Ces manuscrits médiévaux ont donné vie aux créatures fantastiques du Moyen Âge

Très populaires au Moyen Âge, les bestiaires regorgeaient d’animaux réels aussi bien que mythiques dont ils nourrissaient la légende. Ces créatures étaient les protagonistes d’histoires intrigantes symbolisant les vertus et les failles des humains.

De Monica Walker Vadillo
Publication 1 nov. 2025, 10:49 CET
Un lézard (à gauche) et un chien (à droite) sculptés sur un bas-relief du monastère des ...

Un lézard (à gauche) et un chien (à droite) sculptés sur un bas-relief du monastère des Hiéronymites de Lisbonne qui date du 16e siècle. Il n’est pas rare de voir les gargouilles des monuments chrétiens d’Europe figurer des chiens. Ils symbolisaient diverses qualités admirables, comme la loyauté, le confort domestique et la protection.

PHOTOGRAPHIE DE Ivan Vdovin, Alamy, Cordon Press

Aux deuxième et troisième siècles de notre ère, un auteur anonyme d’Alexandrie composa une œuvre intitulée Physiologus (le Naturaliste). L’ouvrage, qui contenait quarante-huit ou quarante-neuf chapitres, ne tarda pas à être diffusé en masse. Chacun de ces chapitres était consacré à un animal spécifique et incluait une illustration, une description de ses caractéristiques et une histoire, à la fois observation naturelle et anecdote imaginaire, concernant son comportement.

Le lion est par exemple le sujet de l’une de ces histoires. On disait que les lionceaux naissaient sans vie et que leur mère veillait sur eux jusqu’à ce que le père, le roi des animaux, arrive et leur insuffle la vie. Cette image donna lieu à une lecture allégorique empreinte de symbolisme chrétien : le lionceau ranimé par le père devint la figure du Christ ressuscité le troisième jour. Tandis que le lion incarnait des vertus nobles, d’autres créatures servaient d’avertissement. Ainsi le hérisson qui, croyait-on, grimpait dans les vignes, en faisait tomber les raisins, puis les empalait sur ses pics pour les rapporter à ses petits. Selon le Physiologus, ce récit avait une valeur édifiante : il invitait les chrétiens à veiller sur la vigne de leur âme. « Toi, Ô chrétien, abstiens-toi de t’occuper de tout, et veille sur ta vigne spirituelle, car c’est d’elle que tu remplis ta cave intérieure […] Ne laisse pas le souci du monde et le plaisir des biens temporels t’absorber, car alors le diable hérissé de piquants, dispersant tous tes fruits spirituels, les transpercera de ses aiguillons et fera de toi la pâture des bêtes. »

Ci-dessous se trouve une page du Physiologus de Berne, version latine du neuvième siècle d’un bestiaire plus ...

Ci-dessous se trouve une page du Physiologus de Berne, version latine du neuvième siècle d’un bestiaire plus ancien connu sous le nom de Physiologus. Au centre se trouve une panthère, un animal associé au Christ. Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, Suisse.

PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

De tels exemples illustrent l’intention fondamentale du Physiologus : faire du monde animal un reflet des passions, vices et vertus des humains. Sous la surface de chaque légende se cachait un message didactique ancré dans la doctrine chrétienne primitive. Ces histoires naissaient de la conviction que les animaux avaient été créés par Dieu au commencement des temps comme des instruments servant à donner des instructions à l’Humanité.

 

LA DIFFUSION DES BESTIAIRES

Aux quatrième et cinquième siècle, on traduisit le Physiologus grec en latin ainsi que dans d’autres langues. Au fil du temps, il s’enrichit d’emprunts à des œuvres influentes, comme les Etymologiae d’Isidore de Séville, l’Hexaemeron d’Ambroise de Milane et des sources classiques sur l’histoire naturelle (Aristote, Hérodote et Pline l’Ancien).

Au haut Moyen Âge, le texte circulait déjà dans toute l’Europe de l’Ouest sous un titre latin : Liber Bestiarum ou, plus simplement, le Bestiarum. Entre les 12e et 14e siècles, on le traduisit dans plusieurs langues vernaculaires. La plupart des versions étaient richement illustrées et dépeignaient l’entièreté de la ménagerie décrite dans le texte.

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    Sur cette page du Bestiaire d’Ashmole, on voit Dieu donner la vie aux animaux, premier quart du 13e siècle. Bibliothèque Bodléienne.

    PHOTOGRAPHIE DE BODLEIAN LIBRARY, Aurimages

    Les symboles et l’iconographie des bestiaires ne se confinaient pas aux pages. Les créatures présentées dans ces manuscrits migrèrent vers la pierre et le bois et commencèrent à figurer sur les façades des églises et des cathédrales, sur les chapiteaux sculptés des cloîtres et même dans la décoration intérieure de maisons laïques et aristocratiques. Dans une demeure de Metz datant du 13e siècle, les plafonds de deux chambres étaient ornés d’un bestiaire complet, ensemble qui subsiste aujourd’hui dans le musée de la Cour d’Or.

     

    UNE MÉNAGERIE BIGARRÉE

    Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traité zoologique au sens contemporain du terme, le bestiaire emmagasinait la somme des connaissances médiévales sur le monde animal. Bon nombre des animaux décrits faisaient partie de la vie quotidienne. Le rôle domestique essentiel des chevaux et des chiens leur valait de longs articles soulignant souvent leur loyauté et leur intelligence. Une légende raconte comment les chevaux de Charlemagne et de Caius César n’acceptaient d’autre cavalier que leur maître. Une autre raconte l’histoire du chien du gouverneur de Thrace Lysimaque, qui sauta dans le bûcher funéraire de son maître, refusant de se séparer de lui, même dans la mort.

    Les bestiaires mettaient également en avant des animaux que les lecteurs européens considéraient exotiques, par exemple les lions, les éléphants, les singes et les autruches, des espèces d’Afrique et d’Asie. Mais les illustrateurs avaient rarement l’occasion d’observer ces créatures directement. Ils devaient donc se fier à des descriptions ou bien copier des dessins existants.

    Aux côtés des animaux familiers et exotiques se trouvaient des créatures imaginaires censées habiter des contrées lointaines. Certains tiraient leur autorité de sources anciennes ou de textes bibliques. On croyait par exemple que les fourmis-lions venaient de l’union d’une fourmi et d’un lion, confusion probablement née d’une mauvaise traduction d’un passage du Livre de Job. Dans la Nouvelle version internationale de la Bible, on peut lire le passage suivant : « Le lion périt faute de proie, Et les petits de la lionne se dispersent » (Job 4:11). Mais dans la Septante, traduction grecque de la Bible hébraïque datant des troisième et deuxième siècles avant notre ère, le mot hébreu signifiant « lion » (layish) est rendu par mermecolion, soit fourmi-lion. Cette erreur est probablement due à une mauvaise compréhension de l’hébreu ou à une mauvaise transcription. Pourtant, cette créature n’en existait pas moins dans l’imagination des savants : selon le Physiologus, « elle avait le visage (ou la face avant) d’un lion et les parties arrière d’une fourmi ».

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    Spectaculaire bestiaire de pierre ornant le portail roman du 13e siècle du château Tyrol, dans le nord de l’Italie, demeure une énigme pour les historiens. Parmi les créatures mythiques figure un lion, qui sert parfois à représenter Jésus après la résurrection.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

    Dans des traductions ultérieures de la Bible, le mot « licorne » apparaît également, comme dans ce passage de la Bible du roi Jacques : « Sauve-moi de la gueule du lion : puisque tu m’as entendu depuis les cornes des licornes. » La décision des traducteurs de rendre le mot hébreu re’em par « licorne » a peut-être été influencée par le fait qu’ils avaient entendu parler de son « existence » dans des textes indiens. Les traductions modernes, comme la Nouvelle version internationale, emploient le mot « buffle » à la place.

    Mais de la tradition classique, l’on tira également d’autres créatures fantastiques. Les sirènes, à la fois femmes et oiseaux ou poissons, et le phénix, oiseau qui s’immolait par le feu pour renaître de ses cendres au troisième jour, faisaient écho aux thèmes de renouveau et de mystère divin.

    Du point de vue contemporain, il est facile de distinguer faits et fiction. Mais pour les lecteurs médiévaux, une telle distinction n’avait peut-être pas d’importance. Leur connaissance des animaux lointains provenait des textes, et non de l’observation, et les bestiaires n’eurent jamais vocation à être des manuels scientifiques. Réelles ou imaginaires, ces créatures représentaient le pouvoir créateur de Dieu et faisaient partie d’un ordre naturel sacré conçu pour enseigner des vérités spirituelles.

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      Craint en tant que roi des serpents, le basilic aurait une origine étrange et inquiétante : il serait sorti d’un œuf pondu par un coq et couvé par un crapaud. Son apparence a varié : on l’a parfois décrit comme un serpent à crête, parfois comme un coq à queue de serpent avec une crête semblable à une couronne, un symbole de sa domination. Sa respiration et son regard étaient réputés mortels, sauf s’ils étaient reflétés par un miroir, qui envoyait le venin sur la bête elle-même. On considérait que le basilique représentait le diable écrasé par le Christ. British Library, Londres.

      PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI
      Sur cette illustration du 13e siècle, un dragon recule de peur devant le peridexion, arbre indien ...
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      Gauche: Supérieur:

      Sur cette illustration du 13e siècle, un dragon recule de peur devant le peridexion, arbre indien mythique abritant des colombes. British Library, Londres.

      PHOTOGRAPHIE DE British Library, Album
      Droite: Fond:

      De nombreux bestiaires consacrent une section à un animal mangeur d’humains terrifiant, la manticore. Avec sa tête humaine, son corps de lion et sa queue de scorpion, cette créature ressemblant à un sphinx était connue des érudits médiévaux grâce aux écrits de plusieurs auteurs classiques, dont Aristote et Pline l’Ancien. Selon le Bestiaire de Rochester, créé en Angleterre, la voix sifflante de la manticore « ressemblait au son des flûtes et des cornemuses ». D’origine perse, cette créature mythique était probablement inspirée des tigres d’Inde. British Library, Londres.

      PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

      Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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