Nous avons remplacé les bains par des douches... mais est-ce meilleur pour notre santé ?

Pendant des millénaires, nous avons partagé des bains publics pour socialiser, nous détendre, parfois même faire la fête. Les douches sont plus écologiques et économiques, mais sont-elles meilleures pour notre santé ?

De Leah Worthington
Publication 18 avr. 2024, 13:07 CEST
Les thermes Király, le plus ancien établissement thermal de Budapest, a été construit par les Turcs ...

Les thermes Király, le plus ancien établissement thermal de Budapest, a été construit par les Turcs ottomans au 16e siècle. Les bains publics comme celui-ci (la photographie date de 2008) ont été le principal moyen de se laver pour la population pendant des milliers d'années.

PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale, Nat Geo Image Collection

Pour la plupart d'entre nous, prendre une douche rythme nos journées. D'après une étude menée par l'Ifop en 2022, 76 % des Français prendraient une douche au moins une fois par jour, d'une durée moyenne de 9 minutes, selon un sondage réalisé par BVA-Doméo

Si elles semblent si ancrées dans les usages actuels, les douches restent une pratique relativement nouvelle. Les plus anciennes mentions de bains publics remontent à 3 000 avant notre ère, et ceux-ci semblaient jouer un rôle central dans la vie quotidienne. Des bains publics de la Grèce antique aux onsen japonais, toutes les classes sociales se réunissaient pour y faire de l'exercice, se baigner et socialiser. 

Aujourd'hui, on préfère de loin prendre des douches seul plutôt que socialiser dans les bains publics ; la priorité est donnée à l'efficacité plutôt qu'à la communication et à la détente. Si la douche est indiscutablement plus écologique et rapide que le bain, elle n'est pas nécessairement préférable du point de vue de notre santé.

 

UNE PRATIQUE MILLÉNAIRE

Les différentes manières de prendre des bains tout au long de l'histoire reflètent l'évolution des préconçus en matière d'hygiène et de santé. 

Dans les temps anciens, particulièrement sous l'Empire Romain, prendre un bain était une affaire publique. Seuls les plus fortunés disposaient de leurs propres bains privés, quand tous les autres prenaient part aux bains publics. On prenait le bain dans d'immenses établissements thermaux où l'on pouvait se faire masser, et dans lesquels on avait accès à des bibliothèques, de la nourriture et des boissons. 

Les Thermes du forum, situés derrière le Temple de Jupiter à Pompéi, en Italie, remontent à 80 avant J.-C.

PHOTOGRAPHIE DE David Hiser, Nat Geo Image Collection

« Il existe beaucoup d'illustrations artistiques qui montrent entre autres des fêtes qui se tenaient dans les bains publics et donnent à voir les personnes qui y dînaient », déclare Virginia Smith, historienne et autrice de Clean: A History of Personal Hygiene and Purity. (ndlr : Propre : Une histoire de l'hygiène et de la pureté). 

Pour les Grecs anciens, prendre un bain revenait à se purifier, un acte d'importance avant d'observer des rites religieux ou avant d'accueillir des hôtes, révèle Katherine Ashenburg, autrice d'un livre sur le sujet. Les établissements thermaux traditionnels japonais avaient des visées thérapeutiques et rituelles et, plus tard, sont devenus des lieux de rassemblement social. Les banias russes et les hammams turcs étaient également des endroits importants pour les activités sociales et religieuses.

« Dans l'esprit des gens, prendre un bain n'était pas toujours associé à la propreté », explique Katherine Ashenbrug. « Parfois, on pensait que le fait d'aller dans l'eau non seulement n'apportait rien en termes de propreté, mais était en fait dangereux pour la santé. »

Lorsque la peste noire s'abattit sur l'Europe médiévale, par exemple, les bains publics furent fermés car l'on était persuadé que l'ouverture des pores induite par l'eau chaude permettait à la peste de se frayer un chemin sous la peau.

Bien que cette croyance soit infondée, la problématique de l'hygiène dans les bains publics se posait, selon James Hamblin, physicien et maître de conférence à l'Université de Yale, et auteur d'un livre sur les connaissances scientifiques en termes de propreté et de routine beauté. « Certains récits concernant des bains anciens [...] décrivent des couches de boue à la surface de l'eau », dit-il. « Le cas échéant, vous vous exposiez à des agents pathogènes. » 

 

LA NOUVELLE ÈRE DES BAINS

Les grands bains publics tombèrent en désuétude, pour peu à peu disparaître au tournant du 20e siècle, du moins en Occident. La théorie microbienne précipita la fin des bains publics : « prendre un bain est devenu fortement associé à la propreté », explique James Hamblin. 

À partir de la moitié des années 1800, des villes du Royaume-Uni entamèrent la construction de bains publics et d'établissements thermaux, principalement destinés aux populations les plus pauvres. De la même manière, des politiques publiques furent mises en œuvre aux États-Unis, notamment à New York où l'eau courante était encore inaccessible au plus grand nombre, alors même que plusieurs vagues d'immigrés y avaient trouvé refuge. Avec le développement des « bains de pluie », premières douches utilisées d'abord par les militaires et les ouvriers européens, arriva une nouvelle vision de la santé publique et de l'hygiène.

Le temps des bains longs, luxueux et publics était révolu. Parce qu'il était peu coûteux, prenait peu de place, faisait faire des économies en eau et en chauffage, le bain de pluie gagna en popularité. Alors que l'on commençait à installer de la plomberie à l'intérieur des maisons, les baignoires et les douches personnelles furent de plus en plus communes et, à terme, devinrent la norme. 

Naomi Adiv, professeure adjointe en sciences politiques à l'université de Toronto Mississauga, attribue en grande partie cette évolution à la « montée du capitalisme industriel » en Amérique. « L'idée d'aller passer l'après-midi aux bains n'est pas compatible avec l'objectif de productivité des travailleurs. »

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    Hoshi Onsen Chojukan est une auberge vieille de 140 ans dont les bains de source chaude sont situés dans le parc national de Jōshin'etsukōgen, au Japon.

    PHOTOGRAPHIE DE Gregor Lengler, Laif, Redux

    Il existe encore des bains publics dans le monde entier, notamment en Turquie, en Russie et au Japon. Mais nos rituels de nettoyage quotidiens ont été largement relégués aux bains individuels et aux cabines de douche, et ce ne serait pas nécessairement une bonne chose.

    « Nous avons perdu l'aspect social du bain et, pour beaucoup d'entre nous, le sentiment de plaisir qu'il procure », estime James Hamblin.

     

    FAUT-IL PRENDRE DES BAINS OU DES DOUCHES ?

    D'un point de vue sanitaire, peu de recherches comparent les bienfaits du bain et de la douche. Avec une source d'eau propre, les deux sont efficaces pour l'hygiène personnelle, d'après Kelly Reynolds, professeure en Communauté, environnement et politique à l'Université d'Arizona, pour qui cela « semble vraiment être une question de choix personnel. » 

    Pour celles et ceux qui s'inquiétaient de se baigner dans de l'eau rendu insalubre par notre propre saleté, Amy Huang, une dermatologue basée à Manhattan souligne qu'« à moins d'être vraiment très sale... il ne devrait y avoir aucun risque [à prendre un bain]. »

    D'après James Hamblin, à l'instar du microbiote intestinal, le microbiome cutané contient des milliers d'espèces de microbes qui vivent sur la peau et contribuent à sa santé. Les bains comme les douches peuvent temporairement retirer ce microbiome ou endommager notre peau si l'eau est trop chaude, si l'on utilise trop de savon, ou si l'on frotte trop vigoureusement.

    « L'idéal serait de prendre un savon doux... sans parfum, sans colorant, et de préférence qui ne mousse pas », recommande Amy Huang. « Vous n'avez même pas besoin de frotter partout. Concentrez-vous sur les aisselles, les parties génitales, les pieds et le cuir chevelu si vous vous lavez les cheveux », ajoute-t-elle. Katrina Abuabara, professeure adjointe en dermatologie à l'UCSF, ajoute qu'« utiliser des courges éponges ou des gants de toilette peut endommager la couche la plus externe de l'épiderme. Se laver avec ses mains est suffisant. »

    Pour les personnes atteintes d'eczema ou d'autres maladies de peau, les bains peuvent constituer un élément efficace de leur schéma thérapeutique. « Le fait de rester plus longtemps dans les bains que sous la douche rend la peau plus douce, de sorte que lorsque vous appliquez une lotion... elle l'absorbe mieux », explique Huang. 

    Prendre un bain chaud peut aussi améliorer votre forme physique et mentale, selon Justine Grosso, psychologue du corps et de l'esprit à New York et en Caroline du Nord. « Il a été démontré que plonger dans un bain, plus que de se doucheraméliore l'humeur chez les personnes atteintes de dépression, améliore la qualité du sommeil pour celles atteintes d'insomnie et a un effet positif sur le système cardiovasculaire », souligne-t-elle.

    La façon dont les bains chauds agissent sur le corps fait encore l'objet d'études. « Il existe des signes qui montrent que ça fonctionne par vasodilatation. L'augmentation des vaisseaux sanguins permet le passage de plus d'oxygène et de nutriments dans la périphérie du corps », ajoute Justine Grosso.

    « C'est une question de chaleur », explique Ashley Mason, psychologue clinicienne à l'UCSF Osher Center for Integrative Health. Des études préalables suggèrent que s'immerger dans un sauna, un hammam, un jaccuzi et dans une douche ou un bain chaud au moins une fois par jour peut être bénéfique. 

    De manière générale, lorsqu'il s'agit de se laver, James Hamblin affirme qu'il vaut mieux en faire moins. Le secteur de l'hygiène a « médicalisé » une pratique qui n'a pas grand-chose à voir avec la prévention des maladies, d'après lui. Sans remettre en question la nécessité de l'usage du savon pour la santé publique, il accuse le marketing moderne de manipuler les consommateurs en leur faisant croire à l'importance d'un rituel quotidien en utilisant des produits coûteux. 

    Il ajoute que, d'un point de vue médical, les bains publics n'ont jamais eu pour visée la bonne santé de ses utilisateurs. Cependant, « en termes de connexion sociale et de détente, je ne doute pas de l'existence de certains effets. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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