Le bonheur et la richesse ne font pas tout, encore faut-il s'épanouir

Les scientifiques expliquent que le secret d’une vie heureuse tient à notre capacité d'épanouissement. Une nouvelle étude internationale de grande échelle révèle le secret des personnes épanouies.

De Julia Flynn Siler
Publication 6 mai 2025, 09:11 CEST
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L’épanouissement est un concept utile car il existe beaucoup de manières d’être épanoui ; il ne suffit pas de mener une vie parfaite.

PHOTOGRAPHIE DE Kendrick Brinson, Nat Geo Image Collection

Qu’est-ce que la belle vie ? C’est la question que se pose Tyler J. VanderWeele depuis des dizaines d’années.

Lors de sa première étude universitaire en tant que biostatisticien de l’université de Chicago, il n’était pas d’accord avec la définition et la manière qu’avaient les scientifiques de mesurer le bien-être humain. Il existait un grand nombre d’études sur les mesures spécifiques sur les symptômes cliniques, comme la dépression, ou les états émotionnels, comme la joie ou l’anxiété. Les chercheurs avaient traqué des marqueurs objectifs de santé, comme la pression sanguine ou la qualité du sommeil, ainsi que l’influence de la situation économique sur la santé.

Cependant, ces mesures capturaient à la fois les problèmes ainsi que les joies de la vie, et VanderWeele trouvait qu’elles ne prenaient pas en compte le caractère holistique de ce que recherchent vraiment les humains : le besoin de mener une vie pleine de sens.

Depuis ce premier travail, son équipe a développé une manière plus efficace de mesurer le bien-être des humains, tant mental, que physique et spirituel. Ils appellent cela « l’épanouissement ».

« L’épanouissement peut, en tant que tel, être vu comme un état lors duquel tous les aspects de la vie d’une personne sont positifs », écrivait le biostatisticien dans un article influent publié en 2017 : « De la promotion de l’épanouissement humain ». Son équipe et lui ont depuis élargi leur définition pour y inclure le contexte, la communauté ainsi que l’environnement de vie des personnes.

L’épanouissement est un concept utile car il existe plus d’une manière de l’atteindre. Il n’est pas nécessaire que tous les éléments de la vie d’une personne soient parfaits pour être épanoui. L’épanouissement admet également que ce qui compte pour les personnes, ce qui les motive et donne un sens à leur vie, se doit de résonner avec leurs valeurs.

Dans les années qui ont suivi ce premier éclair de génie, VanderWeele, qui enseigne à présent à Harvard, a travaillé étroitement avec Byron R. Johnson, de l’université Baylor, pour créer une mesure scientifique et calibrée afin de mesurer et de mieux étudier l’épanouissement. Il y a cinq ans, en partenariat avec Gallup et le Centre pour les sciences ouvertes de Virginie, ils se sont embarqués dans une étude ambitieuse sur plus de 200 000 participants issus 22 pays différents pour découvrir ce qui menait à l’épanouissement chez l’humain.

Les derniers résultats ont été publiés le 30 avril dans la revue scientifique Natural Mental Health. Ils soulèvent des questions tant provoquantes que dérangeantes sur le bien-être à travers le monde.

Un facteur à retenir ? La communauté est cruciale. « Ce que l’on ne comprend parfois pas, surtout en Occident et peut-être même plus dans la culture américaine, c’est que l’autonomie complète ne nous aidera pas vraiment à nous épanouir », explique VanderWeele. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est les uns des autres.

« L’étude globale sur l’épanouissement révèle des aspects fascinants de ce qu’est une vie bien vécue », admire Ian Goldin, économiste du développement de l’université d’Oxford, qui n’a pas pris part à la récente étude mais l’a relue avant sa publication. « Les choix que nous faisons, en tant qu’individus et en tant que communauté, nous apportent une profonde satisfaction et un sentiment de bien-être. Ce ne sont pas nos possessions matérielles ou nos engagements virtuels. »

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Les activités de groupe et de communauté aident à l’épanouissement.

PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr, Nat Geo Image Collection

 

ON S'ÉPANOUIT PAS DE LA MÊME MANIÈRE À TOUS LES ÂGES

Le but de l’étude globale sur l’épanouissement (en anglais, Gobal Flourishing Study, GFS) est de jauger cet épanouissement chez des individus issus de différents pays sur une période de cinq ans sur la base de réponses des participants à un sondage annuel comportant des questions sur leurs vies. Elles vont de « Je comprends le but de ma vie », à « Comment je noterais ma santé physique », en passant par « Combien de temps je passe à m’inquiéter de pouvoir vivre normalement grâce à mes revenus ».

La GFS se concentre sur six domaines clés : la joie et la satisfaction générale, la santé mentale et physique, le sens et le but de la vie, le caractère et les vertus, les relations sociales entretenues avec les proches ainsi que le confort financier et matériel. Les réponses aux questions de chacun de ces domaines sont décomptées pour obtenir un aperçu du bien-être des participants.

Les découvertes issues de la seconde vague de données publiées le 30 avril montrent que, d'une manière générale, les personnes âgées de dix-huit à vingt-neuf ans ne sont pas épanouies. « La chose la plus perturbante [pour moi] c’est que les jeunes de beaucoup de pays sont en crise », déplore VanderWeele. « Cela a de réelles implications pour la politique et soulève des questions sur l’intérêt que nous portons au bien-être de la jeunesse et s’il ne faudrait pas en faire une priorité plus importante. »

Par convention, et les personnes qui étudient le bien-être en sont bien conscients, c’est que la courbe du bien-être a tendance à être en forme de U au cours de la vie : plus élevée lorsque l’on est jeune ou vieux et plus basse au cours de la moitié de la vie. Les résultats les plus récents suggèrent que cette courbe s’aplatirait entre dix-huit et quarante-neuf ans avant de grimper, passé cet âge. « Les plus jeunes présentent les niveaux les plus faibles d’épanouissement », explique VanderWeele. « Ce n’est pas un cas universel […] mais on l’observe en Australie, en Argentine, au Brésil, au Mexique, en Allemagne, en Suède, aux États-Unis et au Royaume-Uni. » Il est à noter que ce n’est pas le cas en Pologne et en Tanzanie.

Alors, qu’est-ce qui a changé ? Beaucoup de causes potentielles sont pointées du doigt. Les sociologues suggèrent que les jeunes font face à la crise de l’immobilier, aux retombées de la pandémie, au futur incertain du monde du travail et, en général, à un effilochement des institutions sociales, comme la religion et le gouvernement. Ce sont des causes communes au monde entier.

D’autres études tirent également des sonnettes d’alarme similaires quant aux difficultés que rencontre la jeunesse. Le rapport mondial sur le bonheur, dont les résultats de 2025 sont parus en mars, qui est également basé sur les données du sondage Gallup, souligne que les jeunes sont en détresse. En 2013, 19 % des jeunes adultes à travers le monde disaient n’avoir personne à qui se confier. Une augmentation de 39 % par rapport à 2006.

Brandon Kwok, vingt-quatre ans, qui a grandi à Singapour, a eu sa première crise de panique à quatorze ans. Il discute maintenant des défis auxquels il a dû faire face pour éviter l’isolement social et chercher les interactions avec les autres en participant à des sports collectifs et en travaillant en tant que barman à l’université. « L’anxiété, c'est le fléau de ma génération », déclare-t-il. « Personne ne connaît le secret » pour vivre avec.

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    Famille et amis célèbrent Nowruz, le Nouvel An perse, dans un foyer de Claremont, en Californie. Les personnes qui participent à des sermons religieux toutes les semaines tendent à être plus épanouies. Mais les événements de communautés séculaires peuvent également exercer une grande influence.

    PHOTOGRAPHIE DE Balazs Gardi, Nat Geo Image Collection

     

    LES PAYS PAUVRES SONT PLUS ÉPANOUIS QUE LES PAYS RICHES

    L’étude tend par ailleurs à prouver que trouver un sens à sa vie et être épanoui semblent être inversement corrélés au PIB (produit intérieur brut) par habitant d’un pays. « Tandis que les pays plus riches et plus développés marquent plus de points sur les questions comme celles de la sécurité financière, […] ils ne font pas aussi bien sur la quête de sens, les relations sociales ou le caractère pro-social », explique VenderWeele, qui dit avoir été surpris.

    « Les pays du tiers-monde dépassent constamment les grandes puissances sur les questions du sens et du but de la vie », analyse Byron Johnson. « Cela n’a rien à voir avec le PIB. »

    Il faut cependant mener plus de recherches. « Les données ne fournissent pas les preuves qu’une prospérité importante soit à l’origine d’une baisse de l’épanouissement », rassure Eranda Jayawickreme, professeure de psychologie à l’université Wake Forest, qui n’a pas pris part à la récente étude.

    Du moins, pas encore. Le projet en cours accomplit ce que la plupart des études précédentes sur l’épanouissement n’ont pas fait. Elle traque les réponses des personnes au sondage sur une période de plusieurs années, à l’inverse de les prendre à un seul moment, ce qui pourrait éventuellement aider les chercheurs à tirer des conclusions sur la causalité. « Il sera intéressant de voir si les preuves tiennent la route au cours des différentes salves de cette étude. » Il est aussi intéressant de remarquer que, si cette étude s’est intéressée à des pays très riches, et d’autres plus pauvres, les plus pauvres pays du monde n’en faisaient pas partie. Il est difficile de dire à quelle place du classement ils se trouveraient.

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    Des membres d’une équipe senior de natation synchronisée prennent la pose durant un entraînement à Sun City, dans l’État de l’Arizona.

    PHOTOGRAPHIE DE Kendrick Brinson, Nat Geo Image Collection
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    Des étudiantes d’une école Hangul de Baubau, en Indonésie, prennent part à une danse traditionnelle coréenne.

    PHOTOGRAPHIE DE Nyimas Laula, The New York Times, Redux

     

    LES INDONÉSIENS S’ÉPANOUISSENT QUAND LES JAPONAIS S'INTERROGENT

    L’Indonésie est au sommet du classement de la GFS. Ce pays a majorité musulmane a les scores moyens les plus élevés dans beaucoup d’aspects de l’épanouissement parmi les vingt-deux pays participants. Pour comparaison, son score d’épanouissement moyen est de 8,47 et celui des États-Unis de 7,18. L’Indonésie est également beaucoup plus pauvre que les États-Unis.

    Pourquoi les Indonésiens sont-ils si épanouis ? « L’Indonésie est un pays insulaire qui a toujours montré une diversité incroyable dans ses ethnicités, ses langues, ses cultures et les religions pratiquées », remarque Byron Johnson. « Comme au sein de tout pays, l’Indonésie est sujette aux conflits, mais le pays fait beaucoup pour ne pas perturber son harmonie. » L’une des explications possibles pour cela, c’est que les villages et les structures tribales traditionnels du pays cherchent historiquement à instaurer des relations pacifiques, même avec ceux qui ne partagent pas leur religion.

    « Dans des lieux qui font face à de véritables défis économiques, il subsiste un sens profond d’orientation sociale et du sens de la vie », explique VanderWeele, « et je pense que c’est ce que l’Occident a négligé, dans une certaine mesure ».

    À vingt-huit ans, Alberta Christina C. Pertiwi aide à la direction des programmes universitaires à l’Universitas Indonesia et est maîtresse de conférences au sein du département d’Anthropologie. Elle a la perspective d’une personne ayant vécu à New York, où elle a fait ses études à l’université de Columbia, à présent, à Jakarta, où elle est née et a passé une grande partie de sa vie.

    En Indonésie, Pertiwi observe l’espoir chez ses étudiant, peut-être parce qu’ils vivent dans un pays à forte cohésion sociale. « C’est une culture de vie familiale, de collectivisme, qui se manifeste par des repas partagés et des sorties en famille et entre amis. »

    L’Indonésie, avec un PIB par habitant s’élevant à 4 630 € en 2025, s’est illustrée en grande gagnante de l’épanouissement, tandis que les États-Unis et leur PIB de 79 000 € se trouvaient dans le tier inférieur.

    Le Japon, PIB de 31 400 €, était dernier. De même, dans le rapport mondial sur le bonheur, le Japon se trouvait à la 55e place, juste en-dessous de l’Ouzbékistan, un pays dont le PIB par habitant est environ un dixième de celui du Japon. Lorsque l’on considère ces facteurs, cela suggère que le pays fait face à un grand nombre de contraintes sociales.

    « Le cas du Japon est un avertissement des risques liés à un développement économique très rapide », explique Brendan Case, directeur adjoint de recherche du programme sur l’épanouissement humain de Harvard, qui a étroitement travaillé avec les données de l’étude. Il a remarqué que les débats en cours au Japon sur la baisse de natalité, les défis pour fonder une famille, le grand nombre d’hommes isolés socialement et les faibles niveaux de participation religieuse contribueraient potentiellement au manque d’épanouissement de ses citoyens. « Il semble raisonnable de se demander si la vitesse rapide à laquelle le pays s’est transformé, économiquement et culturellement, au cours des cent cinquante dernières années ne se serait pas fait au détriment de l’épanouissement dans de nombreux secteurs. »

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    Gauche: Supérieur:

    En vieillissant, on devient plus à risque de s’isoler socialement. Rester impliqué dans des clubs et des activités de groupe peut aider à améliorer son bien-être. Des membres d’une équipe senior de softball s’échauffe avant un match à Sun City, dans l'Arizona. 

    PHOTOGRAPHIE DE Kendrick Brinson, Nat Geo Image Collection
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    Des randonneurs profitent des couleurs du printemps lors du festival des fleurs sauvages de Crested Butte, dans le Colorado.

    PHOTOGRAPHIE DE Elliot Ross, Nat Geo Image Collection

     

    L’ÉPANOUISSEMENT, À TOUT ÂGE

    Comprendre l’épanouissement devient une urgence, et pas seulement pour les membres de la génération Z, comme Brandon Kwok. Les mesures d’isolement social, la solitude, l’anxiété et d’autres tendances antisociales font leur apparition. Qu’est-ce qui cause cette détérioration et comment la contrer ?

    Nous n’avons pas encore de réponses à ces importantes questions. Mais, en tant qu’individus, nous pouvons tous tendre vers l’épanouissement. Et le groupe interdisciplinaire de VanderWeele de Harvard espère faire passer le message : des petits changements peuvent aider. Les recommandations ? Participer à des activités de groupe (clubs de sport, bénévolat dans des associations), ce qui peut avoir des effets bénéfiques tout en améliorant nos relations sociales.

    Les personnes assistant à des sermons religieux chaque semaine ont tendance à obtenir de meilleurs résultats d’épanouissement. Mais les événements séculaires de communauté peuvent avoir d’importantes conséquences. Prenons comme exemple Claire Parker, oncologue britannique à la retraite. Au cours de sa vie, elle a fait face à de nombreux défis : à vingt-huit ans, elle a perdu sa jambe à cause d’un cancer et à cinquante-cinq ans, son mariage a pris fin.

    Claire Parker, âgée aujourd’hui de soixante-quatre ans, confie être épanouie malgré son handicap. Selon elle, ce serait grâce à son implication dans différentes communautés, comme le bénévolat auprès de Falcon Boat Club, une organisation à but non-lucratif qui la soutient elle et d’autres amateurs de sports nautiques depuis 1869. Elle intervient aussi au sein d’écoles et a commencé un nouveau hobby : elle élève des abeilles. « Cela apporte un équilibre dans ma vie de faire du bénévolat », remarque-t-elle, confiant que cela a été « très bénéfique à mon bien-être ».

    Le bénévolat et l’implication au sein de communautés sont de puissantes formes de connexion sociale. Tout comme partager un repas avec d’autres personnes, ce qui s’avère être un facteur important dans la prédiction du bonheur. Jan-Emmanuel De Neve, directeur du centre de recherche sur le bien-être de l’université d’Oxford et co-éditeur du rapport mondial sur le bonheur de cette année, remarque que, en 2023, environ un Américain sur quatre confiait avoir mangé son repas seul, la veille de l'étude, une hausse de 53 % depuis 2003. De Neve remarque que manger seul est une tendance qui a fortement augmenté dans les pays d’Asie de l’Est, comme en Corée et au Japon, où les personnes interrogées confiaient ne partager des repas avec d’autres qu’une à deux fois par semaine. Cela pourrait être dû à la culture du travail intense de ces pays.

    Passer plus de temps avec d’autres personnes, au cours de repas ou ailleurs et s’isoler pour méditer pourrait nous aider à nous épanouir. Mais, la réalité c’est que, dans de nombreux endroits à travers le monde, les pressions économiques et sociales peuvent se mettre en travers de notre chemin.

    Brandon Kwok, le Singapourien de vingt-quatre ans, s’est tourné vers Aristote lors de ses réflexions sur son épanouissement. Il est dans sa dernière année à l’université d’Oxford, et étudie la philosophie, la politique et l’économie. Brandon a déjà trouvé un travail à Londres, une fois qu’il aura terminé ses études. Mais ce nouveau travail compliquera ses retours à Singapour pour rendre visite à sa mère. « Ce n’est pas facile », admet-il.

    S’inspirant d'Aristote, il croit que, pour s’épanouir, il doit se fixer des objectifs, même si cela signifie faire face à un défi, loin de son foyer et de sa famille. Trouver un équilibre, surtout chez les jeunes, n’est pas facile.

    Mais l’épanouissement est un chemin plutôt qu’une condition statique, comme le remarquent les auteurs de l’étude. Ce n’est pas une condition que l’on peut atteindre à la perfection. Il y a toujours un autre moyen de trouver un équilibre.

    Julia Flynn Siler, une académicienne invitée à Oxford, est une autrice spécialisée et une journaliste qui écrit sur des sujets comme l’aviron, les ciels obscurs et la foi et le bonheur pour National Geographic.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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