Comment Vivaldi est passé de la gloire à l’oubli, puis au statut d'icône

Avant sa mort en 1741, la musique de Vivaldi tomba en disgrâce. Il mourut dans la misère et son nom, ainsi que sa musique, tombèrent dans l'oubli... avant d'être remise au goût du jour des siècles plus tard.

De Carlos Prego
Publication 25 juil. 2023, 10:02 CEST

Ce portrait anonyme d'un compositeur qui représenterait Antonio Vivaldi n'indique guère que celui-ci était prêtre. La perruque et les vêtements sont ceux d'un Vénitien, ce qui remit en cause l'authenticité du modèle. Il existe cependant des preuves que, tout au long de sa vie, la prêtrise ne fut pour Vivaldi qu’un second rôle par rapport à sa véritable vocation de musicien. Elle permettait à des jeunes gens de condition modeste comme Vivaldi de démarrer dans la vie. Il fut nommé prêtre et maître de musique en 1703, ce qui lui offrit un salaire de soixante ducats et la possibilité de commencer à construire sa carrière de compositeur et d'impresario d'opéra.

PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

Les Quatre Saisons sont aussi célèbres qu'un morceau de musique classique peut l'être. Cette collection intemporelle de quatre concertos, chacun incarnant une saison différente, semble aussi entraînante et enivrante aujourd'hui que lorsque Antonio Vivaldi l'a révélée au public en 1725. 

L'œuvre compte parmi les morceaux de musique classique les plus appréciés jamais composés. Cependant, avant la Seconde Guerre mondiale, seuls quelques spécialistes de l'histoire de la musique en avaient entendu parler. Même le nom de Vivaldi n'était alors qu'une obscure note de bas de page dans certains manuels.

Un Stradivarius, violon signé Antonio Stradivari, qui a été fabriqué en 1715.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Il n'en fut pas toujours ainsi. Vivaldi, véritable virtuose, était un célèbre violoniste et compositeur adulé dans toute l'Italie, l'Allemagne, la France et l'Angleterre. Son génie en ébullition produisit plus de quarante opéras et des centaines de concertos joués dans toute l'Europe. À l'instar de ses contemporains Jean-Sébastien Bach et Georg Friedrich Haendel, Vivaldi fut une figure emblématique de la musique baroque.

Dérivé du mot portugais signifiant « perle irrégulière », le terme « baroque » fut d'abord une injure avant de devenir un style de musique populaire. Composée pour des instruments comme le clavecin et le violon, la musique baroque se caractérise par des harmonies complexes et des mélodies passionnées qui permettent aux solistes de déployer toute l'étendue de leur talent. Avant sa mort en 1741, la musique de Vivaldi tomba en disgrâce et il sombra dans la pauvreté. Il mourut dans la misère et son nom, ainsi que sa musique, tombèrent dans l'oubli, avant de ressusciter des siècles plus tard.

 

LE PRÊTRE ROUX

Antonio Lucio Vivaldi vint au monde à Venise en 1678 avec une santé fragile. Dès le berceau, il souffrit d'une affection pulmonaire, « une oppression thoracique », comme il la décrivit, probablement de l'asthme. Il grandit en marge de la société, né d’une mère fille de tailleur et d’un père, auparavant barbier, qui fut malgré tout reconnu comme un éminent violoniste de l'orchestre de la basilique Saint-Marc.

À l'adolescence, Antonio Vivaldi se prépara à la prêtrise, l'une des rares options de carrière qui s'offraient à lui. Il n'avait cependant pas échappé à l'attention de son père que Vivaldi était un violoniste incroyablement doué. Il est presque certain qu’il fut le premier professeur de son fils ; utilisant ses propres contacts dans le monde musical vénitien, il pourrait bien avoir obtenu pour son fils des leçons avec certains des meilleurs musiciens de la ville.

Parallèlement, le jeune Vivaldi poursuivit ses études de théologie et entra dans les ordres au début de la vingtaine. Ses cheveux roux et son rôle sacré lui valurent le surnom de il Prete rosso, « le Prêtre roux », qui suggère une personnalité haute en couleur et un tempérament vif. Il aurait pu rester prêtre musicien amateur toute sa vie si l’Ospedale della Pietà de Venise ne lui avait pas proposé un emploi en 1703.

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    Dans cette peinture à l'huile de Gabriele Bella, un concert est donné par l'ensemble féminin de l'Ospidale della Pietà de Venise à la fin du 18e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

    Fondé au 14e siècle, l’Ospedale della Pietà de Venise était un couvent-école pour jeunes filles orphelines ou abandonnées. Les pupilles douées pour la musique étaient sélectionnées et formées pour jouer dans le chœur et l'orchestre de l'école. À l'époque de Vivaldi, leurs prestations étaient devenues célèbres dans toute l'Europe. Celui-ci fut nommé à un poste qui combinait ses deux rôles de prêtre et de musicien.

    Les récits suggèrent qu'il était davantage motivé par la musique que par la foi. Il prétendait que sa mauvaise santé l'empêchait de faire trop d'efforts. Il fut, à plusieurs reprises, contraint de quitter l'Eucharistie à mi-parcours. Son affection ne sembla toutefois pas affecter ses activités de compositeur, d'enseignant et d'interprète, prodigieuses à l'aube de ses vingt ans.

    Les représentations musicales de l’Ospedale della Pietà de Venise furent lucratives pour l'institution. Celle-ci était connue pour faire se produire des virtuoses du luth, du violoncelle et du clavecin. Vivaldi et l’Ospedale della Pietà entretinrent des relations par intermittence pendant une grande partie de la vie de celui-ci, ce qui leur fut mutuellement bénéfique : les brillantes compositions de Vivaldi permirent à ses élèves de briller et apportèrent davantage de notoriété à l'école. Le public affluait pour assister aux représentations des jeunes interprètes et remplissait les caisses de l’institution. Dans le cadre de ses fonctions d'enseignant, Vivaldi fut également amené à composer pour les jeunes interprètes. En échange de ses talents, il bénéficia d'une sécurité financière qui lui permit d'écrire certaines des compositions baroques les plus innovantes.

    “En raison de ses cheveux roux et de son rôle sacré, Antonio Vivaldi fut surnommé il Prete rosso, soit « le Prêtre roux », un nom qui suggère une personnalité haute en couleur et un tempérament vif.”

    CONCERTOS ET OPÉRAS

    Antonio Vivaldi passa maître dans une forme musicale étroitement associée au baroque : le concerto. En 1711, il publia sa première série de concertos pour violon et orchestre à cordes. Tout en veillant à respecter ses devoirs auprès de l’Ospedale della Pietà, Vivaldi entama une longue carrière parallèle d'impresario en 1713, lorsque son père et lui prirent la direction du Teatro Sant'Angelo de Venise où ils mirent en scène le deuxième opéra d'Antonio Vivaldi : Orlando Finto Pazzo.

    En 1718, Vivaldi prit congé de l’Ospedale della Pietà pour occuper le poste de directeur musical à Mantoue où il écrivit l'opéra Tito Manlio en cinq jours seulement. Située dans ce qui est aujourd'hui le nord de l'Italie, Mantoue était alors sous le contrôle de l'Autriche des Habsbourg. Le séjour de Vivaldi dans cette ville lui ouvrit les portes du monde germanophone, notamment à la cour du noble et mélomane comte de Bohême Wenzel von Morzin qui le nomma maître de musique.

    Vivaldi était attiré par la musique à programme, des compositions qui racontent une histoire, souvent accompagnées de notes de programme. Parmi les œuvres que Vivaldi présenta au comte Wenzel von Morzin figurait un quatuor de concertos au titre saisissant : Le Quattro Stagioni, soit « Les Quatre Saisons ». Lorsqu'il publia cette œuvre en 1725, Vivaldi inclut des poèmes qui accompagnaient chaque concerto. La narration des concertos est renforcée par des vers qui mettent en lumière ce que la musique de Vivaldi tente d'évoquer.

     

    RENAÎTRE DE SES CENDRES

    Dans les années 1720, Vivaldi était à son apogée, mais une décennie plus tard de sombres nuages commencèrent à obscurcir son avenir. Les tendances et les goûts musicaux évoluèrent et le travail se faisait plus rare. Dépensier, il avait accumulé des dettes alors que sa carrière commençait à s'essoufler. Ses créanciers ne tardèrent pas à l'accabler.

    En 1740, il se rendit à Vienne dans l'espoir d'obtenir le patronage de l'empereur Charles VI. Alors qu’il espérait également y mettre en scène un opéra, les théâtres fermèrent pendant de nombreux mois suite à la mort de l'empereur en octobre. Le moment n'aurait pu être plus mal choisi pour Vivaldi. Acculé, pauvre et malade, le compositeur mourut le 27 juillet 1741 et fut enterré dans une tombe anonyme.

    La musique de Vivaldi était toujours jouée à l’Ospedale della Pietà mais sa réputation déclinait. Le dramaturge vénitien Carlo Goldoni le jugeait « excellent violoniste mais médiocre compositeur ». Le musicien anglais Charles Avison le plaçait dans « la classe la plus basse des compositeurs » et William Hayes, professeur de musique à l'université d'Oxford, attribuait ce qu'il considère comme les limites de Vivaldi au « mauvais usage de son grand talent ».

    Au début des années 1800, un regain d'intérêt pour Bach révéla que le compositeur allemand devait en partie son succès au virtuose vénitien. Alors que l'héritage de Vivaldi commençait lentement à renaître, sa musique restait rarement jouée au début des années 1900 et n'était connue que des spécialistes de la musique baroque.

    La musique enregistrée allait tout changer. L'enregistrement novateur des Quatre Saisons par le violoniste américain Louis Kaufman au Carnegie Hall de New York en 1947 a catapulté Vivaldi vers une renommée mondiale presque du jour au lendemain, donnant ainsi la possibilité au public d'écouter cette musique vibrante sur un phonographe. Qu'il s'agisse de radio diffusant de la musique classique, de publicités télévisées ou de bandes originales de films, Les Quatre Saisons et autres compositions connues de Vivaldi gagnèrent en popularité pendant le reste du 20e siècle, redonnant au compositeur la place qui lui revenait parmi les plus grands compositeurs de musique classique.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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