Le mythe de la fondation de Rome, entre fables et incertitudes historiques
Si les origines de Rome font l'objet d'un débat de longue date, il est une histoire qui l'emporte sur toutes les autres : celle de jumeaux nés pour fonder la Ville éternelle.

Romulus et Rémus sous le regard attentif de la louve qui les a recueillis, dans un tableau peint en 1842 par Charles Émile Callande de Champmartin. Musée du Louvre, Paris.
Il est assez rare pour une ville de voir le jour à la suite d’un authentique événement fondateur. La plupart du temps, il s’agit d’un conquérant qui décide de créer une ville qui porte son nom. C'était notamment le cas d'Alexandre le Grand, auquel nous devons une vingtaine de villes fondées au 4e siècle avant notre ère. Pour Rome, comme pour Athènes, l'histoire est différente, leur naissance résulterait plutôt du synœcisme : l'agrégation progressive de villages voisins qui, poussés par un besoin militaire et commercial, choisissent finalement de se fondre en une seule communauté guidée par un monarque. Cela dit, les légendes de la fondation de Rome sont bien plus captivantes.
Les lignes les plus sages à ce sujet nous viennent de l'historien romain Tite-Live, dans la préface de son œuvre monumentale Ab Urbe Condita (L'Histoire de Rome depuis sa fondation) : « Les faits qui ont précédé ou accompagné la fondation de Rome se présentent embellis par les fictions de la poésie, plutôt qu'appuyés sur le témoignage irrécusable de l'histoire : je ne veux pas plus les affirmer que les contester. On pardonne à l'antiquité cette intervention des dieux dans les choses humaines, qui imprime à la naissance des villes un caractère plus auguste. Or, s'il est permis à un peuple de rendre son origine plus sacrée, en la rapportant aux dieux, certes c'est au peuple romain ; et quand il veut faire du dieu Mars le père du fondateur de Rome et le sien, sa gloire dans les armes est assez grande pour que l'univers le souffre, comme il a souffert sa domination. »
Les premiers à avoir exprimé leur scepticisme vis-à-vis des légendes entourant la naissance de Rome étaient en fait les historiens grecs et romains, ceux-là mêmes qui nous ont transmis ces récits. Ces érudits vivaient à une époque où l'écrivain pouvait s'inspirer de la multitude de légendes orales qui avaient germé pour justifier et glorifier le pouvoir conquis par Rome au fil des siècles.
Si l'on souhaite reconstruire l'histoire de la fondation de la ville, nous devons précisément partir de cette mythologie pour comparer les divers récits parvenus à nos oreilles et ainsi discerner la vérité dans le tissu folklorique, qui semble nous suggérer une sorte de guerre civile entre deux frères, Romulus et Rémus, jadis unis dans leur quête de justice pour leur famille.

NAISSANCE D'UN MYTHE
Même si elle fait référence à des événements survenus près de trois siècles plus tôt, l'histoire de Romulus et Rémus aurait commencé à circuler au 1er siècle avant notre ère dans les cercles grecs impressionnés par l'extraordinaire ascension de celle qui, il n'y a pas si longtemps, n'était encore qu'une ville sans éclat nichée sur les berges du Tibre. À l'époque, la rumeur attribuait sa fondation à un certain Rhomos, connu sous le nom de Romulus pour les Romains. Pendant un siècle, les deux personnages ont coexisté puis, au fil du temps, Romulus est devenu le grand-père de Rhomos dans les récits. La transformation s'est achevée à nouveau un siècle plus tard : Rhomos avait disparu de la légende pour céder sa place à Rémus, le frère jumeau de Romulus. Selon Plutarque, philosophe et historien grec des 1er et 2e siècles, auteur d'une biographie de Romulus, la première personne à avoir assemblé un récit cohérent de l'histoire de Rhomos et de ses descendants fut Dioclès de Péparèthe au 3e siècle avant notre ère, suivi par l'un de ses contemporains, Quintus Fabius Pictor, dont seuls quelques fragments de l'œuvre, les Annales, ont traversé les âges.
Quant à l'existence des jumeaux et leur histoire tumultueuse, le plus ancien témoignage dont nous disposons est un ensemble de statues représentant une louve qui allaite deux nourrissons. Ces statues ont été érigées en 296 avant notre ère, pendant la guerre des samnites, pour commémorer la nomination de deux frères, Quintus et Gnaeus Ogulnius Gallus, au poste d'édile, les magistrats de la Rome antique.

Cette illustration de la colline du Capitole, à Rome, au 4e siècle nous montre les temples qui occupaient son sommet, dominé par le temple central dédié à Jupiter Optimus Maximus. Les Romains pensaient que Jupiter, le roi de leurs dieux, avait donné à Romulus sa bénédiction pour la fondation de Rome.
La création des deux personnages Romulus et Rémus s'est donc déroulée dans un contexte culturel grec. Il était donc inévitable de retrouver dans ces légendes des références aux dieux de l'Olympe et à un événement légendaire de la période pré-classique, la guerre de Troie. Sous le règne de l'empereur Auguste, plusieurs auteurs ont tenté de reconstituer la saga épique, allant de Marcus Terentius Varro, dit Varron, dont l'ouvrage historique Antiquitates rerum humanarum et divinarum est aujourd'hui perdu ; à Denys d'Halicarnasse, avec ses Antiquités romaines, dont seul le premier des neuf livres nous est parvenu ; et enfin Tite-Live, dont 35 des 142 volumes de l'œuvre Ab Urbe Condita, qui signifie en latin « depuis la fondation de la Ville », ont été intégralement préservés. Les dix premiers volumes de l'historien romain, qui a vécu à l'aube du premier siècle, relatent un récit cohérent de la légende entourant la fondation de Rome. Varron est souvent crédité de la proposition d'une date officielle pour la fondation de la ville, ou urbs en latin : le 21 avril 753 avant notre ère, date de l'affrontement final entre Romulus et Rémus. Cette date a été calculée en attribuant 35 ans de règne à chacun des sept rois de Rome avant l'établissement de la République en 509 avant notre ère, toujours selon le savant romain. D'autres auteurs proposent différents calculs, mais c'est en général la chronologie de Varron qui fait foi.
DES ANCÊTRES TROYENS
Tout a commencé avec Énée, l'un des héros de la guerre de Troie qui aurait fui la cité en flammes avec son père Anchise sur les épaules et son fils Ascagne, ou Iule (Jules), à ses côtés. Sa fuite remonte à 1184 avant notre ère, soit plus de quatre siècles avant le mythe de Romulus et Rémus, mais le temps des légendes s'écoule à la hâte… ou ne s'écoule pas. Lorsque l'empereur Auguste a confié à l'illustre poète Virgile la tâche de composer une œuvre célébrant les origines de la gens Iulia et la restauration augustéenne, l'écrivain a rédigé les chroniques des errances du héros troyen, de façon similaire à celles d'Ulysse. À la fin de son odyssée, Énée aurait accosté sur les rivages de l'Italie où il aurait affronté les peuples natifs d'une région correspondant au Latium. Après avoir fait la paix avec ces derniers, il aurait scellé le pacte par son mariage avec Lavinia, la fille du roi Latinus, et par la fondation d'une nouvelle colonie, Lavinium. La légende se poursuit avec les exploits d'Ascagne, ou d'Iule, ou des deux, car l'histoire ne permet pas d'affirmer s'il s'agissait de la même personne ou des deux fils d'Énée, l'un né de Creusée à Troie et l'autre de Lavinia au Latium. Toujours est-il que trente ans plus tard, Ascagne (ou Iule) aurait donc fondé sa propre cité, Albe la Longue, située à proximité de l'actuelle ville de Castel Gandolfo, même si là encore les historiens et les archéologues ne sont pas en mesure de déterminer précisément son emplacement.

Énée fuit Troie avec son père sur les épaules, suivi par son fils, Ascagne, dans une sculpture de G.L. Bernini datant de 1619. Également appelé Iule, ou Jules, Ascagne aurait été un ancêtre du peuple romain et de Jules César. Galerie Borghèse, Rome.
Quoi qu'il en soit, le fils d'Énée aurait fondé une longue dynastie qui s'est étalée sur une multitude de générations. Quelques siècles plus tard, le onzième ou douzième descendant d'Ascagne, Proca, imagine un stratagème aussi curieux qu'illusoire pour diviser le règne de son royaume entre ses deux fils. Il lègue au premier, Numitor, le royaume et au second, Amulius, le trésor royal. Si un royaume ne vaut rien sans argent, l'argent peut en revanche acheter un royaume. Le stratagème a donc inévitablement conduit à la guerre civile que Proca avait si désespérément tenté d'éviter. Amulius est parvenu à s'emparer du trône, reléguant son frère à un rôle secondaire. Pour se protéger d'une éventuelle menace dynastique, Amulius décide d'assassiner le fils de son frère, Lausus, et de forcer sa nièce, Rhéa Silvia, à se faire vestale, la condamnant ainsi à la chasteté.
DESCENDANTS DE MARS
Les vestales faisaient vœu de chasteté pendant trente ans, trente longues années durant lesquelles ces prêtresses entretenaient le foyer public du temple de Vesta, déesse romaine de la famille et de la maison. À en croire Tite-Live, le plan d'Amulius ne se passe pas comme prévu. Clamant une union avec le dieu Mars, Rhéa Silvia donne naissance à des jumeaux. Certaines versions suggèrent qu'elle aurait été victime d'un viol. Selon Tite-Live, « ni les dieux ni les hommes ne peuvent soustraire la mère et les enfants à la cruauté du roi ». L'histoire raconte que, dans un accès de colère, Amulius aurait décidé de tuer sa nièce pour son crime odieux, celui d’avoir brisé le vœu de chasteté des vestales.
La punition était une pratique bien établie dans la République romaine, mais certainement pas du temps d'Amulius et de Numitor. Selon la légende, le roi finit par céder aux supplications de sa propre fille et fait emprisonner Rhéa Silvia. Il ordonne ensuite de noyer les jumeaux, mais les bourreaux qu'il désigne échouent à leur mission en se contentant de placer les nourrissons dans un panier abandonné à la dérive sur les eaux laissées par le Tibre lors d'une crue récente. Cette image est une scène récurrente de l'antiquité qui symbolise la divine protection et la prédestination. Avant les jumeaux, Moïse et Sargon d'Akkad avaient connu un sort similaire.

Autrefois estimée au 5e siècle avant notre ère, la date de fabrication de cette louve en bronze exposée aux musées du capitole de Rome a plus récemment été attribuée à l'époque médiévale suite à des analyses de datation au carbone 14. La louve a été donnée au peuple de Rome par le pape Sixte IV au 15e siècle et les statues des jumeaux Romulus et Rémus ont été ajoutées peu de temps après. À partir des années 1920, ce puissant symbole de Rome est régulièrement utilisé par le Premier ministre fasciste italien Benito Mussolini dans sa propagande d'État.
Là encore, les enfants survivent, après que le panier eut calmement fini sa course au pied du légendaire Ficus Ruminalis. D'après certains auteurs, ce figuier aurait reçu son nom en référence aux animaux qui ruminaient sous son feuillage ; d'autres indiquent que le nom provient de ruma, la « mamelle » en latin, ce qui aurait également inspiré le prénom des jumeaux. Situé au pied du mont Palatin, l'arbre a servi de décor à l'histoire de la louve qui s'est approchée des enfants pour les allaiter. Plus tard, l'animal aurait emmené les jumeaux dans la grotte du Lupercal, où ils auraient également été surveillés par un pic vert, l'oiseau sacré de Mars, leur divin géniteur.
Témoins de la scène, les bergers des environs l'interprètent comme un présage des dieux. Parmi eux se trouve Faustulus, un porcher au service d'Amulius qui décide de prendre les enfants pour les confier à sa femme, Acca Larentia. En racontant cette version, Tite-Live indique que le mythe de la louve pourrait être une métaphore dissimulant le véritable rôle de cette femme, une prostituée. À Rome, les travailleuses du sexe installées dans les lupanars étaient connues sous le nom de lupae, ou louves.

Une autre version, rapportée par Denys d'Halicarnasse, suggère que les jumeaux auraient été confiés à Faustulus par Numitor en personne. D'après cette source, Numitor aurait en fait remplacé les fils de Rhéa Silvia par d'autres enfants afin de tromper Amulius qui avait ordonné leur mort.
Quelle que soit la version, Romulus et Rémus ont grandi pour devenir des hommes forts et courageux, connus pour leurs raids dans les villages voisins, une activité fréquente dans la vie des villages du Latium à l'époque. Ils étaient souvent en première ligne des affrontements qui opposaient les bergers loyaux à Amulius aux fidèles de Numitor, qui se disputaient tantôt des terres, tantôt du bétail. Un jour, Rémus est pris au piège et capturé par les hommes de Numitor. Alors que les bergers sont censés amener le prisonnier devant Amulius pour son jugement, le roi décide de le renvoyer à Numitor pour recevoir sa punition. Numitor décide toutefois de saisir l'occasion pour en apprendre plus sur les origines du jeune homme. Selon Plutarque, Rémus aurait partagé le peu qu'il connaissait de sa propre histoire avec ces mots : « Je ne te cèlerai rien, car tu me parais plus digne de régner qu’Amulius. Tu écoutes du moins, et tu juges, avant de punir : lui, il livre, sans les juger, les accusés au supplice. »
LA REPRISE DE ROME
Bien qu'encore incertain de l'identité du jeune homme, Numitor reconnaît en lui un esprit déterminé capable de contribuer à la reprise de son royaume. Parallèlement, après avoir assemblé une armée de bergers, d'esclaves et de fugitifs pour secourir son frère, Romulus décide d'approcher Numitor. Avec sa confirmation du récit de Rémus, Romulus aide Numitor à mettre sur pied un plan d'attaque. Le roi déchu finit par reconnaître ses petits-fils qui s'apprêtent à entreprendre le plus prestigieux des raids en son nom : attaquer la forteresse d'Amulius. Cependant, Amulius avait déjà soutiré la vérité à Faustulus et essayé en vain de faire arrêter Numitor et les jumeaux. Imperturbables, les jeunes hommes mènent leur modeste armée en bataille. Leurs manœuvres coordonnées ont raison de l'ennemi, ils s'emparent du palais royal, exécutent l'usurpateur, remettent leur grand-père sur le trône et libèrent leur mère qui était toujours prisonnière.
Si une version représente Numitor comme le sauveur des jumeaux dès leur naissance, une autre suggère que le roi déchu aurait intentionnellement provoqué le conflit entre les bergers pour orchestrer la rébellion menée par ses petits-enfants. Ainsi, l'une de ces histoires prête à Numitor le rôle de simple conseiller et l'autre celui de fin stratège qui aurait organisé dans l'ombre sa propre vengeance.
Quoi qu'il en soit, les deux jeunes hommes n'avaient aucun intérêt à attendre le décès de leur grand-père pour hériter de son trône. En outre, les habitants d'Albe la Longue ne voyaient pas d’un bon œil la masse turbulente réunie par les deux frères pour renverser Amulius. Parallèlement, Romulus et Rémus avaient acquis une réputation de héros et ils étaient nombreux à se dire prêts à les suivre, séduits par la perspective de généreux pillages, de foyers plus cossus que leur actuelle cahute et de terres propices à la culture ou à l'élevage. Dans l'interprétation de la légende où Numitor est présenté comme le deus ex machina, il aurait fondé une colonie et envoyé ses petits-fils la gouverner avec le soutien des indésirables d'Albe la Longue et des environs. Autre théorie, le scénario pourrait également concorder avec une pratique courante à l'époque, celle de dépêcher ici et là des groupes de jeunes villageois pour établir de nouvelles colonies pendant la belle saison.
UN ROI UNIQUE
C'est à partir de là que les ennuis commencent. Au Latium, il n'existait pas de dyarchie comme à Sparte, il ne pouvait donc y avoir qu'un seul roi. « Ils étaient jumeaux, et la prérogative de l'âge ne pouvait décider entre eux » de celui qui hériterait de la couronne, nous explique Tite-Live. Il fallait donc s'en remettre aux dieux, s'ensuit alors une scène animée et flamboyante qui masque probablement la guerre civile inévitable qui éclate entre les deux prétendants au trône, revendiquant tous deux des droits égaux. Selon la tradition, la décision est confiée aux augures, l'interprétation des présages fondée sur l'observation des oiseaux, l'un des moyens les plus répandus de discerner la volonté divine. D'après une autre version, c'est Numitor lui-même qui établit la prophétie après avoir été consulté par les jumeaux pour régler leur différend. Dans les deux cas, chacun des deux frères se retire alors sur la colline où il souhaite fonder sa cité : Romulus choisit le Palatin et Rémus l'Aventin. Rémus fait creuser un sillon à la charrue dans le sol par l'augure, l'interprète des présages divins, afin de matérialiser la frontière sacrée dans laquelle les présages doivent être observés. Le premier à apercevoir les oiseaux, une volée de six vautours, est Rémus, qui célèbre déjà sa victoire lorsque Romulus aperçoit à son tour douze oiseaux. Une nouvelle dispute éclate alors pour savoir lequel des deux frères vient d’être désigné roi par les dieux : celui auquel les oiseaux se sont présentés en premier ou celui qui en a vu le plus.

Cette illustration provient d'une gravure de Matthäus Merian, dit l'ancien, publiée à Francfort en 1630. Elle représente Romulus tuant son frère jumeau, Rémus.
Certains auteurs de l'antiquité avancent même que Romulus aurait menti sur le nombre d'oiseaux qu'il avait aperçu, ou c'est du moins ce que pensait Rémus. Denys d'Halicarnasse raconte que Romulus aurait tenté de tromper son frère en l'appelant au mont Palatin pour lui annoncer qu'il avait vu les vautours en premier. En chemin pour rejoindre son frère, Rémus croise six vautours. Douze oiseaux apparaissent au moment même où il demande à Romulus combien il en avait réellement aperçu et Romulus affirme que c'était précisément ces oiseaux-là qu'il avait vus plus tôt. Les factions des deux jumeaux se livrent alors un combat sans merci et c'est dans la mêlée qui s'ensuit que Rémus passe de vie à trépas.
Dans une autre version de l'histoire, également reprise par Tite-Live et, avec de légères variations, par Denys d'Halicarnasse, la mort de Rémus est attribuée à sa propre instigation. Rémus aurait ainsi enjambé le fossé creusé par son frère pour marquer la frontière de sa cité, ou simplement le sillon tracé à la charrue dans le sol, et Romulus n'aurait pas hésité à le tuer, avant de déclarer : « Ainsi périsse quiconque franchira mes murailles. » Néanmoins, d'autres sources citent le contremaître de Romulus, un certain Celer, comme assassin de Rémus, et la rapidité avec laquelle il aurait ensuite fui à Étrurie serait à l'origine du concept même de vitesse, en donnant naissance aux termes « célérité », « accélérer », issus du latin celer. Pendant le conflit, probablement une guerre civile, comme le suggère plus clairement Denys d'Halicarnasse, Faustulus aurait également trouvé la mort après avoir essayé d'amener les deux frères à faire la paix.
Après avoir enterré son frère sur la colline de l'Aventin, Romulus était libre d'achever les fortifications du mont Palatin, le cœur même de la cité qui aujourd'hui encore porte son nom. Peu importe qu'il s'y soit consacré immédiatement ou, comme le suggère Denys, après une longue période de deuil dont il n'a pu échapper qu'avec l'aide d'Acca Larentia.

Cette illustration nous montre ce à quoi aurait pu ressembler la colline avant la fondation de Rome. Au pied d'un sentier escarpé menant à son sommet se trouve une grotte, le Lupercal, où un berger du nom de Faustulus aurait vu la louve allaiter Romulus et Rémus. Faustulus et sa femme ont ensuite élevé les jumeaux pour en faire des bergers.
AUTRES ORIGINES DE ROME
Voilà donc l'histoire des origines de la Ville éternelle la plus largement acceptée, celle qui a éclipsé toutes les autres par sa nature épique et son abondance d'épreuves et de rivalités. Néanmoins, Plutarque et avant lui Denys d'Halicarnasse ont tous deux fait état d'autres légendes qui circulaient à leur époque, d'après lesquelles le nom de la Ville éternelle ne proviendrait pas de Romulus mais d'une réfugiée troyenne, une femme du nom de Roma, qui aurait persuadé les siens de s'établir sur la côte du Latium. Elle aurait même convaincu les femmes de brûler les bateaux pour empêcher les hommes de reprendre la mer. Selon Denys d'Halicarnasse, Roma aurait épousé Latinus et porté Romulus et Rémus, qui auraient ensuite baptisé la cité en l'honneur de leur mère. Le nom pourrait aussi dériver de rhome, un mot utilisé par les Pélasges, un peuple autochtone de la mer Égée et conquérant du Latium, pour exprimer le concept de « force ».

Dans le récit fait par Tite-Live de la fondation de Rome, la vestale Rhéa Siliva prétend que le père des jumeaux ne serait autre que Mars. Le dieu de la guerre est ici représenté sur une statuette du 2e siècle. Musée du Louvre, Paris.
Plutarque recense également diverses traditions affirmant que Romulus et Rémus étaient en fait les fils ou petits-fils d'Énée. Une autre histoire relate l'enlèvement des Sabines par Romulus et ses soldats pour accroître le nombre de femmes à Rome. Le plus étrange des récits relie les origines des jumeaux à la cruauté du roi Tarquin d'Albe la Longue, qui aurait aperçu le fantôme d'un phallus géant émerger d'une cheminée de son palais. Selon le récit livré par Plutarque de la curieuse interprétation, une prophétie affirmait que la vierge qui s'unirait à cette entité porterait un fils illustre, « renommé pour sa vertu, sa fortune et sa force. » Le roi ordonna alors à sa propre fille de s'offrir au fantôme, mais celle-ci préféra céder le prétendu honneur à sa femme de chambre. Averti du fait, Tarquin était sur le point d'exécuter les deux femmes lorsque la déesse Vesta intervint. Les femmes furent alors enfermées chez elles et condamnées à tisser une tapisserie qu'elles ne pourraient jamais terminer, puisque la déesse défaisait chaque nuit leur travail. À ce stade, l'histoire rejoint les autres versions : à la naissance des jumeaux, le roi les arracha à leur mère avec l'ordre de les tuer, mais un homme les abandonna sur les berges du Tibre, une louve les recueillit en leur offrant la possibilité d'un jour se venger du roi Tarquin.
Bien que la légende de Romulus et Rémus ait traversé les siècles, l'histoire et l'archéologie peinent à fournir des preuves concrètes de leur existence. Le succès et la longévité d'un peuple, d'une civilisation ou d'un personnage donnent inévitablement lieu à des légendes, façonnées de manière à instiller dans leurs origines une idée de prédestination et à légitimer leur droit à la domination et à la gloire. Le phénomène se révèle particulièrement vrai pour des entités politiques comme Rome, qui a survécu à une multitude d'incarnations : monarchie, république, principauté, Empire romain, Empire Byzantin sur plus de deux millénaires, de 753 avant notre ère, lorsque les Assyro-Babyloniens régnaient sur l'Orient, à 1453, année de la chute de Constantinople.

Selon l'historien Tite-Live, les femmes de la tribu voisine des Sabins auraient été enlevées par le roi Romulus dans une tentative d'accroître le nombre de femmes fécondes à Rome. Sur ce tableau peint par Jacques-Louis David en 1799 et exposé au Louvre, à Paris, l'artiste représente un épisode ultérieur, dans lequel les Sabines, désormais réconciliées avec leurs époux romains, s'interposent dans un conflit entre les Romains et les Sabins. À gauche, les bras tendus, on retrouve Hersilie, l'épouse sabine de Romulus. Surpris par son geste, Romulus hésite à lancer son javelot.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.