Guerre du Vietnam : pourquoi ce conflit a-t-il duré si longtemps ?

L’héritage brutal de ce conflit dévastateur qui couvrit plusieurs générations perdure. Mais pourquoi a-t-on versé le sang si longtemps ?

De Erin Blakemore
Publication 8 nov. 2025, 11:09 CET
Deux soldats américains épuisés se tiennent à côté d’un compatriote tué à Long Khánh, au Vietnam, ...

Deux soldats américains épuisés se tiennent à côté d’un compatriote tué à Long Khánh, au Vietnam, en 1966.

PHOTOGRAPHIE DE Alamy, Cordon Press

Des millions de victimes. Des années d’une guerre d’usure sanglante. Quand, en 1954, les communistes vietnamiens renversèrent le gouvernement colonial alors que l’aide militaire américaine pour les combattre avait été massive, les accords de Genève divisèrent temporairement le Vietnam en deux zones jusqu’à ce que des élections libres puissent se tenir en 1956 pour unifier le pays. Cependant, ces élections n’eurent jamais lieu. Bientôt débuta une période caractérisée par les attentats et les affrontements. La guerre civile qui s’ensuivit dura deux décennies. Mais pourquoi ? « Ce n’était pas parce que [les décideurs] étaient convaincus qu’ils finiraient par gagner s’ils poursuivaient les combats », observe Christian G. Appy, professeur d’Histoire à l’Université du Massachusetts à Amherst et auteur de trois livres sur la guerre du Vietnam. 

La longueur du conflit s’explique en fait plutôt par d’autres facteurs, comme l’idéologie, l’opinion publique et les ambitions d’individus puissants, qui eurent des conséquences dévastatrices pour le Nord, le Sud et leurs alliés. Cette seconde guerre d’Indochine – la première s’était soldée par une défaite française – vit les armées du Nord et du Sud s’opposer, divisées par des luttes de pouvoir et des divergences politiques. Bientôt, le conflit s’étendit à plusieurs pays ; une guerre par procuration sans fin au prix colossal pour toutes les parties prenantes. Si le Congrès américain ne fit jamais de déclaration de guerre officielle, les Vietnamiens, eux, appellent ce conflit la « guerre américaine » ou la « guerre contre les Américains pour sauver la nation ».

Hồ Chí Minh, président de la république démocratique du Vietnam de 1945 jusqu’à sa mort en ...

Hồ Chí Minh, président de la république démocratique du Vietnam de 1945 jusqu’à sa mort en 1969.

PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

 

GUERRE FROIDE, CHOC DES IDÉOLOGIES

L’idéologie de la guerre froide – la lutte entre les pôles opposés du capitalisme et du communisme après la Seconde Guerre mondiale – alimenta le conflit, le Vietnam se retrouvant divisé en deux : la République démocratique du Vietnam (au nord) et la République du Vietnam (au sud). Les forces communistes du Nord, soutenues au Sud par le Viet Cong (un surnom péjoratif résultant de la contraction d’un terme vietnamien signifiant « communiste vietnamien » couramment employé pour désigner les membres du Front national de libération du Vietnam du Sud ou FNL), bénéficièrent grandement du soutien de l’URSS et de la Chine. Le Vietnam du Sud était soutenu par les États-Unis, la France et d’autres alliés anti-communistes. Ho Chi Minh fut président du Vietnam de 1945 à sa mort en 1969. Communiste et révolutionnaire de longue date, il résista à toutes les puissances coloniales. Tandis que beaucoup virent en lui un héros de l’indépendance, d’autres dénoncèrent sa complicité dans des crimes de guerre ainsi que le culte de la personnalité dont il faisait l’objet.

les plus populaires

    voir plus
    Le président américain Dwight D. Eisenhower (à gauche) salue en personne le président Ngô Đình Diệm ...

    Le président américain Dwight D. Eisenhower (à gauche) salue en personne le président Ngô Đình Diệm (à droite) à l’occasion d’une visite d’État de ce dernier en 1957.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

     

    L'EFFET DOMINOS

    Les États-Unis craignaient que la fondation d’un État communiste n’entraîne les voisins du Vietnam à adopter cette idéologie à leur tour. Cette « théorie des dominos » servit à justifier cette guerre qui ne disait pas son nom et le désir de contenir le communisme nourrit l’investissement continu des États-Unis dans le conflit. Christian G. Appy reconnaît que, dès le départ, les dirigeants américains n’étaient pas certains que la guerre en vaille la peine : « Comme l’ont bien montré les Pentagon Papers, les décideurs étaient pessimistes en privé », explique Christian G. Appy, faisant allusion à l’étude secrète du département américain de la Défense dont la fuite, en 1971, renforça l’opposition de l’opinion au conflit.

    Malgré cela, le Vietnam du Sud reçut un soutien massif de l’Occident. Le président américain Dwight D. Eisenhower reçut personnellement le président Ngô Đình Diệm à l’occasion d’une visite d’État en 1957. Les tactiques autoritaires de ce dernier contre ses détracteurs et les discriminations contre les bouddhistes finirent par donner lieu à des manifestations et les États-Unis suspendirent temporairement leur aide, ce qui permit un coup d’État qui vit Ngô Đình Diệm être renversé et assassiné en 1963.

    Des marines américains profitent du bruit d’un ruisseau pour couvrir celui de leurs pas alors qu’ils ...
    Un ancien soldat du Viet Minh montre les tunnels de Củ Chi, un réseau souterrain qui, ...
    Gauche: Supérieur:

    Des marines américains profitent du bruit d’un ruisseau pour couvrir celui de leurs pas alors qu’ils cherchent des soldats du Viet Cong dans la jungle en 1967.

    PHOTOGRAPHIE DE KEYSTONE PRESS, Alamy, Cordon Press
    Droite: Fond:

    Un ancien soldat du Viet Minh montre les tunnels de Củ Chi, un réseau souterrain qui, selon les estimations de certains, s’étira sur plus de 160 kilomètres à son apogée. Un pan entier fut construit pendant la première guerre d’Indochine. Ces tunnels servaient à communiquer, à stocker, à soigner, à mener des attaques secrètes et à se cacher, entre autres choses.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, Cordon Press

     

    UNE GUERRE D’UN AUTRE GENRE

    La guerre du Vietnam fut marquée par l’emploi de tactiques telles que les opérations clandestines, la guérilla et le camouflage. Les insurgés nord-vietnamiens se mêlaient aux civils, tirant parti de la jungle dense et ralliant la population locale à leur cause. Les deux camps utilisaient des armes puissantes, mais le Nord (et le FNL) avait pour lui des lignes d’approvisionnement locales, des tunnels permettant de s’infiltrer au Sud et des renforts constants. La République démocratique du Vietnam préférait les attaques surprises et recourait à des attaques terroristes ciblant les civils. En résulta un véritable cauchemar stratégique pour le Vietnam du Sud et ses alliés, qui partageaient les pertes humaines croissantes. Les échecs du renseignement américain et la chute du gouvernement corrompu de Ngô Đình Diệm en 1963 furent catastrophique pour le Vietnam du Sud.

    L’aviation sud-vietnamienne, soutenue par les États-Unis, largua par erreur une bombe au napalm sur le village ...

    L’aviation sud-vietnamienne, soutenue par les États-Unis, largua par erreur une bombe au napalm sur le village de Trang Bang en 1972. Pensant viser des troupes nord-vietnamiennes, elle attaqua involontairement ses propres soldats ainsi que des villageois innocents. Les photos prises à la suite de ce bombardement firent le tour du monde.

    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

     

    LE CONFLIT S’ENLISE

    « Aucun des présidents qui se sont succédé ne souhaitait devenir le premier américain à perdre une guerre », confie Christian G. Appy à National Geographic. « Ils ont choisi de perpétuer le massacre pour éviter d’être considérés comme des perdants. » Bien que livrée loin des États-Unis, la guerre représenta un défi de taille pour les décideurs américains, notamment lorsque le pays commença à mobiliser de jeunes hommes en 1964. Alors que les États-Unis intensifiaient leurs raids aériens, recouraient à des tactiques brutales de recherche et de destruction et massacraient des civils, le soutien public à la guerre s’effondra. 

    Au front, les troupes sud-vietnamiennes semblaient disposer d’un avantage sur leurs homologues du Nord, car elles disposaient d’armes de meilleure qualité, avaient la force du nombre et bénéficiaient d’une meilleure formation grâce à leurs alliés occidentaux, mais la République démocratique du Vietnam conservait l’initiative. En 1968, les deux camps se trouvèrent « enlisés dans l’impasse », pour reprendre la formule du célèbre journaliste Walter Cronkite. Mais la guerre était-elle vraiment ingagnable ?

    Un soldat du Viet Cong pointe son arme anti-char lors de l’offensive du Tết dans le ...

    Un soldat du Viet Cong pointe son arme anti-char lors de l’offensive du Tết dans le sud de la province de Cuu Long tandis qu’une sœur d’armes court avec un drapeau.

    PHOTOGRAPHIE DE Getty Images

     

    L’OFFENSIVE DU TẾT

    En 1968, une série d’attaques surprises que l’on nomme aujourd’hui « offensive du Tết » marqua le début de la fin de la guerre. Les forces nord-vietnamiennes réussirent à organiser une offensive coordonnée à travers tout le Vietnam du Sud dans l’espoir d’obtenir une victoire et de sortir de l’ornière. « L’offensive du Tết fut la preuve que les adversaires des États-Unis étaient plus déterminés que jamais à contraindre les États-Unis à se retirer et à réunifier leur pays », explique Christian G. Appy. Le public américain avait été informé que la guerre touchait à sa fin, mais le nombre de victimes montrait le contraire. Après s’être regroupées, les forces américaines et sud-vietnamiennes tuèrent 30 000 à 50 000 soldats communistes, mais cela n’en fut pas moins une victoire politique pour le Nord. L’offensive du Tết constitua un tournant, souligne Christian G. Appy, un tournant qui, comme le reste du conflit, produisit des résultats contrastés.

    Une manifestation anti-guerre à Washington, le 21 mai 1972.

    Une manifestation anti-guerre à Washington, le 21 mai 1972.

    PHOTOGRAPHIE DE Rue Des Archives, ACI

     

    MANIFESTATIONS CONTRE LA GUERRE DU VIETNAM

    Sur le front intérieur, le mouvement étudiant pacifiste secouait les villes américaines, tandis que l’opposition à la guerre prenait de l’ampleur. Alors que le mouvement pour la paix gagnait du terrain, « faucons » et « colombes » (partisans de la guerre et de la paix, respectivement) débattirent de plus en plus des intérêts de la guerre ; des manifestants brûlaient leurs cartes de conscription et les dirigeants tentaient de trouver rapidement une issue au conflit. En 1968, explique Christian G. Appy, « l’opinion publique considérait majoritairement que la guerre était une erreur ». 

    Le sentiment anti-guerre était clair, mais malgré les manifestations continues, l’engagement américain au Vietnam s’étira dans le temps, alors que les responsables tergiversaient sur les conditions d’une reddition pacifique et cherchaient à améliorer la position du Vietnam du Sud à la table des négociations. Le 21 mai 1972, une manifestation anti-guerre fut organisée à Washington, démontrant une fois de plus l’ampleur de l’indignation. Petit à petit, les colombes remplacèrent dans l’opinion le désir d’une victoire nette par l’objectif d’une « paix sans déshonneur ».

    Une mère sud-vietnamienne et son enfant assis dans les ruines d’un quartier général américain. Une explosion ...

    Une mère sud-vietnamienne et son enfant assis dans les ruines d’un quartier général américain. Une explosion anéantit l’endroit et tua deux Américains.

    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

     

    UNE GUERRE SANS FIN

    Il fallut attendre sept années de plus après l’offensive du Tết pour voir la guerre prendre fin. Le Vietnam du Sud redoubla d’efforts pour contraindre ses ennemis à s’asseoir à la table des négociations. En 1972, les États-Unis minèrent le port d'Haïphong et mirent le commerce nord-vietnamien à genoux en le privant d’une voie maritime essentielle. Cette campagne controversée, ainsi que l’intensification des bombardements, forcèrent la République démocratique du Vietnam à négocier. Mais un traité ne pouvait pas, seul, arrêter le conflit. En dépit des accords de Paris, signés en 1974, qui prévoyaient le rapatriement de prisonniers de guerre des deux côtés et facilitaient une sortie rapide pour les États-Unis et leurs alliés, la guerre se poursuivit. Du point de vue vietnamien, le terrain d’entente était encore trop maigre. La guerre causa des destructions sans précédent et durables sur l’environnement en raison de la déforestation et de l’utilisation d’armes chimiques qui laissèrent des séquelles à la fois sur le paysage et sur les civils. Ce n’est qu’en 1975 que la guerre du Vietnam prit fin, dans le sang, quand la République démocratique du Vietnam  prit le dessus sur le Sud et créa la République socialiste du Vietnam. Ce conflit impopulaire et interminable venait d’arriver à son terme. Mais quel en avait été le prix ?

    Selon les historiens, chaque camp modifia les rapports sur le nombre de victimes pour donner l’impression qu’il avait le dessus et les estimations des pertes humaines varient encore de nos jours. Jusqu’à deux millions de civils trouvèrent la mort. Un million cent mille combattants communistes environ et jusqu’à deux cent cinquante mille combattants sud-vietnamiens furent tués. Plus de cinquante-huit mille deux cent soldats américains ne revirent jamais leur pays. Alors que la controverse sur le nombre de victimes perdure, l’héritage de la guerre reste, lui aussi, bien présent : des vétérans et rescapés souffrant de blessures et traumatismes permanents, des générations déchirées sur le sujet de l’implication dans la guerre, une méfiance envers les responsables politiques, une exposition continue à l’agent orange et à d’autres produits chimiques toxiques, et des millions de réfugiés vietnamiens. Le Vietnam demeure aujourd’hui un État socialiste et un souvenir de la catastrophe tactique et morale qu’a représentée cette guerre si longue à perdre.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Histoire
      • Santé
      • Animaux
      • Sciences
      • Environnement
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.