Le rooibos, l'infusion "miracle" originaire d'Afrique du Sud
L'infusion de rooibos, souvent appelée "thé rouge", est utilisée dans le monde entier pour ses vertus médicinales et est un élément central de l'histoire et de la culture sud-africaine.
Des rangées d'arbustes rooibos bordent une ferme à flanc de colline à Clanwilliam, en Afrique du Sud. L'infusion de rooibos, appréciée pour ses bienfaits pour la santé, est un produit de base dans presque tous les foyers sud-africains, mais il ne pousse que dans la région de Cederberg.
D’après Barend Salomoour, pour les peuples natifs Khoï et San d’Afrique du Sud, l’infusion de rooibos est comme le lait maternel. Directeur général de la Wupperthal Original Rooibos Cooperative (WORC), Salomo confie avoir grandi en buvant cette boisson qui, contrairement au thé, ne contient pas de caféine.
« J’avais six sœurs et cinq frères. Nous avons tous été nourris au sein. Lorsque ma mère était occupée à nourrir un bébé, elle remplaçait son sein par un biberon de rooibos à ses autres enfants » raconte-t-il.
« Les enfants sud-africains boivent de l’infusion de rooibos avec du miel avant même de boire des boissons gazeuses », explique Antje Mouton, de Johannesburg. « Le goût est excellent et réconfortant. Il est également utile pour toute sorte d’affections. Vous être déshydraté ? Une infusion de rooibos. Vous avez de la fièvre ? Une infusion de rooibos. Une inflammation ? Encore une fois, prenez du rooibos. »
Au Malaya Tea Room d'Alameda, en Californie, une cuillerée de feuilles d'infusion de rooibos est mélangée à de la noix de coco et de la lavande. Le rooibos est apprécié dans le monde entier. Nelson Mandela en buvait, tout comme l'archevêque Desmond Tutu. Lorsqu'il s'est retiré de la vie publique en 2000, Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, a affirmé qu'il voulait avoir plus de temps libre pour boire du thé avec sa femme.
Mouton, la responsable des opérations chez Martin Meyer Safaris, entraîne les chiens pour les utiliser dans les unités K9 anti-braconnages. Elle donne même du rooibos froid à ses deux bergers belges après une longue journée de sortie. « S’il a fait très chaud, nous leur en donnons un grand bol avec de la glace. »
Ces dernières années, le rooibos, terme néerlandais signifiant « buisson rouge », a fait l’objet d'un véritable culte en dehors de l’Afrique du Sud, parmi les partisans de la médecine naturelle. À l’intérieur du pays, une modeste industrie touristique du thé s’est développée, visant à attirer les voyageur.ses au-delà des vignobles et des safaris animaliers d’Afrique du Sud.
En 2021, l’Union européenne a accordé au rooibos le statut d’appellation d’origine protégée (AOP). Cette dernière garantit la qualité et préserve le nom d’un produit alimentaire ou viticole qui provient d’une région spécifique et suit un processus traditionnel particulier. Le rooibos est le seul produit africain à avoir été ajouté au registre, qui comprend des spécialités alimentaires comme le parmigiano reggiano (parmesan) et le champagne.
Cependant, en Afrique du Sud, le rooibos est plus qu’une simple boisson. C’est un mode de vie. Riche en antioxydants, cette infusion est inextricablement liée à la culture et à l’histoire du pays, marquée par les luttes des peuples natifs pour l’équité et l’inclusion. Les peuples Khoï et San, parfois désignés collectivement sous le nom de Khoïsan, ont été les premiers à déterminer les innombrables propriétés médicinales de la plante, à la transformer en infusion et à la présenter à leurs colons néerlandais. Pourtant, jusqu’à récemment, ils n’avaient pas été reconnus pour leurs connaissances traditionnelles, et n’avaient profité d’aucun des avantages de l’industrie moderne du rooibos, dont la valeur s’élève à des millions d’euros.
En 2018, après près d’une décennie de négociations, les peuples natifs ont été officiellement reconnus comme les détenteurs du savoir traditionnel du rooibos et se sont vus promettre une compensation pour leur rôle fondamental dans l’industrie. En juillet 2022, après quatre années de délais gouvernementaux, les communautés ont enfin reçu leur premier paiement de la part du Rooibos Council.
HISTOIRE ET VERTUS
Le rooibos, ou Aspalathus linearis, est un arbuste dont les jeunes branches sont souvent rougeâtres, et dont les feuilles ressemblent à des aiguilles. Au printemps, le rooibos se décore de fleurs jaunes.
Cet arbuste ne pousse à l’état sauvage ou ne peut être cultivé que dans une seule région du monde : le Cederberg, une zone montagneuse accidentée située à deux heures de route au nord-est du Cap, qui présente le climat, le sol et les conditions propices à la croissance saine du buisson rouge. Nombreux sont les agriculteurs qui ont essayé de cultiver le rooibos ailleurs mais, jusqu’à présent, personne n’a réussi.
Pour transformer le rooibos en infusion, ses aiguilles et ses tiges doivent être coupées et écrasées pour en extraire le jus, fermentées en tas, et laissées à sécher au soleil. Ce processus donne aux feuilles leur teinte rouge-brun caractéristique. Le produit est ensuite séparé en différentes catégories, puis stérilisé/pasteurisé pour la consommation humaine.
Bien que peu d’études scientifiques aient été menées sur l’infusion de rooibos, il a été constaté qu’elle pouvait renforcer la santé cardiaque, réduire le risque de cancer et être bénéfique pour les personnes souffrant de diabète. Des preuves anecdotiques indiquent également qu’elle soulagerait notamment les coliques des nourrissons et contribuerait à atténuer les maux de tête, les éruptions cutanées, l’eczéma, les brûlures mineures et les troubles du sommeil. Par le passé, les peuples Khoï et San cueillaient les aiguilles du buisson rouge, les mélangeaient avec de la graisse animale et l’utilisaient sur leur peau comme une pommade anti-âge ou anti-inflammatoire.
Les feuilles de thé rooibos cultivées sont coupées, empaquetées et chargées sur une remorque pour être transportées à Clanwilliam où elles sont ensuite traitées.
Un ouvrier de la ferme biologique Skimmelberg trie et traite les feuilles de rooibos avant de les emballer.
Les colons appelaient cette infusion « la boisson du pauvre », car elle était beaucoup moins chère que le thé noir importé d’Europe et d’Asie. Pourtant, dans les années 1930, lorsqu’il est devenu possible de la cultiver à des fins commerciales et après s’être approprié le savoir traditionnel des peuples qui le partageaient avec eux, les colons européens ont commencé à exporter le rooibos.
Aujourd’hui, l’Afrique du Sud produit environ 20 000 tonnes d’infusion aromatique par an, soit plus du triple de la quantité produite dans les années 1990. Au moins 8 000 tonnes sont exportées vers plus de cinquante pays chaque année. L’extrait de rooibos est également ajouté à des centaines de produits, tels que les cosmétiques, les pâtisseries et les boissons alcoolisées.
UNE TRADITION ENFIN RECONNUE
« Ici, le rooibos fait partie intégrante de la culture », selon Barend Salomo. « On ne peut pas séparer les gens du rooibos. »
Salomo est né et a grandi à Wupperthal, un village situé dans le Cederberg. Son père lui a appris à collecter le rooibos dans la nature, et sa mère à le préparer pour la consommation. Aujourd’hui, son fils suit ses traces.
Au WORC, Salomo aide à gérer une coopérative de soixante-six producteurs de rooibos qui cultivent 36 000 hectares de terres, en utilisant des méthodes agricoles biodynamiques. Lorsque, en 2018, les Khoïsan ont appris que leurs connaissances et leurs contributions étaient enfin reconnue, des larmes de joie ont inondé le visage de Salomo.
L’accord avec le Rooibos Council, qui représente toute l’industrie, doit faire parvenir environ 15 millions de rands (environ 894 000 euros) par an pour les milliers de Khoï et de San en Afrique du Sud, et ce à perpétuité. Un pourcentage des fonds restera dans un compte dédié à l’éducation, au développement de la jeunesse et des compétences, qui pourrait également inclure les soins de santé et les terres.
« Ces sommes rendent une certaine dignité à notre peuple. Mais malgré tout, ce n’est que le début », ajoute Salomo.
SUR LES TRACES DU ROOIBOS
Il est possible pour les voyageuses et voyageurs curieux d’en apprendre davantage sur la région qui a donné naissance au rooibos en remontant la N7 depuis le Cap jusqu’à la ville pittoresque de Clanwilliam, dans le Cederberg. Se présentant comme la « capitale du thé rooibos », Clanwilliam offre la possibilité de déguster la fameuse infusion à la Rooibos Tea House et à la nouvelle House of Rooibos. Les visiteur.ses peuvent également découvrir Skimmelberg, une ferme de rooibos biologique située à 29 kilomètres au sud de Clanwilliam.
Des peintures rupestres réalisées par le peuple San sont visibles sur la paroi d'un surplomb rocheux dans la région de Cederberg en Afrique du Sud, la seule zone où poussent des rooibos.
Celles et ceux qui souhaitent approfondir l’histoire du rooibos ainsi que le lien entre les peuples natifs et la plante n’auront qu’à partir un peu plus loin, dans le village isolé de Wupperthal, à 74 kilomètres à l’est de Clanwilliam. Ce village historique de missionnaires moraves est composé de bâtiments typiques de l’architecture coloniale néerlandaise, qui se caractérisent par des toits de chaume, des pignons centraux et des extérieurs blanchis à la chaux.
Il est possible d’y rencontrer les descendants des premiers habitants du Cederberg. Selon Salomo, la ville prévoit l’ouverture d’hébergements touristiques dans les six prochains mois. La communauté espère développer son écotourisme, comme avec l’offre de randonnée et de camping de quatre jours proposée par Live the Journey.
Il est possible de déguster des infusions en participant à des randonnées guidées le long d’un sentier dédié qui passe par treize avant-postes, ou encore en visitant l’usine de traitement du rooibos de WORC, en ville.
En atteignant Wupperthal, au bout d’une route de gravier cahoteuse et sinueuse, les voyageur.ses pourront découvrir une terre d’une extraordinaire diversité botanique. Des œuvres d’art rupestre natives sont disséminées dans la région, et le terrain montagneux et rocailleux est parsemé de grottes, de formations rocheuses, d’arbres, de buissons et de fleurs endémiques, telles que Protea cryophila et le cyprès de Clanwilliam (Widdringtonia wallichii), une espèce en danger critique d’extinction. La région du Cederberg est également un paradis des ornithologues et, aux mois d’août et de septembre, des tapis de fleurs sauvages transforment cette région aride en une éruption de couleurs.
À Wupperthal, tout tourne autour du rooibos. En effet, la ville dépend de cette infusion « miracle » pour survivre. Salomo se sent donc responsable du bien-être de son peuple, pression qui peut parfois se révéler pesante. Pour détendre l’atmosphère, je lui demande s’il boit du rooibos et s’il aime sa saveur particulière, sucrée avec un goût de noisette, souvent comparée à l’infusion d’hibiscus.
« J’en bois tout au long de la journée », répond-il avec un sourire. « Aussi bien chaude que froide. Et quand je rentre chez moi, je prends une tasse avant de me coucher. Ça me détend. »
Établie au Canada, Elizabeth Warkentin est une rédactrice et photographe indépendante spécialisée dans les voyages, qui aborde les sujets de la culture, l'histoire, la nature et la vie sauvage pour des médias tels que Smithsonian, The Guardian, la BBC et le Toronto Star.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.