Voici ce qui se cache derrière l’industrie du café de luxe "naturellement raffiné"

Ces grains de café haut-de-gamme sont extraits des excréments de civettes, d’éléphants et d’oiseaux. On en sait néanmoins peu sur les conditions de vie et la façon dont sont traités ces animaux en captivité.

De Dina Fine Maron
Publication 14 déc. 2023, 18:02 CET
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Une fois digérée par la civette, la cerise de café, fruit à l’origine des grains de café, donne un goût spécifique à la boisson qui en résulte, le kopi luwak. Ici, des grains produits par une civette en Indonésie sont exposés au musée de la nourriture dégoûtante de Berlin. 

PHOTOGRAPHIE DE Andreas Pein, Laif, Redux

Envie d’un café dont les grains viennent tout droit de la bouse d’un éléphant ? C’est ce que propose l’un des types de cafés les plus chers du moment au monde. Vendue dans des sachets de deux portions pour environ 140 euros, cette boisson est servie dans les hôtels de luxe et aux clients d'importance. Vous pouvez également en trouver une petite quantité en ligne.

Cette boisson coûteuse est produite par le biais d’éléphants d'Asie en captivité, nourris d'un mélange de cerises et d’autres fruits. Leur estomac décompose la matière végétale par fermentation, ce qui la débarrasse de son goût amer, explique le fondateur de l'entreprise, le Canadien Blake Dinkin, qui a lancé le projet en 2012.  Il travaille actuellement avec les propriétaires de sept éléphants dans la province de Surin, dans le nord de la Thaïlande, pour fabriquer sa gamme complète de café. 

Selon Dinkin, le Black Ivory Coffee, seul grand café tiré de crottes d'éléphants sur le marché, possède des notes de « chocolat, de fèves de cacao, d'un peu de pêche, de tamarin » et de thé noir, aromatisées en partie par ce qui se trouve déjà dans l'estomac de l'herbivore.

Le prix de ce café a bondi ces dernières années, passant de 55 euros pour deux portions en 2012 à 140 euros. Le prix de 500 grammes s’élève à presque 1 400 euros.

Un soigneur d'éléphants, aussi appelé cornac, regarde les éléphants se nourrir d'un mélange de cerises de café, de fruits et de riz à l'Anantara Golden Triangle Elephant Camp and Resort, au nord de la Thaïlande, en 2012. L'établissement était alors partenaire de Black Ivory Coffee, entreprise créée par le Canadien Blake Dinkin.

PHOTOGRAPHIE DE Paula Bronstein, Getty Images

Les ventes de l'entreprise ont explosé lors de la pandémie, car le kopi luwak a attisé l'intérêt de personnes confinées dans le monde entier qui avaient envie d’essayer quelque chose de nouveau, explique Dinkin. Récemment, le produit a été mentionné dans un épisode de la série télévisée « The Morning Show » (Apple TV).  

Comme le souligne l'épisode, il s'agit désormais du « café le plus rare du monde », dont la production ne s'élèvera qu'à environ 240 kilos en 2023.

D'autres cafés issus d’excréments suscitent l'intérêt des amateurs de café. Le café tiré d’excrément d'oiseaux du Brésil, est fabriqué à partir de cerises de café lavées et torréfiées, recueillies dans les excréments du jacu, un oiseau d'Amérique du Sud, espèce classée en danger par l’UICN. Il existe aussi du café en parche de singe, dont les grains sont simplement mâchés par des singes, sans digestion derrière. Enfin, le café « naturellement raffiné » le plus connu est le kopi luwak, qui provient des excréments de civettes, créatures semblables à des chats, originaires d'Asie du Sud-Est et d'Afrique subsaharienne.

Le café de civette existe depuis des décennies, il a d’ailleurs été mentionné dans le magazine National Geographic pour la première fois en 1981, mais le produit continue de faire parler de lui et a même gagné en popularité. Une récente analyse de marché a évalué l'industrie du café kopi luwak à six milliards d’euros en 2021 et prévoit qu'elle atteindra neuf milliards d’euros d'ici à 2030, avec une croissance particulièrement forte en Indonésie et en Inde, entre autres. 

« Je pense que le facteur nouveauté a son importance, c'est une anecdote intéressante à raconter à ses amis », déclare Neil D'Cruze, responsable mondial de la recherche sur la faune sauvage de la Société mondiale de protection des animaux, une organisation internationale à but non lucratif basée à Londres.

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    Un éléphant d'Asie ramasse un mélange de grains de café, de fruits et de riz à l'Anantara Golden Triangle Elephant Camp and Resort, au nord de la Thaïlande, en 2012.

    PHOTOGRAPHIE DE Paula Bronstein, Getty Images

    Des employés de l'Anantara Golden Triangle Elephant Camp and Resort récoltent des grains de café dans le fumier d'éléphant. Avant d'être transformé en kopi luwak, ces grains sont lavés et séchés au soleil. 

    PHOTOGRAPHIE DE Paula Bronstein, Getty Images

    ET LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ?

    Bien que le principal argument de vente de chacun de ces cafés soit l’approvisionnement avant-gardiste et la douceur de leurs grains en comparaison à l’amertume d’un café standard, les détails de la chaîne d'approvisionnement et les préoccupations en matière de bien-être animal peuvent varier d'un produit à l'autre. Cela devrait faire l’objet d'un examen approfondi, estime D'Cruze par mail.

    Le café kopi luwak provient principalement des îles indonésiennes de Java, Sumatra et Célèbes, mais il est disponible en grande quantité aux États-Unis, en Europe et dans toute l'Asie. Le kopi luwak le plus cher est issu de civettes sauvages qui errent dans la forêt et dont le régime alimentaire naturel contient des cerises de café qu’elles excrètent et qui sont ensuite récoltées, lavées et traitées. Cependant, le kopi luwak provient souvent d'animaux en captivité et présente des risques inhérents en matière de bien-être animal et de zoonose si les animaux vivent dans des endroits exigus et stressants. Certains chercheurs ont soupçonné une espèce de civette d'avoir été l’intermédiaire du virus COVID-19 à l’humain.

    D’après les travaux de D’Cruze et d’autres chercheurs, ces mammifères solitaires aux pattes courtes sont souvent mal nourris en captivité, avec des régimes alimentaires qui peuvent ne comprendre que des cerises de café, ce qui les émacie et les rend malades. 

    Les civettes captives peuvent ne vivre que deux ou trois ans, explique Vincent Nijman, qui dirige les recherches sur le commerce des espèces sauvages à l'université d'Oxford Brookes, au Royaume-Uni. « Un régime de cerises de café seulement n’est pas équilibré. Il entraînera des problèmes de santé et, en fin de compte, la mort de l'animal », explique-t-il.

    Les civettes sauvages, en revanche, ont un régime omnivore qui comprend diverses plantes et de petits animaux comme des rongeurs, des lézards, des serpents et des grenouilles, ainsi que des insectes. Pour les producteurs qui essaient d’exploiter au maximum le café de civette, acheter une nouvelle civette est plus facile et moins coûteux que de maintenir les individus qu’ils ont déjà en bonne santé, explique Nijman.

    Malheureusement, peu d’analyses permettent d'en savoir plus sur la santé et le bien-être des autres animaux de cette industrie du café d’excréments, dit D'Cruze.

    Un agriculteur indonésien sélectionne des cerises de café pour la production de kopi luwak.

    PHOTOGRAPHIE DE Ulet Ifansasti, Getty Images

    « L'existence et la prévalence des systèmes de production en cage pour le café de jacu et le café en parche de singe ne sont pas claires à l'heure actuelle. Toutefois, compte tenu des vives préoccupations autour du bien-être animal dans l'industrie du café de civette, les clients devraient être prudents », ajoute-t-il.

    Le Black Ivory Coffee, fabriqué à partir de la bouse d'éléphants d'Asie, est exempt des problèmes de bien-être animal associés au café de civette, affirme Dinkin. Il est très difficile de forcer des éléphants à manger ce qu'ils ne veulent pas manger, explique-t-il. En outre, il affirme faire de son mieux pour ne travailler qu'avec des familles qui traitent bien leurs éléphants, et avec des éléphants considérés comme trop vieux, blessés physiquement ou qui ne sont pas attrayants pour l'industrie du tourisme.

    « Mettre tous les cafés produits par des animaux dans le même panier est une erreur. Tout comme dire que tous les types de raisin produisent le même vin serait une erreur, » déclare Dinkin. « L’authenticité est également un facteur important. Nous filmons chaque repas de nos éléphants afin d’assurer qu’ils sont heureux et qu'ils consomment véritablement les cerises de café, » dit-il. 

    D’Cruze réplique que même si l’accès à des informations sur les conditions de vie et les pratiques de gestion des éléphants de l’industrie du café est très limité, ces animaux restent captifs et enfermés. 

    Dans le cas des civettes, le fait d’être exposées à la caféine ne semble pas poser de problème majeur. Les grains semblent ressortir quasiment intacts de leur digestion et sont même presque dénoyautés lors du processus. 

    Une civette en cage lève les yeux vers l'ojectif dans la plantation de Bali Pulina, à Bali. Lorsque les civettes captives sont nourries exclusivement de cerises de café, elles peuvent tomber malades et ne vivre que quelques années. Plusieurs espèces de civettes, en particulier la civette palmiste, sont utilisées dans l'industrie.

    PHOTOGRAPHIE DE Afrianto Silalahi, NurPhoto, Getty Images

    « Il y a effectivement de la caféine dans les graines mais elle est isolée à l’intérieur du grain, » ce qui en limite l’absorption, explique Robert Poppenga, directeur du département de toxicologie du Laboratoire californien pour la santé animale et la sécurité alimentaire de l’université de Californie, à Davis. 

    « Ce serait similaire à l’ingestion de graines entières de ricin contenant du ricin. Si elles ne sont pas digérées, les graines et le ricin passent simplement par le tube digestif, » explique-t-il, tout en avertissant que certaines autres espèces animales peuvent être plus sensibles ou mastiquent et digèrent davantage les graines. 

     

    DES PRODUITS DE LUXE

    Personne n’a accès à ces boissons au café du coin. Les prix de vente du kopi luwak varient considérablement, allant de 80 euros le kilo pour le café provenant de civettes d'élevage à 1 100 euros le kilo pour les grains récoltés à l'état sauvage, selon D'Cruze. Lorsque le produit est expédié à l'étranger, les prix grimpent jusqu'à 90 euros la tasse.

    Le café de jacu est vendu, entre autres, dans le grand magasin de luxe Harrod's à Londres, bien que le produit soit actuellement en rupture de stock au moment de la publication et n’ait pas répondu à la demande de commentaire de National Geographic. Sur ses publicités en ligne concernant le produit, Harrod's indique que la qualité du café repose sur le fait que l'oiseau, semblable à un faisan, sélectionne « uniquement les meilleures baies de café pour les ingérer ». On peut trouver du café en parche de singe principalement chez des torréfacteurs spécialisés et le café Black Ivory est vendu dans les hôtels de luxe en Thaïlande et ailleurs.

    Selon Nijman, l’industrie du kopi luwak est de loin la mieux étudiée. Dans une analyse récente des plantations touristiques de café de civettes en Indonésie, son équipe a conclu qu'il est probable que parfois, des contrefaçons, du café standard mélangé à un faible pourcentage de kopi luwak, se soient faufilées dans cette industrie en plein essor ou que le café soit produit par des animaux cachés par les producteurs.

    « Nous faisons un calcul rapide de la quantité de café de civette que nous voyons en magasin et la quantité que les civettes peuvent produire », explique-t-il, et lorsque les chiffres ne concordent pas, « cela me laisse penser qu'une grande partie de ce café ne provient pas véritablement de civettes. »

    Certaines plantations de café de civette se sont également diversifiées et incluent désormais des interactions avec les touristes, ce qui soulève de nouvelles inquiétudes quant au bien-être des animaux. Une analyse des commentaires sur Trip Advisor entre 2011 et 2020 laisse à penser que ces civettes étaient parfois sous sédatifs afin que les touristes puissent prendre des photos plus facilement.

    Qu’en est-il du goût du café de civettes ? « En tant qu'amateur de café, j'ai eu l'occasion de goûter à du véritable café de civettes élevées en liberté ou en cages », raconte D'Cruze.

    « Bien que le goût soit légèrement moins amer que celui des cafés "traditionnels", j'ai trouvé que son profil aromatique ne justifiait ni son prix exorbitant ou ni tous les problèmes éthiques associés à cette industrie. »

    Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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