Préhistoire : les derniers jours des Néandertaliens

Alors que notre plus proche cousin sur le plan évolutif disparaissait, le climat et les sociétés humaines primitives étaient en train de subir des changements rapides. Pourrait-il s’agir de la cause de leur déclin ?

De Antonio Rodríguez-Hidalgo
Publication 29 juil. 2025, 09:08 CEST
Cette reconstitution du visage d’un homme néandertalien se fonde sur des fossiles découverts à La Chapelle-aux-Saints, ...

Cette reconstitution du visage d’un homme néandertalien se fonde sur des fossiles découverts à La Chapelle-aux-Saints, en Corrèze. On doit cette sculpture à la paléoartiste Élisabeth Daynès.

PHOTOGRAPHIE DE S. Entressangle, E. Daynes, SPL, Album

Nulle espèce humaine n’a plus éveillé l’intérêt que nos plus proches cousins, les Néandertaliens (Homo neanderthalensis). Les premiers fossiles de Néandertaliens ne furent reconnus comme tels qu’en 1863, bien qu’on les ait découverts des décennies plus tôt. Cette fascination n’a rien d’étonnant, car on a longtemps cru que les Néandertaliens formaient le chaînon manquant entre notre propre espèce, Homo sapiens, et nos premiers ancêtres, pré-humains et simiesques – et leur disparition ne fit qu’épaissir leur mystère. Voici l’histoire d’une extinction.

Autrefois, on pensait que Néandertal était une espèce européenne qui avait disparu sans laisser de traces. Leur supposée « infériorité » physique, intellectuelle et technologique les avait, croyait-on, conduits à l’extinction et à être remplacés par l’Homme de Cro-Magnon, un représentant primitif d’Homo sapiens, lui aussi européen. Cette progression cadrait naturellement avec les idées que l’on entretenait au 20e siècle au sujet de l’évolution, que l’on considérait comme un processus ascendant avec Homo sapiens au sommet. Nous nous voyions comme l’espèce qui avait mené à son terme le processus évolutif entamé plusieurs millions d’années auparavant.

Une série de reconstitutions d’hominines créée en 1951 par Maurice Wilson pour le Musée d’histoire naturelle ...

Une série de reconstitutions d’hominines créée en 1951 par Maurice Wilson pour le Musée d’histoire naturelle de Londres, classée du plus ancien au plus récent. Celle-ci comprend (de droite à gauche), un australopithèque, deux spécimens d’Homo erectus (l’Homme de Java et l’Homme de Pékin), un représentant d’Homo heidelbergensis (autrefois Homo rhodesiensis) découvert au Zimbabwe, un Néandertalien (Homo neanderthalensis) et un Cro-Magnon, terme utilisé pour désigner les premiers représentants d’Homo sapiens à s’être installés en Europe.

PHOTOGRAPHIE DE SCIENCE PHOTO LIBRARY

Aujourd’hui, nous savons que l’évolution humaine est bien plus complexe. Les avancées de la recherche ont profondément remis en cause la vieille image péjorative associée aux Néandertaliens et ébranlé l’idée selon laquelle l’Europe aurait joué un rôle central dans l’évolution humaine. Nous savons désormais que les humains actuels et les Néandertaliens ont un ancêtre commun ayant vécu il y a moins de 500 000 ans (ce qui à l’échelle de l’évolution équivaut à un clignement d’yeux). Si certains ont pu proposer de nommer Homo antecessor cet ancêtre commun aux humains et aux Néandertaliens, cela est loin de faire consensus.

Pendant le plus clair de l’existence d’Homo sapiens, les différences physiques avec les Néandertaliens furent négligeables et les différences culturelles sont archéologiquement imperceptibles. Nous avons découvert que nos cousins distants étaient aussi complexes sur le plan cognitif que nous le sommes. Un temps, nous nous sommes même mélangés, nous reproduisant avec succès et donnant naissance à des individus hybrides qui, à leur tour, se reproduisaient sans problème.

Le patrimoine résultant de cette interaction est visible de nos jours encore : chaque humain possède 1 à 4 % d’ADN néandertalien dans son génome.

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    L’existence d’autant de similitudes et la capacité à s’hybrider ne manquent pas de susciter le débat depuis des décennies. Selon certains chercheurs, Homo sapiens et Néandertal ne formaient en fait qu’une seule et unique espèce, chose que la taxonomie, la classification des êtres vivants, définit comme un ensemble de populations naturelles capables de se reproduire entre elles et de produire une descendance fertile. Vu ainsi, les Néandertaliens seraient une sous-espèce apparue en Europe avant d’être réabsorbée par les populations arrivées d’Afrique à la fin du Pléistocène (la longue période de deux millions d’années dont la fin a coïncidé avec celle de la dernière ère glaciaire). D’autres chercheurs avancent que les différences physiques et génétiques entre les Néandertaliens classiques (ceux qui vécurent d’il y a 200 000 ans jusqu’à leur extinction) et les représentants d’Homo sapiens de la même période permettent encore de laisser chaque espèce reste dans son propre compartiment taxonomique.

    Mais une chose concernant l’histoire des Néandertaliens continue de nous fasciner : ils se sont éteints. Les Néandertaliens ont disparu sans laisser de trace et ont été complètement remplacés par Homo sapiens partout où ils avaient vécu pendant des centaines de milliers d’années.

     

    UN PROCESSUS NATUREL

    L’extinction est une composante naturelle de l’évolution biologique. On estime que 99,9 % de l’ensemble des espèces ayant jamais existé ont disparu. Il nous faut donc voir l’extinction des Néandertaliens comme un processus historique naturel et non comme une exception ou comme quelque chose de rare.

    De nombreux facteurs différents entrent en jeu dans une extinction naturelle, les plus courants étant la compétition entre espèces et les changements écosystémiques. Ces éléments peuvent être déterminants dans l’extinction de taxons ou d’espèces quand leurs populations rencontrent des problèmes démographiques ou génétiques ou, au contraire, ne pas avoir d’effet du tout quand ces populations sont en bonne santé.

    Child's molar, Pinilla del Valle

    Cette molaire de Néandertalien vient de Pinilla del Valle, dans la haute vallée du Loyoza, en Espagne. Des Néandertaliens y vécurent il y a plus de 80 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Javier Trueba, SPL, Album

    Il est difficile d’avancer des chiffres précis lorsqu’il s’agit de l’évolution humaine, mais voici une estimation : les Néandertaliens se sont éteints il y a 37 000 à 40 000 ans. Selon les données actuellement disponibles, on peut raisonnablement affirmer qu’il n’existe pas de preuve solide qu’ils aient vécu au-delà de ce seuil. Ce semblant de certitude établi, quelques nuances s’imposent.

    Pour savoir quand un individu ou une population néandertalienne a vécu et, donc, quand cet individu ou cette population a disparu, nous avons recours à la datation radiométrique chaque fois que c’est possible. Grâce aux améliorations de ces techniques, certains Néandertaliens initialement datés à une période plus récente – ceux de Vindija (Croatie) à 28 000 ans ou ceux de Spy (Belgique) à 30 000 ans – sont désormais replacés dans une chronologie cadrant davantage avec le seuil de 37 000 à 40 000 ans évoqué plus tôt. Toutefois, certaines populations isolées réussirent à survivre quelques millénaires de plus dans certaines régions. Quoi qu’il en soit, la nature même de la datation radiométrique ne nous permettra jamais d’obtenir une date précise de l’extinction des Néandertaliens, mais uniquement une fourchette de probabilités.

    Shaping skulls

    Des fossiles plus tard utilisés pour développer un modèle de ce à quoi les Néandertaliens ressemblaient furent mis au jour à La Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, en 1908. Ces caractéristiques ont plus tard été attribuées à l’arthrose.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

    Du point de vue de la biologie et de l’écologie, on considère une espèce éteinte quand son dernier individu meurt. L’image populaire du déclin de Néandertal est une séquence dans laquelle un individu errant et mélancolique rend son dernier souffle dans une grotte, sur une montagne, tout en se remémorant ses semblables disparus avant lui. Pour qu’une espèce s’éteigne, il faut évidemment qu’il y ait un dernier individu, mais la nature œuvre de manière bien plus complexe. L’affinité entre Néandertaliens et Homo sapiens a pu pousser les derniers représentant à se mélanger de telle sorte que, plutôt que de disparaître, les Néandertaliens se sont dilués au sein de la population nouvellement arrivée d’Afrique.

    Avant qu’un taxon ou qu’une espèce ne s’éteignent, ils peuvent être éradiqués ou poussés hors d’une de ses aires naturelles (par exemple à cause de changements climatiques), ce qui restreint le territoire sur lequel il est possible de les trouver. Les espèces peuvent même se trouver dans un état d’extinction fonctionnelle ; les populations sont alors trop petites pour assurer leur viabilité à long terme. Une récente analyse de l’ADN d’un fossile de Néandertalien découvert dans la grotte Mandrin, dans la vallée du Rhône, révèle que l’individu en question appartenait à une lignée néandertalienne jusqu’alors inconnue, une minuscule communauté demeurée génétiquement isolée des autres Néandertaliens pendant près de 50 000 ans. La capacité de ces populations à survivre isolées pendant si longtemps montre toute leur résilience.

    Avant leur extinction finale, leurs populations furent probablement repoussées hors de leurs aires d’habitation et durent se retrouver isolées en petits groupes sans qu’il n’y ait d’échanges génétiques entre elles.

    Les études génomiques de Néandertaliens retrouvés dans des grottes d’El Sidrón (Asturies, Espagne), de Vindija (Croatie), de Mezmaïskaïa (Caucase) et de l’Altaï (Sibérie) montrent que la diversité génétique des dernières populations était très faible. Cela signifie qu’il s’agissait de petits groupes très fermés où la consanguinité existait. Donc bien que certains individus aient pu se reproduire avec d’autres espèces humaines, à la fin, la plupart des populations et sous-populations néandertaliennes étaient physiquement et génétiquement isolées et donc fonctionnellement éteintes. On estime que ce processus a pu s’étirer sur cinq millénaires de 42 000 à 37 000 ans avant le présent.

     

    RETRAITE MÉDITERRANÉENNE

    A tool for every task

    Cet outil a été fabriqué grâce à la méthode Levallois, une méthode mise au point par les Néandertaliens. On frappait savamment une pierre pour produire des éclats précis. Ensuite, ces éclats étaient retouchés pour obtenir différents outils destinés à différentes tâches.

    PHOTOGRAPHIE DE ALFRED PASIEKA, SPL, Album

    Bien que l’on ait pu penser que les Néandertaliens avaient été exclusivement Européens, on a découvert certains de leurs fossiles très à l’est, dans les grottes de Tchagyrka et de Denisova dans l’Altaï (Sibérie) et dans l’abri de Bawa Yawan dans les monts Zagros (Iran).

    Certains outils en pierre nous permettent de supposer que les Néandertaliens ont pu aller jusqu’en Asie de l’Est et que leur présence était très courante en Asie Centrale. Ainsi, il serait plus exact de parler de taxon eurasien.

    Cependant, les derniers fossiles néandertaliens ou sites archéologiques moustériens, ainsi que l’on nomme la culture caractéristique des Néandertaliens, viennent de la moitié sud de l’Europe. La péninsule ibérienne joue ici un rôle fondamental. Il est clair que les Néandertaliens passèrent leurs derniers siècles sous le soleil de l’Andalousie, mais la date exacte de leur extinction demeure matière à débats. Des études réalisées dans la grotte du Boquete (Málaga, Espagne) en 2003 et dans la grotte de Gorham (Gibraltar) en 2006 ont donné des datations très récentes, comprises entre 28 000 et 33 000 ans. Ces résultats ont depuis été remis en question. On ne peut pas affirmer avec certitude que ces sites ont moins de 40 000 ans.

    The Denisova Cave

    Des archéologues explorent cette grotte dans les montagnes de l’Altaï, qui furent occupées par plusieurs espèces humaines sur une période de 200 000 ans. Parmi ses nombreux occupants figuraient les Dénisoviens, qui vécurent là il y a 90 000 ans environ.

    PHOTOGRAPHIE DE Eddie Gerald, Alamy, ACI

    D’autres sites ibériques au sud de l’Èbre, comme l’abri Antón et Sima de las Palomas (Murcie, Espagne), Gruta da Oliveira (Portugal) et certains niveaux de la grotte de Gorham, continuent de fournir des données pertinentes permettant de soutenir l’hypothèse que si la péninsule ibérique n’était pas le dernier endroit où Néandertal a survécu, ce fut bel et bien le dernier en Europe de l’Ouest. Cependant, il ne serait pas étonnant que nous découvrions, dans un futur proche, d’autres populations telles que celles de la péninsule ibérique en Sibérie, voire plus à l’est encore.

     

    CHANGEMENT CLIMATIQUE ET CHAOS

    L’une des questions les plus importantes en paléoanthropologie est celle de la raison de l’extinction de Néandertal. La réalité est que nous n’avons pas vraiment de réponse. Mais il existe plusieurs hypothèses. Un temps inimaginable s’est écoulé entre l’émergence de Néandertal et son extinction. Durant les 350 000 années qu’a existé l’espèce, le climat a changé drastiquement des dizaines de fois et ce à l’échelle du globe. Cela signifie qu’en l’espace de 13 000 générations, les Néandertaliens ont vu des endroits comme les îles britanniques avoir des étés ensoleillés et des hivers doux puis être ensevelies sous des tonnes de glace.

    Nous savons que Néandertal vécut au moins dix oscillations climatiques majeures que l’on appelle périodes glaciaires et interglaciaires, elles-mêmes ponctuées de stadiaux (avancée secondaire des glaciers) et d’interstadiaux (recul ou stagnation des glaciers). Des recherches locales indiquent que le sud de l’Europe, non seulement les péninsules méditerranéennes mais également le littoral septentrional de la mer noire et le Caucase, fut épargné par les conditions les plus extrêmes lors des phases les plus froides. Ces zones agirent comme des refuges où la faune et la flore s’étaient retirées avant l’avancée des glaces. Après la fonte de celles-ci, la faune et la flore retournèrent coloniser leurs anciens territoires dans un foisonnement nouveau.

    Les Néandertaliens n’étaient que des pions sur le grand échiquier des écosystèmes, et leur aire de répartition s’agrandit et se contracta au gré des variations climatiques.

    Des données moléculaires et archéologiques nous apprennent qu’il y eut plusieurs moments de splendeur lors desquels Néandertal colonisa des territoires au nord et à l’est, peut-être jusqu’en Mongolie et jusqu’en Chine. Une vague d’expansion notable commença il y a 130 000 ans et une autre il y a 60 000 ans, notamment à la faveur de périodes climatiques douces. Mais la seconde expansion fut de courte durée : il y a 55 000 ans, une série d’événements climatiques très brefs, extrêmes et irréguliers produisit des conditions complètement imprévisibles. Parfois, ces changements se produisaient à l’échelle d’une vie humaine. Ceux-ci eurent probablement des conséquences terribles sur les populations néandertaliennes, qui entrèrent dans une période de grande incertitude.

    Un crâne de Néandertalien de Gibraltar qui aurait 40 000 ans.

    Un crâne de Néandertalien de Gibraltar qui aurait 40 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Scala, Florence

    Les Néandertaliens n’étaient que des pions sur le grand échiquier des écosystèmes, et leur aire de répartition s’agrandit et se contracta au gré des variations climatiques.

    Des données moléculaires et archéologiques nous apprennent qu’il y eut plusieurs moments de splendeur lors desquels Néandertal colonisa des territoires au nord et à l’est, peut-être jusqu’en Mongolie et jusqu’en Chine. Une vague d’expansion notable commença il y a 130 000 ans et une autre il y a 60 000 ans, notamment à la faveur de périodes climatiques douces. Mais la seconde expansion fut de courte durée : il y a 55 000 ans, une série d’événements climatiques très brefs, extrêmes et irréguliers produisit des conditions complètement imprévisibles. Parfois, ces changements se produisaient à l’échelle d’une vie humaine. Ceux-ci eurent probablement des conséquences terribles sur les populations néandertaliennes, qui entrèrent dans une période de grande incertitude.

    Bison on the menu

    Bien que l’alimentation néandertalienne ait été variée, sous les latitudes médianes de l’Europe, celle-ci reposait principalement sur les grands herbivores. Cette sculpture de bison a été débitée dans un bois de cerf par Homo sapiens il y a 15 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Tandis que différentes populations néandertaliennes purent s’adapter aux écosystèmes méditerranéens où, semble-t-il, elles diversifièrent leur alimentation en y intégrant une part importante de légumes, de petits animaux tels que des oiseaux, des lapins et des tortues, et même des ressources marines, on vivait une vie bien plus austère dans le nord de l’Europe.

    Là, on dépendait des grands herbivores, dont le nombre déclina au fil des cycles glaciaires. Souvent, notamment pendant les périodes froides, les Néandertaliens des plaines européennes dépendaient fortement de la viande d’une de leurs deux proies principales : le bison à Mauran ou le renne dans l’abri rocheux de Jonzac (les deux sites sont en France). Les restes d’animaux consommés sur ces sites n’indiquent pas de famines ou pénuries dans ces zones durant les dernières occupations. Toutefois, plus un prédateur est spécialisé – et les Néandertaliens l’étaient justement –, plus il devient vulnérable à l’extinction lorsque les conditions climatiques se détériorent et que le nombre de proies disponibles diminue.

     

    COEXISTENCE OU CONFRONTATION ?

    Le milieu de la période interglaciaire du stade isotopique marin 3 (il y a 45 000 ans environ) fut marqué par un climat imprévisible s’aggravant de temps à autre. Les populations néandertaliennes se divisèrent en petits groupes isolés, tandis qu’une nouvelle lignée humaine d’origine africaine commençait timidement à s’implanter dans le bassin inférieur du Danube, depuis l’Afrique ou l’Asie.

    Ce n’était pas la première fois que les Néandertaliens et Homo sapiens coexistaient. En effet, de 100 000 à 55 000 ans avant le présent, les deux espèces avaient vécu côte à côte sans conflit apparent au Proche-Orient.

    Selon de nombreux chercheurs, la concurrence entre les anciens habitants de l’Europe et les nouveaux arrivants pour accaparer ressources et territoires fut l’élément qui fit pencher la balance contre les Néandertaliens.

    Carved in time

    Un Néandertalien travaille la pierre sur cette reconstitution d’Élisabeth Daynès. Elle s’inspire de La Ferrassie 1, le plus complet des squelettes néandertaliens découvert à ce jour (40 000 à 54 000 ans).

    PHOTOGRAPHIE DE S. Plailly, E. Daynes, SCIENCE PHOTO LIBRARY, Album

    Bien que les archéologues ne voient pas énormément de différence entre les Néandertaliens et Homo sapiens en matière de technologie, d’alimentation ou concernant leur façon d’occuper le territoire, les premiers migrants Homo sapiens qui arrivèrent en Europe apportèrent dans leurs bagages des cultures du Paléolithique supérieur. Celles-ci comportaient des éléments qui jouèrent peut-être un rôle de la plus grande importance dans leur adaptation à un monde en crise : des aiguilles pour coudre des vêtements sophistiqués, des harpons pour pêcher et chasser des animaux aquatiques, des propulseurs pour la chasse à longue distance et, surtout, une panoplie impressionnante d’ornements révélant l’existence de réseaux complexes d’échange à longue distance entre groupes.

    Cette coexistence a été documentée grâce à des fossiles hybrides. Parmi ceux-ci figurent Oase 1, une mâchoire comportant un mélange de traits appartenant à Homo sapiens et à Néandertal découverte à Pestera cu Oase (Roumanie), et des fossiles découverts dans la grotte de Bacho Kiro (Bulgarie) qui avaient eu un grand-parent de chaque espèce six à dix générations avant leur naissance. On a également proposé l’hypothèse que certaines cultures de transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur, comme le Châtelperronien, purent être le produit d’un échange d’idées entre les deux groupes humains, qui coexistèrent pendant au moins trois millénaires dans la plupart de l’Europe.

    Traces of a transition

    Le remplacement (ou l’assimilation) de Néandertal par Homo sapiens en Europe se reflète dans la transition qui s’est opérée dans la fabrication d’outils. L’industrie lithique du Paléolithique moyen (120 000 à 50 000 ans avant le présent) se caractérise par une culture moustérienne, principalement néandertalienne, tandis que le Paléolithique supérieur (50 000 à 10 000 ans avant le présent) est uniquement dominé par Homo sapiens et des cultures telles que l’Aurignacien, le Solutréen et le Magdalénien. Entre ces deux périodes, de 50 000 à 40 000 ans avant le présent, des cultures de transition, comme le Châtelperronien, l’Uluzzien et le Bohunicien se développèrent. Ces dessins montrent des exemples d’outils produits par ces industries. Bien que l’existence du Châtelperronien soit contestée par certains chercheurs, d’autres affirment que cette culture présente des innovations typiques du Paléolithique supérieur, certaines dues à Néandertal et d’autres à Homo sapiens. Une connectivité accrue entre populations a pu être à l’origine de l’émergence de ces cultures.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Peut-être que cette stratégie de reproduction suffit à évincer écologiquement Néandertal. Les Néandertaliens pourraient avoir consacré d’importants efforts à l’éducation d’un petit nombre d’enfants ; une stratégie écologique favorisant les prédateurs spécialisés vivant en équilibre avec l’environnement. En revanche, Homo sapiens, tout juste arrivé, pourrait avoir profité de davantage de stratégies écologiques opportunistes ; moins d’investissement dans l’éducation, mais une descendance plus nombreuse, même si la probabilité d’atteindre l’âge adulte était plus faible. Étant donné que de petites différences dans la mortalité de populations concurrentes ont entraîné l’extinction de la moins compétitive, on peut envisager qu’Homo sapiens ait remplacé d’autres hominidés au cours de son expansion mondiale.

    La confrontation agressive semble, elle, exclue : rien, pas l’ombre d’une preuve, ne permet d’affirmer qu’Homo sapiens exterminait « délibérément » Néandertal. Il ne s’agit pas d’une opposition entre deux espèces humaines chacune homogène et nettement différenciée. Les deux groupes étaient, en leur sein même, diversifiés culturellement et (selon toute vraisemblance) phénotypiquement (c’est-à-dire du point de vue de leur apparence extérieure).

    Des marques visibles sur une griffe d’aigle impérial transformée en ornement il y a 40 000 ans.

    Des marques visibles sur une griffe d’aigle impérial transformée en ornement il y a 40 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Antonio Rodríguez-Hidalgo

    À certains endroits et au sein de certaines populations, il ne devait pas y avoir de grandes différences entre les deux groupes. Néanmoins, le contact entre les deux populations en Europe était probablement sporadique. Le processus d’extinction des Néandertaliens européens eut lieu sur une période de plus de 5 000 ans. La structure des populations néandertaliennes (de petits groupes hautement consanguins), leurs stratégies de reproduction, leur place au sein des écosystèmes, le chaos climatique et la réduction du nombre de leurs proies principales sont autant de facteurs qui créèrent un panorama décourageant.

    Peut-être que si Homo sapiens n’était pas sorti d’Afrique, les populations néandertaliennes auraient recolonisé une énième fois toute l’Eurasie lors de la période interglaciaire suivante depuis leurs refuges du sud de l’Europe. Peut-être auraient-elles survécu des millénaires de plus. Nous ne le saurons jamais.

    Notre espèce s’est propagée sur l’ensemble du globe à une vitesse inédite et dans des régions qui n’avaient jamais reçu la visite d’autres hominidés. En plus des Néandertaliens, Homo sapiens rencontra d’autres humains de différentes espèces sur son chemin : les Dénisoviens en Asie Centrale, Homo luzonensis dans le Pacifique, Homo floresiensis en Asie du Sud-Est, et sûrement d’autres qu’il nous reste à découvrir.

    Si après 160 ans d’étude des Néandertaliens nous n’avons toujours pas de réponse définitive concernant leur extinction, la voie vers l’élucidation de la disparition des autres espèces humaines semble tout aussi longue, et non moins fascinante.

    Ornements et vêtements sur la reconstitution réalisée par Élisabeth Daynès d’une femme de l’espèce Homo sapiens ...

    Ornements et vêtements sur la reconstitution réalisée par Élisabeth Daynès d’une femme de l’espèce Homo sapiens ayant vécu près du site de l’abri Pataud (Dordogne), il y a 17 000 à 47 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE S. Entressangle, E. Daynes, SCIENCE PHOTO LIBRARY, Album

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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