Le concile de Nicée, un tournant dans l’histoire du christianisme

Cette assemblée mouvementée, qui se réunit il y a 1 700 ans exactement, fut déterminante dans l’histoire chrétienne.

De Candida Moss
Publication 3 juin 2025, 09:11 CEST
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Icône représentant l'empereur Constantin et les pères du premier concile de Nicée, qui se tint en 325, accompagnés du texte liturgique, en grec, du crédo de Nicée-Constantinople de 381. Artiste inconnu.

PHOTOGRAPHIE DE Signal Photos, Alamy Stock Photo

Le mois de mai a marqué le 1 700e anniversaire de la convocation de ce qui fut sans doute le concile le plus déterminant et le plus important de l’histoire chrétienne. Durant trois mois, en l’an 325, des centaines d’évêques des quatre coins de l’Empire se réunirent sur ordre de l’empereur Constantin Ier à Nicée, sur le littoral septentrional de ce qui est aujourd’hui la Turquie. La déclaration qui résulta de leurs débats, le crédo de Nicée, fut la première profession de foi officielle du christianisme et demeure, aujourd’hui encore, fondamentale pour les chrétiens du monde entier. Il suffit d’assister à n’importe quelle séance de catéchisme, de se rendre dans une église de quelque confession que ce soit, pour être confronté à des principes dérivant du crédo de Nicée.

 

LE DÉBAT

La tâche du concile était immense : établir la bonne doctrine chrétienne, fixer la date de Pâques, définir des juridictions épiscopales et élaborer des protocoles pour faire face aux schismes et dissidences qui menaçaient çà et là. Mais la question la plus pressante concernait les enseignements d’Arius, éminent prêtre d’Alexandrie entré en conflit avec son évêque, Alexandre d’Alexandrie.

Contrairement à certaines idées reçues, Arius et Alexandre affirmaient tous deux que Jésus était le fils de Dieu et qu’il était divin. Tous deux s’accordaient à dire – conformément au début de l’Évangile selon Saint Jean – que Jésus était présent à la création de l’Univers. Leur désaccord n’avait pas trait au caractère divin de Jésus mais à la modalité de ce caractère divin et à sa relation à Dieu le Père.

Arius soutenait qu’il « fut un temps où [Jésus] n’était pas », un bref instant primordial où le Fils n’existait pas encore. Cette position impliquait que Jésus était subordonné au Père ou du moins que la divinité du Fils était contingente par rapport à celle du Père. Alexandre, en revanche, affirmait que Jésus avait de toute éternité coexisté avec Dieu le Père et qu’il lui était pleinement égal.

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Le premier concile de Nicée vu par le peintre italien Cesare Nebbia (1536-1614). Tableau exposé aux Musées du Vatican, à Rome.

PHOTOGRAPHIE DE Album, Alamy Stock Photo

Cette controverse théologique était sous-tendue par des concepts philosophiques fondamentaux empruntés à des penseurs grecs tels que Platon. En cas d’unité totale entre le Père et le Fils, ce fut la thèse d’Alexandre et d’Athanase à sa suite, la souffrance endurée par le Fils lors de la crucifixion devait nécessairement être endurée par Dieu ; une impossibilité selon la philosophie platonicienne. Mais s’il les considérait comme trop distincts (la thèse d’Arius), alors le christianisme semblait devoir renoncer à ses racines monothéistes et adopter plusieurs déités. Chaque camp insistait sur une préoccupation différente quant à la nature de Dieu.

Au concile, des représentants de chaque faction proposèrent un terme différent pour exprimer la relation entre le Père et le Fils. Arius et ses partisans soutenaient l’homoiousios, mot signifiant « de substance similaire », tandis que le camp d’Alexandre exigeait l’homoousios, mot signifiant « de la même substance ». Il est frappant de constater que la controverse reposa dans son intégralité sur l’inclusion ou non d’une seule lettre grecque : la lettre iota. Cela donna notamment naissance à l’expression « ne pas changer d’un iota ».

 

L’EMPEREUR S’EN MÊLE

Constantin Ier n’entendait qu’assez mal les subtilités philosophiques et théologiques du débat. Il en vint, selon son biographe Eusèbe de Césarée, à se plaindre que ce débat était une querelle portant « sur des points insignifiants et assez minuscules ». Pourquoi alors prit-il la peine de convoquer une assemblée aussi coûteuse et chronophage ? Depuis longtemps, les empereurs romains considéraient que la concorde et l’uniformité des pratiques religieuses étaient essentielles à la réussite et à la stabilité de l’Empire. 

Constantin passa le plus clair de sa carrière à faire usage de la force pour réunifier un royaume divisé ; il ne pouvait pas tolérer la discorde au sein de l’Église. Ainsi que l’écrit l’historienne du christianisme primitif Paula Fredriksen dans un livre publié récemment intitulé Ancient Christianities, Constantin et les chefs de l’Église partageaient l’idée qu’une « religion digne de ce nom se devait d’être unanime, que l’identité et l’unité de la véritable Église ne pouvait souffrir d’ambiguïté ». Selon les mots de Constantin, la division au sein de l’Église était pire que la guerre.

 

L’ISSUE

Les délibérations du concile de Nicée furent marquées par de fortes tensions. Selon une légende du 14e siècle, saint Nicolas, figure que l’on associerait plus tard au père Noël, se serait emporté au point de gifler Arius. Si la factualité historique de cet épisode est incertaine, elle n’en reflète pas moins fidèlement la férocité du débat.

Finalement, le concile se prononça contre Arius et produisit une déclaration théologique formelle : le crédo de Nicée. Le vote fut massivement favorable au crédo. Seuls une vingtaine d’évêques s’abstinrent initialement de soutenir le crédo et seuls trois (Arius et ses deux alliés les plus proches) refusèrent de le signer. Les derniers dissidents furent par la suite contraints d’y adhérer sous la pression de l’empereur Constantin. Bien que ce dernier ne le votât pas lui-même, il intervint dans sa rédaction et insista sur l’inclusion du terme homoousios (« d’une même substance ») dans le crédo final.

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    La plus ancienne copie du crédo de Nicée à nous être parvenue date du 6e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE PICTORIAL PRESS LTD, Alamy Stock Photo

    Ainsi que le remarque Paula Fredriksen, il y avait pour les soutiens d’Arius des intérêts financiers et politiques à rompre les rangs : Constantin transférait des richesses aux évêques orthodoxes, leur permettait de voyager aux frais de l’État, leur octroyait une autorité légale de magistrats et faisait distribuer du grain à leurs églises.

    On exila Arius en Égypte et on le déclara hérétique. Même après sa mort, les chrétiens orthodoxes continuèrent à l’attaquer. Ils propagèrent la rumeur d’une mort indigne : il était mort dans des toilettes publiques, d’une diarrhée explosive. À en croire la légende, la force de ses selles aurait expulsé ses intestins de son corps. Une histoire invraisemblable. Comme l’écrit Ellen Muehlberger, professeure à l’Université du Michigan, ce n’est là qu’un récit parmi tant d’autres datant des débuts du christianisme dans lesquels hérétiques et schismatiques meurent dans de spectaculaires accidents au petit coin. Cela eut pour effet de salir les enseignements d’Arius et de renforcer la réputation de Nicée et de ses décisions.

     

    L’ÉGLISE PERDUE

    Malgré toute l’influence du concile de Nicée, on ignorait complètement il y a très peu de temps encore où il s’était tenu. Mais en 2018, après un siècle d’efforts vains, des scientifiques ont annoncé la découverte de ruines romaines antiques sous la surface du lac d’Iznik, en Turquie. Mustafa Sahin, directeur du département d’archéologie de l’Université Bursa Uludag, fouillait le littoral depuis des années quand on lui a montré, en 2014, des photos issues d’un relevé gouvernemental révélant clairement la silhouette d’une grande église sous l’eau. L’édifice, situé à 50 mètres des rives, est submergé par deux à trois mètres d’eau. Mustafa Sahin et son collaborateur, le spécialiste de la Bible Mark Fairchild, sont convaincus que c’est là que se tint le concile de Nicée.

    Les recherches archéologiques subséquentes ont révélé que la basilique submergée s’était effondrée durant un tremblement de terre en l’an 740 et qu’elle n’avait jamais été reconstruite. Des variations du niveau de l’eau du lac ont par la suite englouti les ruines. Les voyageurs intrépides seront heureux d’apprendre que les ruines sont ouvertes à la visite. En 2018, le maire d’Iznik, Alinur Aktas, avait promis que des cours de plongée professionnels seraient disponibles pour les touristes souhaitant visiter le site.

    Pour les chrétiens d’aujourd’hui, Nicée demeure un symbole d’une époque où l’Église était moins divisée. Bien que les participants au concile n’aient été ni unis, ni civils à l’époque, les figures de proue du christianisme actuel considèrent le crédo de Nicée comme un symbole de concorde et de foi partagée entre les différentes confessions qui composent la chrétienté contemporaine. En effet, le crédo précède les schismes qui séparèrent les diverses branches du christianisme orthodoxe et du catholicisme romain. Avant sa mort, le pape François avait émis le souhait de rejoindre le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, à Nicée pour l’anniversaire du concile. Le pape Léon XIV effectuera le voyage en novembre et a exprimé le souhait de « poursuivre le dialogue entre l’Est et l’Ouest [le christianisme orthodoxe et le catholicisme romain] ». Tout ceci montre que même engloutie, Nicée demeure une lueur d’espoir pour les chrétiens du monde entier.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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