Faut-il nécessairement prendre des médicaments en cas de maladie saisonnière ?

Fièvre, difficultés respiratoires, fatigue : avant de se rendre en pharmacie, mieux vaut comprendre les spécificités des différents types de médicaments.

De Emily Sohn
Publication 17 janv. 2023, 10:59 CET
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Les maladies respiratoires sont plus répandues cet hiver qu’elles ne l’ont été depuis des années, alors qu’une pénurie de pénicilline et de médicaments sans ordonnance touche actuellement la France.

PHOTOGRAPHIE DE Petr Svancara, CTK, AP Images

L'hiver est particulièrement rude cette année. La résurgence des cas de grippe, de bronchiolite causée par le virus respiratoire syncytial (VRS) ou d’autres maladies respiratoires saisonnières qui s’ajoutent aux cas de COVID-19, se couple à la difficulté actuelle de trouver les médicaments généralement utilisés pour traiter la toux et la fièvre. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui recense les médicaments en pénurie, indique des tensions d’approvisionnement de paracétamol et d’amoxicilline.

La situation est la même aux États-Unis. Erin Fox, directrice principale de la pharmacie de l'Université de l'Utah, à Salt Lake City, affirme que les « pharmacies multiplient les appels, car elles ne peuvent fournir les médicaments prescrits » et que nombre de ses collègues médecins à travers le pays lui ont confié faire face aux mêmes problèmes.

Les causes de cette pénurie de médicaments sont plurifactorielles : difficultés dans la chaîne d’approvisionnement, demande soudaine, et phénomène de masse, car tout le monde se rue en pharmacie par peur de la pénurie, expliquent les experts. S’ajoutent à cela des croyances et idées reçues concernant les médicaments à utiliser pour combattre certaines maladies.

« En cas de pénurie, on essaie de faire le tri entre les patients qui bénéficieront le plus de ces médicaments et les autres », explique Nipunie Rajapakse, pédiatre en maladies infectieuses à la Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota.

Alors que l'hiver et les infections qui l'accompagnent se prolongent, les experts estiment qu'une meilleure compréhension du rôle des médicaments dans le traitement de diverses maladies pourrait atténuer l'anxiété suscitée par les rayons vides des pharmacies, réduire les conséquences néfastes d'une utilisation abusive de médicaments, et permettre aux personnes qui en ont le plus besoin de recevoir le traitement qu'il leur faut.

 

LE PARACÉTAMOL ET L’IBUPROFÈNE

La fièvre est source d’inquiétude, surtout quand elle survient chez les jeunes enfants et qu’elle dépasse les 40 °C. Pourtant, les idées reçues persistent quant à savoir comment et quand la traiter à l’aide d’un médicament.

Par exemple, on pense à tort que les médicaments sont nécessaires pour réduire les risques de complications telles que les convulsions chez les enfants : une idée reçue qui n'a jamais été prouvée, selon Rajapakse. Les convulsions fébriles sont provoquées par une hausse rapide de la température, et non par la forte température en elle-même, explique-t-elle. Ainsi, au moment du pic de fièvre, il est déjà trop tard pour qu’un médicament fasse la différence. Certaines études ont attribué de potentiels effets prophylactiques aux antalgiques, mais la plupart prouvent que donner du paracétamol ou de l’ibuprofène à la chaîne « ne permet pas nécessairement d’empêcher une convulsion fébrile si elle est sur le point d'arriver ».

À l’inverse, certaines personnes tendent à croire que le paracétamol entrave le renforcement immunitaire organisé par le corps pour traiter la fièvre. Pourtant, selon les experts, ce médicament n’est pas assez puissant pour empêcher le bon fonctionnement de notre système immunitaire : ainsi, si vous vous sentez mal, n'essayez pas de combattre une fièvre sans médicament pour vous soulager.

En revanche, si la fièvre atteint les 40,5 °C, il faut se rendre aux urgences, explique Megan Ranney, médecin urgentiste à l’école de santé publique de l’Université Brown, à Rhode Island. L’aspirine n’est par ailleurs pas recommandée pour les enfants.

Dans le cas où il n'est pas nécessaire de se présenter aux urgences, Nipunie Rajapakse recommande de traiter la fièvre en fonction de l'état du malade. En effet, la pédiatre reçoit souvent aux urgences des enfants affichant une fièvre de 39,5 °C, qui se sentent pourtant en forme : dans ce cas, il n'y a selon elle pas besoin de médicaments. « Un enfant peut aussi avoir très peu de fièvre, mais sembler vraiment mal en point, ne pas manger ni boire, se réveiller la nuit à plusieurs reprises ou se sentir mal », précise-t-elle. « Dans ce cas-là, on peut bien sûr traiter la fièvre. »

 

LES ANTIBIOTIQUES

L'amoxicilline est un grand classique chez les pédiatres. Elle est entre autres utilisée pour combattre les infections ORL, pneumonies et angines d’origine bactérienne, le tout sans grands effets secondaires, explique Rajapakse. Cependant, la pénurie d’amoxicilline a contraint les médecins à prescrire d’autres antibiotiques qui sont potentiellement plus difficiles à tolérer par l’organisme, ou moins efficaces contre les bactéries à l’origine de l’infection.

La pénurie met en lumière les difficultés actuelles liées à la prescription excessive d’antibiotiques. Comme l’ont montré certaines études, près d’un tiers des antibiotiques prescrits à des malades de tous âges sont soit totalement inutiles, soit prescrits de manière incorrecte (erreur de médicament, mauvais dosage, durée de traitement inadaptée). La pénurie a débuté alors que les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) des États-Unis et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) venaient de se réunir pour une semaine d’échanges consacrés à la réduction de l’utilisation abusive des antibiotiques.

« C’est une boucle infinie, car dès qu’on fait un pas en avant, on finit par reculer », déplore Ranney.

Une prise injustifiée d’antibiotiques n’augmente pas seulement les risques de réactions allergiques, de problèmes rénaux et d’effets secondaires comme la diarrhée, décrit Rajapakse. Elle donne également aux bactéries l’opportunité de développer une résistance aux antibiotiques, ce qui est néfaste pour la société dans sa globalité.

Ce problème est notamment dû au fait que les patients croient à tort avoir besoin d'antibiotiques pour des petites affections telles qu'une otite ou encore une toux persistante, alors que ces pathologies sont souvent d’origine virale. « Je ne vous raconte pas le nombre de patients qui se présentent aux urgences en disant : "je tousse depuis deux semaines, je sais que j’ai juste besoin d’un antibiotique" », révèle Ranney. « On sait que, si nous ne leur prescrivons pas ce qu'ils veulent, quelqu'un d'autre le fera. »

Les professionnels de santé étant débordés, il peut être plus simple de prescrire un médicament plutôt que de prendre le temps de leur expliquer pourquoi ils n’ont pas forcément besoin de ce traitement, explique Rajapakse. Essayer de convaincre un patient peut s’avérer une tâche ardue, et il est tentant de faire preuve d’un excès de prudence en donnant un traitement, même si cela n'est pas justifié. Par exemple, si 10 % des maux de gorge sont causés par une angine, pour laquelle le recours aux antibiotiques est nécessaire afin d'éviter de futures complications, 90 % d'entre eux sont d’origine virale.

Pour réduire le recours abusif aux antibiotiques, Rajapakse préconise aux parents de demander aux professionnels de santé s’il est plus prudent d'attendre que la maladie passe d'elle-même, plutôt que d’exiger des antibiotiques ou d’accepter immédiatement une prescription. Elle conseille également d’essayer d’autres moyens d’atténuer les symptômes, en donnant par exemple du paracétamol, de l’ibuprofène, ou une glace à leur enfant, ou encore d'installer un humidificateur d’air ou de faire des lavages de nez. « Il y a beaucoup de choses que les familles peuvent faire en attendant que le système immunitaire de leur enfant combatte le virus, et qui ne nécessitent pas de prise d’antibiotiques. »

Malgré la fin de cette épidémie de grippe, selon les chercheurs, les pénuries de médicaments risquent de rester un problème récurrent, comme on l'observe depuis des années. En 2018, bien avant la crise de COVID-19, l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a réuni un groupe de travail qui a identifié plusieurs causes à l’origine des pénuries de médicaments : le manque de motivation de l'industrie pharmaceutique à produire moins de médicaments lucratifs, et les difficultés logistiques qui empêchent le marché de se rétablir après des bouleversements. Bien que le rapport du groupe ait également proposé des solutions, en suggérant notamment que les entreprises pharmaceutiques produisent moins de médicaments, baissent leurs prix (notamment aux États-Unis, où le prix des médicaments n’est pas encadré) et fassent preuve de plus de transparence en cas de potentielles pénuries, le problème persiste.

En attendant, nous pouvons toutes et tous nous préparer aux variations de disponibilité des médicaments. Les experts recommandent d’avoir chez soi une petite réserve de médicaments sans ordonnance (petite, pas tout un arsenal !) et d’adopter des stratégies non médicamenteuses, simples mais efficaces, telles que le fait de prendre des bains chauds ou de boire du thé avec du miel. Il est également recommandé de déterminer le niveau de risque de sa famille afin de savoir s’il faut consulter dès l'apparition des premiers symptômes, et se faire ainsi prescrire des antiviraux rapidement si cela est nécessaire.

En matière de santé, mieux vaut toujours pratiquer de bonnes habitudes, ajoute Ranney, qui conseille également de se faire vacciner contre la grippe, de faire son rappel pour le COVID-19, de se laver les mains et de porter le masque, particulièrement dans les endroits clos lorsqu'il y a du monde. « La meilleure façon d’éviter d’avoir à prendre des médicaments, c’est d’éviter de tomber malade en premier lieu. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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