurs régnèrent sur l’Empire du Milieu de 206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C. Agacé par des rébellions, Jing Di envoya Liu Sheng régner sur Zhongshan, une région du Nord-Est de l’Empire, en 154 av. J.-C.
La construction des deux tombes royales, similaires en taille et en structure, débuta probablement peu après la prise de pouvoir de Liu Sheng. Elle aurait nécessité des décennies et aurait représenté un défi aussi technique que financier. Au moment de la mort de Liu Sheng et de son épouse, Dou Wan, respectivement en 113 et 104 av. J.-C., leurs tombes étaient prêtes à les accueillir, pleines d’objets somptueux devant les accompagner dans la vie après la mort. Les tunnels y menant furent ensuite scellés par des murs de briques et renforcés de fer forgé pour empêcher les tombeaux d’être profanés.
UNE DÉCOUVERTE RÉVOLUTIONNAIRE
De nombreuses tombes des Han furent endommagées par des pillards mais les mesures prises pour sceller les tombeaux de Mancheng démontrèrent d’une efficacité inhabituelle. Ce n’est qu’au cours des années 1960, alors que la Chine était dirigée d'une main de fer de Mao Zedong, que les montagnes dévoilèrent leurs trésors enfouis.
En juin 1968, un peloton de l’armée stationné dans la province du Hebei abattit un mur de roche au cours de travaux d’excavation pour bâtir un bunker anti-aérien sur les pentes de Lingshan. Derrière, ils mirent au jour ce qui ressemblait à une chambre funéraire.
Cette découverte se fit au paroxysme de la Révolution culturelle de Mao, une campagne violente à l’encontre des « éléments bourgeois ». L'issue était le plus souvent la mort et l’humiliation publique de grands noms des milieux académiques et du système éducatif.
Dans ce climat de peur et de paranoïa, la plupart des recherches académiques connurent des arrêts brutaux. Les fouilles archéologiques, elles, purent cependant continuer. L’Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences de Pékin fut appelé et une équipe de chercheurs fut immédiatement constituée. Très vite, ils en vinrent à comprendre que le tombeau était effectivement une chambre funéraire. L’excitation grandit quand une seconde tombe, tout près de la première, fut mise au jour.
Les archéologues terminèrent leurs travaux de fouille durant l’été 1968 et les tombes de Mancheng devinrent rapidement des instruments, des symboles des prouesses de la civilisation chinoise sous la dynastie des Han. Le régime de Mao Zedong se servit également de cette découverte pour louer les talents de l’archéologie chinoise durant la Révolution culturelle.
DES IMAGES MIROIRS
La structure des deux tombes était la même. On y accédait par un tunnel étroit, qui débouchait sur une vaste antichambre couverte par une structure en bois avec un toit en tuiles. Elle était divisée en deux espaces. La chambre nord contenait des réserves de nourriture préservées dans des récipients en terre cuite, des provisions qui devaient servir aux défunts dans la vie après la mort. La chambre sud abritait les écuries et les archéologues y découvrirent des chars et des squelettes de chevaux, symboles ultimes du pouvoir des élites.


Une horloge hydraulique découverte dans la tombe de Liu Sheng à Mancheng, 2e siècle av. J.-C.
Des aiguilles en or, probablement utilisées pour de l’acuponcture, ont été découvertes dans la tombe de Liu Sheng. Musée de la province du Hebei.
L’espace central était un hall cérémonial et était également couvert par un toit en tuile, soutenu par une structure en bois. Au centre se trouvaient deux canopées entourées par de nombreux objets en rang : des figurines en céramique représentant des servants, des réceptacles de bronze, des lampes et des armes rituelles. À l’arrière de cette pièce, une porte en pierre s’ouvrait sur la chambre funéraire elle-même. Cet espace comportait un toit de pierre et un sarcophage était exposé au centre. Les archéologues déterminèrent que cette pièce et une chambre attenante étaient les quartiers privés du défunt.
DES COSTUMES POUR LES ÂMES
Les tombes de Liu Sheng et Dou Wan, les premières de la dynastie Han à être découvertes intactes, sont d’une grande importance pour leur structure et les deux objets que l’on y a découvert parmi les offrandes funéraires. Deux costumes spectaculaires aux allures d’armures et faits de jade. Jusqu’alors, on n’en avait eu de descriptions que par des sources écrites.
Les milliers de tessons de jade qui constituaient les costumes étaient liés entre eux par des fils et des tiges d’or. Chaque costume était fait de douze sections et étaient adaptés aux contours du corps. Ils servaient de linceuls et devenaient la représentation visuelle de la transformation des deux dirigeants en êtres immortels.
Aux yeux des archéologues, les costumes, les offrandes funéraires intactes et les objets parmi lesquels ils furent découverts ouvraient une fenêtre fascinante sur les croyances, les pratiques et l’art funéraire de la dynastie des Han. Bien que la momification ne fût, à cette époque, pas une pratique en Chine, plusieurs méthodes étaient tout de même employées pour préserver les aspects immatériels des défunts, comme leurs âmes. Certaines traditions chinoises affirment que l’âme humaine a deux types : le hun et le po.


Un vase de bronze aux décorations damasquinées, découvert dans la tombe de Liu Sheng. Cette pièce était l’un des objets luxueux conservés dans la chambre funéraire. Musée de la province du Hebei.
Une lampe en bronze découverte dans la tombe de Liu Sheng comporte un moyen pour la fumée de s’échapper. Musée national de Chine, Pékin.
Le hun abrite l’esprit d’une personne, tandis que le po est l’âme de l’activité et de l’énergie du corps. Au cours de la vie, ces deux âmes sont unies en harmonie mais elles se séparent à la mort. Le hun accède au royaume des ancêtres et le po demeure auprès du corps et peut être considéré comme une force maléfique qui doit être contenue dans les costumes de jade.
Les deux tombes reflétaient probablement cette double conception. Celles-ci ressemblaient à des palais souterrains, miroirs des demeures terrestres des défunts. Les structures de bois et de pierre correspondaient aux éléments d’un palais sur Terre. Les antichambres et le hall central formaient le royaume dans lequel le po et le corps pouvaient continuer à exister, entourés par le même bien-être duquel ils profitaient au cours de la vie.

Les deux sièges vacants au centre de la tombe de Liu Sheng étaient à l’origine dominés par des canopées de rideaux en soie. Des vases ainsi que des statuettes funéraires étaient arrangés autour. Ce tableau représente une cérémonie rituelle qui évoquait le prince et la princesse. La chambre funéraire en pierre, la dernière pièce de leur palais éternel, était là où l’on pensait que les défunts accèderaient à l’immortalité.
L’utilisation du jade vient compléter cette symbolique. Étroitement associé avec les croyances du paradis et de l’immortalité, ce silicate lisse était utilisé lors des rites funéraires des milliers d’années avant l’avènement de la dynastie des Han. Le caractère chinois qui le représente ressemble à celui du mot « empereur ». Plusieurs siècles avant le trépas de Liu Sheng et de Dou Wan, le philosophe Confucius énumérait les propriétés de la gemme : bienveillance, justice, propriété, vérité, crédibilité, musique, loyauté, terre et paradis, moralité et intelligence. Une gemme donc digne des princes de haute lignée.


Un ours se tient plusieurs mètres au-dessus d’un oiseau. Sculpture en bronze retrouvée dans la tombe de Dou Wan. Musée de la province du Hebei.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
