Un trou noir est tombé dans une étoile avant de la faire exploser
La NASA a modélisé ce cataclysme qui serait à l’origine d’une mystérieuse éruption de rayons gamma détectée par des télescopes plus tôt cette année.

Cette vue d’artiste montre le plus long sursaut gamma jamais détecté, GRB 250702B (centre-gauche), survenant dans son environnement galactique. D’abord détectés le 2 juillet, des jets fins de particules furent émis à plusieurs reprises dans l’espace à une vitesse proche de celle de la lumière. L’événement a duré plus de sept heures.
C’est le polar cosmique de l’année : un trou noir a détruit une étoile mais l’on ignore quel type a pu se rendre coupable de cela.
Des astronomes du monde entier sont sur l’affaire depuis le 2 juillet, date à laquelle ils ont reçu des SMS les avertissant que le télescope spatial à rayons gamma Fermi (GLAST) de la NASA venait de détecter des signaux sous la forme de rayons gamma, le rayonnement le plus énergétique du spectre électromagnétique. Les rayons gamma sont une signature bien connue émise par les trous noirs détruisant des objets cosmiques tels que des étoiles.
D’ordinaire, les « sursauts gamma », de brusques bouffées de radiations hautement énergétiques provenant du cosmos, durent entre une seconde et une demi-heure en moyenne. Le sursaut dont il est question a duré sept heures et est le plus long jamais enregistré.
Un autre indice étrange est venu de l’Einstein Probe, un satellite chinois et européen, qui a observé la veille de ce sursaut une recrudescence de rayons X provenant du même endroit dans le ciel. Normalement, les explosions cosmiques émettent d’abord les rayonnements avec la plus haute énergie, puis décroissent en brillance, et non l’inverse. Rien de tout cela n’a été observé depuis la découverte des rayons gamma en 1973.
« Cela en a fait une explosion très inhabituelle et exotique que nous n’avions probablement jamais observée auparavant », s’étonne Eleonora Troja, astrophysicienne à l’Université de Rome à Tor Vergata.
Les principales théories sur le déroulement de ce meurtre stellaire décrivent des scénarios jamais observés. « En ce qui me concerne personnellement, toutes les choses différentes que ça aurait pu être sont autant de déclinaisons sur le thème du génial », déclare Jonathan Carney, doctorant à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill qui a mené sur cet événement une étude publiée dans la revue Astrophysical Journal Letters.
CE QUE NOUS SAVONS SUR CE SURSAUT GAMMA
Cet événement cosmique mystérieux appelé GRB 250702B a jusqu’ici généré dix articles de recherches différents sur le site de prépublication scientifique arXiv.org qui, pour certains, ont désormais également fait l’objet d’une publication dans des revues à comité de lecture. Les scientifiques utilisent les outils à leur disposition, à la fois dans l’espace et à terre, pour mener leur enquête.
« Nous étions tous encore en train de travailler alors que c’était la fête nationale et de rédiger des propositions et d’essayer de braquer autant de télescopes que possible sur cette région du ciel pour vraiment comprendre ce qui se passait », raconte Brendan O’Connor, astronome à l’Université Carnegie-Mellon, qui a conduit une autre étude sur l’événement elle aussi parue dans la revue Astrophysical Journal Letters.
Au départ, les chercheurs ont cru que les rayons gamma pouvaient provenir de l’intérieur de la Voie lactée, chose qui aurait été plus simple à expliquer. « Si c’est au sein de notre propre galaxie, pas besoin qu’ils soient aussi puissants que si cela vient d’une galaxie très lointaine », car la luminosité pourrait s’expliquer par un événement cosmique plus courant relativement proche, explique Andrew Levan, astrophysicien à l’Université Radboud, aux Pays-Bas.
Des observations supplémentaires ont rapidement réfuté cette théorie. Lorsque le télescope spatial Swift de la NASA a identifié l’endroit du ciel où cet événement avait pris place, le Très Grand Télescope de l’Observatoire européen austral (ESO), au Chili, en a repéré la lueur résiduelle à côté d’une tache dans le ciel, et le télescope spatial Hubble de la NASA a montré que cette tache était une galaxie inconnue jusque-là. Alors, le télescope spatial James Webb, capable de traverser l’épaisse poussière cosmique à l’aide de sa vision infrarouge, a aidé l’équipe de détectives-scientifiques à établir que la lumière de cette scène cosmique voyage vers nous depuis huit milliards d’années.
« C’était plus lumineux et brillant que ce que l’on aurait imaginé, car il était caché derrière une quantité considérable de poussière dans la galaxie », ajoute Andrew Levan.
Les scientifiques qui suivent cette saga s’accordent à dire que la destruction de l’étoile a dû engendrer un jet de particules ayant quitté la scène de crime à une vitesse proche de celle de la lumière, ce qui a eu pour effet de générer des rayons gamma. La grande énigme, selon Andrew Levan, devient la suivante : « Qu’est-ce qui provoque ce jet en premier lieu ? Qu’y a-t-il au beau milieu de tout ça qui alimente vraiment ce jet ? »
C’est là que les scientifiques divergent.
UN TROU NOIR FUSIONNE AVEC UNE ÉTOILE AVANT DE LA DÉVORER
Selon certains scientifiques, le signal gamma observé ressemble à d’autres du même genre ayant été émis par des trous noirs dont la masse est cinq à trente fois supérieure à celle du Soleil, c’est-à-dire les plus petits trous noirs que nous ayons observés. Si ce trou noir de taille modeste fusionnait avec une « étoile à hélium », une étoile ayant en grande partie perdu sa couche externe d’hydrogène, quelque chose d’assez géant se produirait.
Selon les chercheurs, le trou noir commencerait alors à dévorer l’étoile de l’intérieur vers l’extérieur, créant un jet de particules et de photons à haute énergie. Lorsque le festin se termine, seul le trou noir subsiste.
« Cette idée seule, je pense, est assez géniale », s’émerveille Eric Burns, astrophysicien à l’Université d’État de Louisiane qui, avec ses collègues, présente des éléments étayant cette hypothèse dans une récente étude publiée dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. « Cela devrait se produire dans l’Univers, même si c’est complètement absurde, mais ce n’est tout simplement pas une chose que nous avions observée de manière concluante auparavant. »

Le télescope spatial James Webb de la NASA a offert aux astronomes leur aperçu le plus clair du lieu d’origine de GRB 250702, une grande galaxie extrêmement poussiéreuse située à huit milliards d’années-lumière environ de la Terre. Dans le médaillon agrandi, la position du sursaut gamma (indiqué par un réticule), près du bord supérieur de la bande de poussière sombre de la galaxie, exclut la possibilité que le sursaut soit lié au trou noir supermassif situé au cœur de celle-ci.
La preuve irréfutable soutenant ce récit aurait été l’observation d’une supernova, c’est-à-dire de morceaux de l’étoile projetés dans l’espace au lieu d’être dévorés. Mais l’épaisse poussière de la galaxie où cela s’est produit et son alignement avec la Voie lactée ont pu l’occulter, même au regard surpuissant du télescope James Webb.
UN TROU NOIR DE MASSE INTERMÉDIAIRE DÉCHIRE UNE ÉTOILE
D’autres scientifiques avancent que les éléments de preuves récoltés pourraient autrement pointer vers un trou noir de masse intermédiaire. Cela serait scientifiquement captivant, car la plupart des trous noirs de l’Univers sont soit de masse stellaire, soit supermassifs, c’est-à-dire qu’ils pèsent plus de 100 000 fois la masse du Soleil. Ceux qui se trouvent entre les deux, qui ont une masse allant de cent à 100 000 soleils, se font bien plus rares. Mais une controverse entoure encore l’identité des trous noirs connus ayant réellement une « masse intermédiaire », s’il en existe du tout.
Dans ce scénario, l’attraction gravitationnelle intense d’un trou noir errant de masse intermédiaire aurait déchiré une naine blanche, une ancienne étoile semblable au Soleil ayant atteint le terme de sa vie. C’est une façon moins spectaculaire de détruire une étoile que de la faire exploser de l’intérieur.
Le problème avec cette explication est que la variabilité (les hauts et les bas dans la luminosité des rayons gamma) observée par le télescope Fermi n’a pour l’instant été associée qu’à des trous noirs de masse stellaire, explique Eric Burns.
Plus précisément, « [avec] les objets plus gros, il faut plus de temps pour qu’un événement affecte l’ensemble », explique Eric Burns. En termes pratiques, cela signifie qu’un télescope ne peut pas observer un éclaircissement et un assombrissement de la lumière plus rapidement que le temps nécessaire à la lumière pour traverser l’ensemble du trou noir. Étant donné que le télescope Fermi a observé une variabilité sur une échelle de temps d’une seconde, cela indique que le trou noir doit être relativement petit.
Si, selon certains scientifiques, le scénario du trou noir de masse intermédiaire ne peut être exclu, « pour moi, c’est un peu des chevaux contre des licornes », plaisante Eric Burns.
Une autre option est qu’un trou noir de masse stellaire ait réduit en morceaux l’étoile qui l’accompagnait, un scénario qui porte le nom d’« événement de rupture par micro-effet de marée » qui se produit normalement avec les trous noirs supermassifs. Selon Eliza Neights, chercheuse au Centre de vol spatial Goddard de la NASA ayant mené les recherches sur le « trou noir mangeur d’étoile » avec Eric Burns, cela est plus plausible que d’invoquer un trou noir de masse intermédiaire. Pourtant, elle, Eric Burns et leurs co-auteurs avancent que la variabilité rapide du signal appuie l’idée qu’un trou noir a fusionné avec une étoile, puis l’a fait exploser.
L’AFFAIRE DEMEURE NON ÉLUCIDÉE
Pour l’instant, les débats autour de la taille du trou noir et des méthodes de destruction demeurent sans solution, et selon certains, il est encore trop tôt pour trancher. Les astronomes s’attèlent actuellement à la recherche de nouveaux indices sur ce qui s’est passé en observant les conséquences de la destruction de l’étoile en matière de rayons X et d’ondes radio.
« Chaque fois que nous ouvrons une nouvelle fenêtre sur notre Univers, nous comprenons que nous ne comprenions pas, explique Eleonora Troja. C’est peut-être un rappel de la majesté, de la magnificence de notre Univers. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.