L’histoire controversée du passeport

L’histoire du passeport remonte aux temps bibliques, mais l’idée d’une standardisation mondiale des pièces d’identité est relativement récente.

De Giulia Pines
Publication 14 oct. 2025, 09:03 CEST
Dans cette photo prise vers 1927, des douaniers d’Ellis Island, à New York, inspectent les papiers d’identité ...

Dans cette photo prise vers 1927, des douaniers d’Ellis Island, à New York, inspectent les papiers d’identité d’un immigrant.

PHOTOGRAPHIE DE SZ Photo, Scherll, Bridgeman Images

L’histoire du passeport est une histoire complexe. De nos jours, ces pièces d’identité servant au voyage international incorporent de petits bijoux technologiques : micropuces, hologrammes, photos biométriques et codes-barres, notamment.

Il fut un temps où la traversée des frontières était moins compliquée ; cela tenait parfois à une simple promesse de bonne foi. Voici comment le voyage international a évolué pour devenir un système complexe reposant sur le passeport et où la sécurité est centrale.

 

LES ORIGINES BIBLIQUES DU PASSEPORT

Les origines du passeport remontent aux temps bibliques. Dans la Bible, le roi de Perse accorde des lettres de passage à Néhémie pour qu’il se rende dans le royaume de Judée.

Dans la Rome antique et en Chine également les voyageurs portaient sur eux des lettres similaires. Voilà plusieurs siècles, le sauf-conduit servait à accorder à un ennemi la libre « entrée et sortie dans un royaume en vue de ses négociations », explique l’historien Martin Lloyd dans The Passport: The History of Man’s Most Travelled Document.

Ce n’était guère plus qu’une requête écrite faisant office d’accord d’honneur : deux souverains reconnaissaient mutuellement leur autorité et se garantissaient que le franchissement d’une frontière ne provoquerait pas de guerre.

 

STANDARDS MODERNES

Par une multitude de photographies en noir et blanc et de films grésillants et truffés d’interférences se dessine une image emblématique des États-Unis au tournant du siècle dernier qui révèle l’existence d’un flux quasi ininterrompu d’immigrants.

La plupart d’entre eux devaient passer par Ellis Island, où ils subissaient un bref contrôle sanitaire, étaient interrogés et, dans la plupart des cas, autorisés à immigrer. Cela se faisait assez aisément, car il n’existait pas encore de norme mondiale en matière de papiers d’identité. Aujourd’hui, alors que la politique migratoire occupe le devant de la scène partout dans le monde, il est difficile d’imaginer comment l’on pouvait s’en passer alors.

Bien sûr, il n’est pas facile de faire appliquer des règles lorsqu’il n’existe aucun accord sur celles-ci. Mais tout cela changea en 1920, dans le sillage de la Première Guerre mondiale et sous l’impulsion de la Société des Nations, organisation qui avait la lourde tâche de préserver la paix, lorsque vit le jour l’idée d’une norme mondiale pour les passeports.

Un an plus tard, percevant sans doute une aubaine politique, les États-Unis adoptèrent l’Emergency Quota Act de 1921, puis l’Immigration Act de 1924 pour limiter l’afflux d’immigrés. L’urgence ? Trop de nouveaux venus de pays considérés comme une menace pour « l’idéal de l’hégémonie américaine ». Comment alors identifier le pays d’origine d’un migrant ? Grâce à un document tout neuf, le passeport.

 

LES DÉTRACTEURS DU PASSEPORT

Conçu par une organisation centrée sur l’Occident cherchant à maîtriser le monde d’après-guerre, le passeport était tout désigné ou presque à devenir un objet de liberté pour les privilégiés et un fardeau pour les autres.

« Un passeport est une sorte de bouclier : quand vous êtes un citoyen d’une démocratie riche », explique Atossa Araxia Abrahamian, autrice de The Cosmopolites: The Coming of the Global Citizen.

Suissesse née au Canada, d’ascendance iranienne, Atossa Araxia Abrahamian s’interroge sur la notion de citoyenneté. « Je n’ai pas d’attachement particulièrement fort à aucun de mes passeports ; je les vois comme des accidents de naissance et je ne m’identifierais à aucune nationalité si je n’y étais pas obligée. »

Des immigrants sur un paquebot transatlantique, le S.S. Patricia, vers 1906.

Des immigrants sur un paquebot transatlantique, le S.S. Patricia, vers 1906.

PHOTOGRAPHIE DE EDWIN LEVICK, Library of Congress

Comme elle, les détracteurs de la résolution de 1920 affirmaient qu’il s’agissait moins de créer une société plus démocratique de globe-trotters que d’exercer un contrôle, même au sein de ses propres frontières.

Au début du 20e siècle, les femmes américaines mariées étaient assez littéralement une note de bas de page dans le passeport de leur époux. Elles ne pouvaient pas franchir une frontière seules, tandis que les hommes mariés étaient, bien entendu, libres de se déplacer comme bon leur semblait.

Certains pays avaient pressenti les implications plus sombres du passeport et s’élevèrent contre ce qu’ils percevaient comme une domination occidentale, ainsi que l’explique Mark Salter dans Rights of Passage : The Passport in International Relations.

« Bien que de nombreux pays aient souhaité se débarrasser du passeport, comme quelques pays refusaient de l’abandonner, de fait, aucun pays ne pouvait se permettre de renoncer au passeport. »

Cette situation inextricable, alourdie d’une angoisse certaine, a fait des apparitions subtiles et discrètes dans la littérature de voyage du 20e siècle, notamment chez Paul Bowles et Joan Didion.

Personne, semble-t-il, n’aimait vraiment l’idée d’être étiqueté, catalogué et déshumanisé dans les pages d’un passeport, mais personne ne pouvait voyager sans.

 

NOUVELLES COMPLICATIONS

Ces dernières années, les passeports se sont trouvés au cœur d’une crise identitaire typique du 21e siècle, devenant un produit très prisé, au même titre que l’immobilier ou les œuvres d’art. Outre l’existence d’un marché noir sur lequel circule des passeports volés ou falsifiés, certains pays ont volontiers ouvert leurs frontières aux plus offrants.

« Quand j’ai découvert [durant mes recherches] qu’il existait tout un marché légal pour les passeports, cela a validé mon sentiment que la citoyenneté est une chose assez arbitraire », observe Atossa Araxia Abrahamian.

Par exemple, il y a quelques années, Malte et Chypre ont institué un programme de « passeport doré » permettant à des étrangers fortunés d’acheter, pour ainsi dire, la citoyenneté de l’Union européenne en échange d’investissements d’un million d’euros environ. Ce dispositif a récemment été annulé, mais d’autres pays ont lancé des initiatives similaires, comme la « carte dorée » américaine, qui accorde aux investisseurs étrangers un droit de résidence et parfois un chemin vers la citoyenneté.

Au-delà du pour cent d’humains les plus favorisés, l’évolution du paysage mondial (création de nouveaux États, fluctuations des frontières, politiques ethniques discriminatoires) a renforcé le phénomène d’apatridie, le fait de ne pas avoir de nationalité. 

Dans le monde, 4,4 millions de personnes au moins sont apatrides, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui reconnaît que ce nombre pourrait être plus élevé encore car de nombreux pays ne collectent pas de données de ce type. Ces personnes se voient souvent refuser la délivrance d’un passeport et, par conséquent, la liberté de circuler. Ces extrêmes illustrent une fois de plus combien nos conceptions de la citoyenneté sont troubles.

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    Une famille immigrée contemple la silhouette des immeubles de New York depuis le quai d’Ellis Island, le 13 août 1925, en attendant un ferry.

    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

    Selon le département d’État des États-Unis, 24,5 millions de passeports et de cartes d’identité ont été délivrés en 2024 dans le pays, un nombre qui a plus que doublé depuis la pandémie de 2020. Passport Index, outil en ligne très populaire, permet de comparer les passeports grâce à des interfaces interactives qui rappellent les classements de fantasy football. Chaque année, des magazines annoncent avec emphase les vainqueurs des classements des « meilleurs » et des « pires » passeports. Alors que de nombreux pays débattent de l’idée de la fermeture de leurs frontières, il est bon de méditer une nouvelle fois sur le caractère complètement arbitraire du passeport.

    Selon le pays d’origine, un passeport peut octroyer un privilège extrême ou bien être source de grande détresse. Il peut être un bouclier protecteur ou bien un fardeau à porter.

    L’histoire du passeport montre qu’il n’est pas près de disparaître, mais les précautions prises au fil des décennies pour en faire un document presque parfait doivent désormais évoluer avec notre monde en mutation.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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