Aux États-Unis, la prolifération de porcs sauvages inquiète sur le plan sanitaire

Le pays compte six millions de porcs sauvages, qui, en plus de détruire les cultures et de se nourrir d’espèces en danger, représentent une menace grave pour la santé humaine.

De Jason Bittel
Publication 13 févr. 2023, 16:29 CET
Feral Pig

Un porc sauvage étanche sa soif dans un étang à Corpus Christi, au Texas (États-Unis). L’espèce, invasive, vit dans une grande variété de climats, des Caraïbes jusqu’au Canada.

PHOTOGRAPHIE DE Rolf Nussbaumer, Nature Picture Library

Cochon, porc, goret ou sanglier, sauvage, invasif ou non indigène, peu importe les termes que vous employez pour les désigner : ces omnivores dotés de défenses n’ont jamais été aussi nombreux aux États-Unis.

Les porcs sauvages, comme les appelle le département de l’Agriculture des États-Unis (U.S. Department of Agriculture ou USDA), ne sont pas indigènes à l’Amérique du Nord. Ils descendent de l’espèce eurasienne Sus scrofa, arrivée au Nouveau Monde en plusieurs vagues et dès le 16e siècle avec les explorateurs et les colons européens, qui l’élevait et la chassait pour sa viande ou pour le plaisir.

Aujourd’hui, on dénombre environ six millions de porcs sauvages dans au moins 35 États. Ces animaux, qui peuvent mesurer jusqu’à 1,5 m de long et peser plus de 225 kg, se plaisent dans presque n’importe quel environnement grâce à leurs incroyables capacités d’adaptation. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux sur une myriade d’îles des Caraïbes et au Mexique, de la péninsule de la Basse-Californie jusqu’à celle du Yucatán, mais aussi au Canada, où le froid et la neige ne semblent pas les déranger le moins du monde. (À lire : Des cochons sauvages construisent des « pigloos » au Canada.)

Chez les porcs sauvages, les femelles atteignent la maturité sexuelle à l’âge de huit mois et peuvent donner naissance à deux portées de quatre à 12 marcassins tous les 12 à 15 mois. Ceci permet à l’espèce de proliférer rapidement et de coloniser de nouveaux territoires avec une redoutable efficacité. Si les porcins causent des dégâts aux cultures agricoles et peuvent se montrer très agressifs envers les humains, ce n’est pourtant pas cela qui inquiète le plus les spécialistes.

Sur ce cliché datant de 2006, les chiens de Bob Richardson cherchent des porcs sauvages à proximité d’Aspermont, au Texas. Bien que la chasse de ces animaux ait gagné en popularité, elle n’a eu que peu d’effets sur leurs effectifs.

PHOTOGRAPHIE DE Zoonar GmbH, Alamy Stock Photos

Ce qui préoccupe ces derniers, ce sont les maladies qu’ils véhiculent.

Selon l’USDA, les porcs sauvages sont porteurs d’une multitude d’agents pathogènes susceptibles d’infecter l’Homme, comme la leptospirose, la toxoplasmose, la brucellose, la grippe porcine, la salmonelle, l’hépatite et les E. coli pathogènes.

À cela s’ajoute la crainte de nouvelles maladies dont nous ignorons encore l’existence.

« Les porcins sont généralement considérés comme une espèce hôte, car ils sont sensibles aux virus humains, comme les virus de la grippe », explique Vienna Brown, biologiste pour le National Feral Swine Damage Management Program (Programme national de gestion des dommages liés à la grippe porcine) de l’USDA. « Et lorsque ces virus touchent les porcs », ils sont susceptibles de « créer un nouveau virus de la grippe », précise-t-elle.

« Le risque découlant de ces animaux est plus important que chez d’autres espèces sauvages plus classiques en raison de leur nature grégaire, de notre proximité avec eux et de leur très grand nombre ».

 

PORTEURS DE MALADIES

La peste porcine africaine, un virus apparu en 1921 qui a depuis fait sa réapparition dans différents pays du globe, inquiète particulièrement les responsables de la santé aux États-Unis. Bien qu’elle ne soit pas transmissible à l’Homme, la maladie est toujours mortelle pour les porcins qui la contractent, qu’il s’agisse de cochons d’élevage ou de porcs sauvages, souligne Vienna Brown.

Si le virus venait à infecter des porcs sauvages aux États-Unis, il pourrait se propager aux élevages et ainsi mettre à mal la filière porcine américaine. Le pays est actuellement le troisième producteur mondial de viande de porc.

En 2018 par exemple, une épidémie particulièrement virulente de peste porcine africaine a contraint les éleveurs chinois à abattre plus de 43 millions de porcs afin de stopper la propagation du virus. Et en 2021, ce dernier a été détecté dans des élevages porcins de Haïti et de la République dominicaine : il s’agit des foyers de la maladie les plus proches géographiquement des États-Unis.

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    Sur ce cliché datant de 2006, les chiens de Bob Richardson cherchent des porcs sauvages à proximité d’Aspermont, au Texas. Bien que la chasse de ces animaux ait gagné en popularité, elle n’a eu que peu d’effets sur leurs effectifs.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Stravato, Redux, The New York Times

    « Toute la filière est sur le qui-vive », confie Vienna Brown.

    Les scientifiques surveillent également la propagation de maladies parmi les porcs sauvages. Les agents du parc national des Grey Smoky Mountains ont commencé le suivi sanitaire des porcs sauvages en 1959, mais ce n’est qu’en 2005 qu’ils ont observé le premier cas de la maladie d’Aujeszky. À l’instar de la peste porcine africaine, ce virus n’est pas dangereux pour l’Homme, mais il peut provoquer la mort des fœtus chez les porcs et celle d’autres animaux, comme les ratons laveurs, les opossums et même les chiens et les chats domestiques.

    « Sa prévalence est passée de 0 à environ 20 à 40 % selon l’année », estime William Stiver, biologiste de la faune chargé du contrôle des porcins pour le parc national. « La présence du virus ne fait aucun doute, nous avons en quelque sorte assisté à sa propagation au sein du parc par le biais de la population porcine ».

    Causée par une bactérie, la leptospirose a également été détectée chez les porcs sauvages présents dans le parc. Selon les U.S. Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ou CDC), la maladie peut provoquer chez l’Homme des lésions rénales, des méningites, une insuffisance hépatique, des troubles respiratoires et la mort si elle n’est pas traitée.

    La brucellose porcine, également causée par une bactérie, a fait son apparition chez des cochons dans le Midwest, indique Travis Guerrant, biologiste de la faune et responsable des opérations menées par l’USDA-APHIS-Wildlife Services dans le Missouri et l’Iowa. Cette maladie est transmissible aux humains par le contact avec du sang et autres fluides et tissus corporels. Au premier stade de la maladie, des antibiotiques suffisent à éliminer l’infection. Mais si elle n’est pas diagnostiquée, la brucellose peut causer des problèmes de santé durables, voire entraîner le décès des personnes infectées.

    Certaines populations, et notamment les chasseurs et les éleveurs, sont les plus à risque de contracter la maladie. « Personne ne veut l’attraper », affirme Travis Guerrant, qui recommande à toute personne manipulant des porcs sauvages de porter des gants en caoutchouc pour éviter tout contact avec les fluides corporels.

    Ces cas n’étaient pas mortels et le risque de transmission entre les cochons et les humains reste à l’heure actuelle très faible. Mais avec la prolifération des porcs et l’augmentation de leur territoire, celui-ci pourrait augmenter.

     

    DES ANIMAUX DESTRUCTEURS

    « Je connais quelqu’un qui n’a pas pu planter de maïs pendant des années », raconte Travis Guerrant.

    Des porcs sauvages se nourrissent sur le terrain du Centre spatial Kennedy de la NASA.

    PHOTOGRAPHIE DE NASA Image Collection, Alamy Stock Photos

    Omnivores, ces animaux se nourrissent également de la faune sauvage indigène, qu’il s’agisse d’oiseaux nichant au sol tels que le colin de Virginie au Texas, d’œufs de tortue verte ou de tortue Caouanne (deux espèces menacées) sur les îles de la Caroline du Sud ou encore de salamandres de Jordanie et d’escargots terrestres Fumonelix jonesiana dans la chaîne des Grey Smoky.

    Le déclin de la panthère de Floride pourrait être en partie dû aux porcs sauvages, puisque le félin se nourrit de ces derniers et est donc susceptible d’attraper la pseudo-rage, une maladie souvent mortelle dont les porcins sont porteurs. (À lire : États-Unis : le grand retour de la panthère de Floride.)

    « Les porcs sauvages causent aussi de graves dommages à nos ressources culturelles telles que les vestiges de maisons et les cimetières », poursuit William Stiver avant d’expliquer que les parcs nationaux sont tenus de préserver les artéfacts d’intérêt archéologique.

    « Il nous arrive notamment de voir des pierres tombales renversées », raconte-t-il.

    LA RIPOSTE DES AUTORITÉS

    À ce jour, les efforts d’élimination des porcs sauvages n’ont pas porté leurs fruits. Depuis la mise en place de mesures de piégeage et de chasse, les autorités ont détruit plus 15 000 porcins dans la chaîne des Grey Smoky, mais la population est restée stable, précise William Stiver.

    « En Floride, en Californie, en Oklahoma ou au Texas par exemple, leurs populations sont si importantes et diffuses que leur élimination n’est plus vraiment l’objectif. C’est désormais la gestion des dégâts », confie Vienna Brown.

    Il y a toutefois des lueurs d’espoir dans les zones frontalières où les porcs sauvages ne se sont pas encore fixés. (À lire : En Europe, la lutte pour le contrôle des populations de sangliers continue.)

    En 2021, l’équipe de Travis Guerrant a abattu 9 857 porcs dans l’État du Missouri, à la limite nord de l’aire de présence du porc sauvage dans le Midwest. Un chiffre en recul de 60 % par rapport à l’année précédente.

    Ces efforts couronnés de succès sont le résultat d’une coordination entre le biologiste et 13 agences fédérales et gouvernementales, ainsi que des organisations agricoles et de conservation.

    Selon les spécialistes, le coût des mesures visant à juguler la population de porcs sauvages est infime par rapport aux dégâts qu’ils peuvent occasionner, même si leurs effets ne sont pas immédiatement visibles.

    « Nous pouvons déterminer la valeur de 40 ares de maïs, indique Vienna Brown. Mais nous ne pouvons même pas imaginer combien cela nous coûterait si une épidémie se déclenchait ».

    « C’est ce que nous essayons actuellement d’éviter », déclare-t-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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