Égypte : cette oasis n'a presque pas changé depuis des millénaires

Le temps d'une journée, des excursionnistes venus du Caire font un détour par la région bucolique du Fayoum où ils découvrent des baleines fossilisées, des temples érigés en l'honneur de dieux-crocodiles ainsi qu'un vivier florissant d'artisans potiers.

De Nina Strochlic
Publication 18 janv. 2023, 17:19 CET
Des campeurs regardent le soleil se lever sur le lac Qârûn, près de l’oasis du Fayoum ...

Des campeurs regardent le soleil se lever sur le lac Qârûn, près de l’oasis du Fayoum en Égypte. Les merveilles naturelles et archéologiques de cette région, ainsi qu’un village connu pour ses poteries contemporaines, attirent les visiteurs.

PHOTOGRAPHIE DE Amr Abdallah Dalsh, Reuters, Redux

Des millénaires avant que les barrages érigés sur le Nil ne viennent tenir les crocodiles à distance, l’oasis du Fayoum était l’épicentre du culte rendu au dieu-crocodile de l’Égypte ancienne : Sobek. Sur une carte de l’Égypte, cette région de 6 000 km2 ressemble à une large feuille émergeant des rives luxuriantes du Nil en Basse-Égypte. De nos jours, elle est l’occasion de s’échapper de la circulation engorgée et des gratte-ciel poussiéreux du Caire pour se diriger vers une contrée paisible et verdoyante, à seulement une heure de route au sud de la capitale.

L’oasis du Fayoum, dont le lac Qârûn est garant de la viridité, semble être un portail vers un temps révolu. Dans des champs florissants, des buffles d’eau paissent et des aigrettes font leur nid. Les humains qui vivent là traversent les petits villages de l’oasis à cheval ou dans des charrettes tirées par des ânes et des tuk-tuks.

Le Fayoum surprendra les voyageurs et voyageuses de passage avec ses sites archéologiques, son vivier animé d’artisans fabriquant des poteries contemporaines et ses étendues de plaines désertiques, telles que celle de Wadi Al-Hitan, vallée jonchée de fossiles de baleines préhistoriques.

Un touriste en visite à Wadi Al-Hitan, la vallée des baleines, dans le désert du Fayoum. Ce site inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO abrite des fossiles de spécimens d’Archaeoceti, un micro-ordre éteint.

PHOTOGRAPHIE DE Sui Xiankai, Xinhua, Redux

Alors que l’Égypte se prépare à être submergée de visiteurs avec l’ouverture prochaine du Grand Musée égyptien au Caire, cette destination qu’on ne soupçonne pas est désormais prête à accueillir vos escapades loin de la ville le temps d’un week-end.

 

DES MERVEILLES ANTIQUES MÉCONNUES

« Des férus d’archéologie viennent là, mais c’est hors des sentiers battus », indique Mahmoud Kamel, égyptologue, guide touristique et blogueur, alors que nous nous enfonçons dans les ruines d’un temple à Karanis, village gréco-romain situé à l’entrée de l’oasis. J’ai fait appel à ses services pour la journée afin qu’il me fasse découvrir quelques-uns des dizaines de sites antiques de la région. Au travers de temples, de tombeaux et de monastères, Égyptiens, Grecs, Romains et chrétiens coptes laissèrent tous leur marque au Fayoum.

Du temps des pharaons, le Fayoum était un haut lieu de la culture de papyrus et de la chasse. Rois et reines venaient en villégiature sur le lac Qârûn, arrivant par bateau en empruntant les canaux adjacents aux Nil. À partir de l’an 27 avant notre ère environ, les Romains, tout juste victorieux, commencèrent à s’y installer et y restèrent jusqu’à l’arrivée des musulmans au pouvoir au 7e siècle de notre ère. Sous le califat, l’oasis revint à sa tradition agricole.

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    Des pêcheurs sont accoudés à leurs bateaux sur les rives du lac Qârûn.

    PHOTOGRAPHIE DE Fatma Fahmy, Reuters, Redux

    À Karanis, au milieu des sables mouvants, Mahmoud Kamel me montre une embrasure de porte en pierre surmontée d’une dédicace adressée il y a 2 000 ans par l’empereur romain Néron au dieu Sobek. À l’intérieur se trouve un autel flanqué de niches qui accueillirent un jour des crocodiles momifiés posés sur des traîneaux. Des humains du 1er siècle avant notre ère laissaient à ces créatures révérées du vin ou de la viande et faisaient parader leurs momies dans les rues à l’occasion de festivals.

    Hormis certaines parties du temple, rien ou presque ne subsiste du village en brique d’adobe qui prospéra là du 3e siècle avant notre ère au 5e siècle de notre ère. Dans les années 1920, les édifices de Karanis, vieux de 5 000 ans, furent démontés et broyés par une entreprise italienne pour en faire de l’engrais.

    D’autres sites du Fayoum sont mieux préservés. C’est le cas des ruines de Médinet Mâdi, qui datent du 2e siècle avant notre ère et se situent dans le sud-ouest de l’oasis. « On surnomme ce site le Louxor du Fayoum », m’apprend Mahmoud Kamel en évoquant cette illustre ville de Haute-Égypte où se trouvent bon nombre des monuments les plus spectaculaires de l’Égypte ancienne.

    À Médinet Mâdi, une colonnade bordée de statues de lions et de sphinx traverse le désert et conduit jusqu’à l’unique temple qui tient encore debout, construit par les pharaons Amenemhat III et Amenemhat IV lors du Moyen Empire égyptien (2040 à 1782 avant notre ère). Bien qu’érodés par le temps et par le soleil, des hiéroglyphes de belle facture, sculptés en l’honneur de Sobek et de Rénénoutet, la déesse agraire à tête de serpent, couvrent ses portes et ses murs.

     

    DES PORTRAITS FUNÉRAIRES VOLÉS

    Mahmoud Kamel est tout à fait conscient de ce que la région a déjà cédé au temps, à la nature et aux chasseurs de trésors.

    La perte des célèbres portraits funéraires du Fayoum fait particulièrement mal. Ces portraits réalistes furent peints sur des planches et attachés aux visages de momies appartenant à des défunts de la haute société d’Égypte romaine entre le 1er et le 3e siècle de notre ère.

    Environ 700 de ces peintures remarquablement réalistes furent découvertes dans le Fayoum ainsi que dans ses environs à la fin du 19e siècle. Cependant, la quasi-totalité d'entre elles fut passée en contrebande, vendue ou échangée hors du pays. Désormais, seuls deux portraits demeurent dans l’oasis du Fayoum ; tous deux se trouvent dans le musée de Kom Oshim, à Karanis, un lieu poussiéreux composé de deux pièces.

    Des centaines de masques funéraires gréco-romains prenant la forme de portraits tels que celui de cette femme ont été découverts dans le Fayoum à la fin du 19e siècle et au début du 20e.

    PHOTOGRAPHIE DE Sepia Times, Universal Images Group, Getty Images

    « Le Metropolitan Museum of Art en possède tant [de ces portraits] », déplore Mahmoud Kamel en me désignant une momie allongée sous verre. Elle est de taille modeste et est enveloppée dans des bandages qui ont bruni et se sont durcis au fil des siècles. Le contraste avec le portrait ouvragé fixé à son visage est frappant. Il s’agit de l’effigie d’un jeune homme aux yeux écartés et aux cheveux bruns et bouclés. Ces portraits semblent plus envoûtants et vivants encore que les masques funéraires bleus et dorés aux yeux alignés qui les ont précédés.

    D’autres visages gisent encore peut-être dans les sables ; de récentes fouilles menées près du village de Gerza ont non seulement permis de mettre au jour un temple funéraire gréco-romain géant vieux de 2 300 ans, mais également plusieurs portraits de ce type.

     

    UN VILLAGE CONNU POUR SES POTERIES

    Si ce sont d’antiques portraits funéraires qui ont fait connaître le Fayoum, les touristes y viennent également pour les poteries de style contemporain qu’on y trouve de nos jours. Dans le nord-ouest de l’oasis, le paisible village agricole de Tunis a été transformé en plateforme artistique par la potière Évelyne Porret dans les années 1980. Elle y a construit une maison et un studio avant d’ouvrir une école de poterie qui a formé des générations d’artistes égyptiens. Même l’architecture du village s’est mise à imiter les plafonds bombés et les portes arrondies de son école.

    Quarante ans après l’arrivée d’Évelyne Porret, les ateliers de ses anciens étudiants bordent la rue principale, renommée « rue Évelyne » à sa mort, en 2021. Le style de poteries vernissées et fantaisistes qu’elle a inventé figure des chèvres dansantes, des rapaces en vol et des palmiers au vent, tous peints à la main et inspirés par la nature de l’oasis. Les visiteurs peuvent se procurer des poteries directement auprès des ateliers ou dans des boutiques comme To a Skylark Gallery, qui propose également des photographies et des tableaux réalisés par des habitants de la région.

    Gauche: Supérieur:

    Un garçon fait tourner de l’argile dans un atelier de céramique dans le village de Tunis, en Égypte.

    PHOTOGRAPHIE DE Meng Tao, Xinhua, Redux
    Droite: Fond:

    Une potière achève la fabrication d’un bol dans un atelier de Tunis, village connu pour ses pots vernissés et fantaisistes.

    PHOTOGRAPHIE DE Ahmed Gomaa, Xinhua, Redux

    Pour se rendre à l’oasis du Fayoum, il faut prendre le bus depuis Le Caire ou bien faire appel aux services d’un guide comme Mahmoud Kamel, qui se chargera du transport et de la visite des lieux. En plus des sites antiques et des échoppes, Tunis abrite de plus en plus de restaurants et d’hôtels.

    Des Cairotes aisés et des expatriés fréquentent le Lazib Inn, un hôtel-boutique avec terrasse non loin du bord de l’eau. À l’heure du dîner, des plats traditionnels comme le pigeon farci sont servis à la bougie pendant qu’un musicien joue de l’oud, cette guitare du Moyen-Orient en forme de bulbe et à la sonorité éplorée.

    Mahmoud Kamel considère que l’écotourisme est l’avenir du Fayoum ; un moyen d’inciter davantage de visiteurs à venir découvrir les richesses de la région sans la transformer en halte sur les circuits en car qui sillonnent la Haute-Égypte et ses merveilles archéologiques.

    « Fayoum est fragile. » Et bien que son circuit soit émaillé d’histoires de perte et de destruction, les nouvelles découvertes archéologiques et l’essor céramique de Tunis tendent à prouver que la zone est peut-être sur le point de connaître une renaissance.

    Nina Strochlic est rédactrice chez National Geographic. Suivez-la sur Instagram et sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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