Nouvelles images de la face cachée de la Lune, plongée dans l'obscurité éternelle

La ShadowCam de la NASA offre aux scientifiques un aperçu des régions lunaire qui ne sont jamais éclairées par le Soleil. Ce qu'il s'y cache pourrait contribuer grandement à lancer la prochaine ère d'exploration spatiale.

De Jay Bennett
Publication 27 sept. 2023, 09:42 CEST
L'intérieur du cratère de Shackleton, situé près du pôle Sud de la Lune, est plongé dans ...

L'intérieur du cratère de Shackleton, situé près du pôle Sud de la Lune, est plongé dans une obscurité permanente, comme le montre cette étonnante mosaïque. Le cratère lui-même a été photographié par ShadowCam, un instrument de la NASA conçu pour scruter les zones d'ombre de la surface lunaire, qui est en orbite autour du satellite depuis près d'un an à bord du vaisseau spatial sud-coréen Danuri. Les zones environnantes ont été photographiées par la caméra du Lunar Reconnaissance Orbiter. Cette image révèle certaines parties de trois des treize zones d'atterrissage potentielles de la mission Artemis III.

Mosaïque de NASA, Institut coréen de recherche aérospatiale, Université d'État de l'Arizona

Jusqu’à présent, certaines régions proches du mystérieux pôle sud de la Lune demeuraient impossibles à observer. De nouvelles technologies ont cependant permis de mettre en lumière certains cratères qui, plongés dans une obscurité éternelle, comptent parmi les lieux les plus froids du système solaire. Une image révélée récemment offre aux scientifiques un aperçu de l’un de ces cratères à proximité desquels des astronautes devraient atterrir en 2025 dans le cadre de la mission Artemis III.

L’intérêt de ces nouvelles images n’est pas seulement académique : les informations qu’elles révèlent pourraient être cruciales pour le prochain aller-retour des humains sur le satellite naturel de la Terre. Cette obscurité pourrait en effet cacher des moyens de survivre.

« Si de la glace d’eau est bel et bien présente, elle peut être récupérée et consommée par les astronautes, utilisée pour les protéger des radiations nocives de l’espace, et leur eau peut aussi être utilisée comme propergol pour les fusées », explique David Kring, planétologue au Lunar and Planetary Institute à Houston, au Texas.

Comment est née notre Lune ?

Du fait de la température très basse dans ces zones, ces cratères pourraient contenir des dépôts sous forme solide d’éléments volatils : de la glace d’eau ou d’autres composés tels que le dioxyde de carbone qui, à des températures plus élevées, se vaporiseraient en gaz.

« Il y a cinquante ans, nous ne doutions absolument pas que de la glace se trouvait à la surface de la Lune », rappelle Jacob Bleacher, responsable scientifique de l’exploration à la NASA. Ces dépôts anciens pourraient être étudiés afin de créer un récit de l’histoire de l’eau dans notre système solaire, et pourraient même servir au lancement de la prochaine ère d’exploration spatiale.

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    Depuis décembre 2022, la ShadowCam, un nouvel instrument de la NASA 200 fois plus sensible à la lumière que les précédentes caméras envoyées sur la Lune, et installé à bord de l’orbiteur lunaire sud-coréen Danuri, a permis aux scientifiques de découvrir les détails des régions et cratères ombragés de la Lune.

    « C’est la première fois que nous voyons à quoi ils ressemblent à l’intérieur, s’ils se distinguent des autres cratères plus classiques », révèle Eunhyeuk Kim, chercheur principal du vaisseau spatial Danuri à l’Institut coréen de recherche aérospatiale.

    Les images aident la NASA à planifier quelles seront les futures cibles d’exploration sur la surface lunaire ; le niveau de luminosité des matériaux présents dans ces poches d’obscurité pourrait par exemple être utilisé afin d’estimer la quantité de glace qu’ils contiennent.

    « Nous pouvons rechercher du givre, et nous pourrions bien être capables d’observer l’évolution de la couverture de ce givre », explique Mark Robinson, planétologue à l’Université d’État de l’Arizona et chercheur principal de la ShadowCam. En suivant le givre tout au long de l’année, les scientifiques espèrent apprendre de quelle façon les substances volatiles se déplacent sur la Lune.

    Mosaïque de la région du pôle Sud de la Lune réalisée à partir de photos prises par la Lunar Reconnaissance Orbiter Camera (LROC), un système de caméras montées sur la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter de la NASA, qui est en orbite autour de la lune depuis juin 2009.

    Mosaïque de NASA, GSFC, Université d'État de l'Arizona

    Sur les pôles lunaires, le Soleil ne se lève pas et ne se couche pas ; il semble plutôt faire un lent tour de l’horizon. Ce phénomène, dû au degré d’inclinaison de l’axe de la Lune, qui est plus faible que celui de la Terre, implique que notre étoile n’éclaire pas toute la surface lunaire. Certaines zones sont donc éclairées pendant la majeure partie de l’année, tandis que d’autres ne reçoivent jamais de lumière directe.

    Une partie importante de nos connaissances relatives à cet élément présent dans l’ombre remonte à une mission réalisée en 2009. Cette dernière consistait à provoquer volontairement le crash d’un engin spatial à l’intérieur du cratère Cabeus, situé dans l’ombre permanente du pôle Sud lunaire, et ce afin de mesurer les débris soulevés par l’impact sur le sol. La sonde spatiale envoyée pour observer, connue sous le nom de LCROSS (Lunar CRater Observation and Sensing Satellite), a suivi de près l’étage vide destiné à s’écraser.

    « Nous avons utilisé la sonde LCROSS pour suivre [l’étage] dans cette mission suicide et ainsi observer l’impact de près grâce à tous nos instruments. Elle a ensuite traversé le nuage d’éjectas avant de subir l’impact elle aussi », décrit Anthony Colaprete de la NASA, qui était le principal investigateur de la mission LCROSS.

    La sonde, qui a transmis des données jusqu’à la dernière seconde, a trouvé de grandes quantités de glace d’eau, mais aussi des glaces de méthane, d’ammoniac, de dioxyde de carbone et de monoxyde de carbone. LCROSS a également mesuré l’éclair de lumière produit lorsque l’étage du lanceur de 2,5 tonnes a percuté la Lune, ce qui pouvait renseigner les scientifiques sur le type de matériau percuté. L’explosion n’a pas été aussi lumineuse que prévu, ce qui suggère que le matériau contenu dans ce cratère dit « d’obscurité éternelle » était peut-être plus « duveteux » que le reste du sol lunaire.

    « Nous savons que les éléments volatils sont là, mais nous ne savons pas s’il s’agit plutôt de terres glacées ou de glaces terreuses », reprend Bleacher. Ce qu’il advient exactement de ces composés lunaires après être restés dans l’ombre pendant des milliards d’années est un mystère que les scientifiques cherchent à percer.

    Pour en savoir plus sur ce que contiennent ces zones d’ombre, la NASA doit les observer de plus près. C’est pourquoi l’agence spatiale prévoit d’envoyer un nouveau rover vers le pôle sud lunaire : un robot explorateur spécialement équipé pour affronter ces régions glaciales. Ce rover, baptisé Volatiles Investigating Polar Exploration Rover (VIPER), devrait se poser sur la surface de la Lune en 2024.

    Un ingénieur travaille avec un prototype du rover VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) sur un banc d'essai constitué d'un sol ressemblant à des sables mouvants dans le « bassin d'immersion » du laboratoire de simulation d'opérations lunaires, ou SLOPE Lab, au centre de recherche Glenn de la NASA, à Cleveland. Le rover VIPER sera envoyé au pôle Sud de la Lune pour rechercher de la glace d'eau. Il peut faire pivoter chaque roue indépendamment, et peut ainsi « nager » afin de s'extraire du sable fin et profond.

    PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen, National Geographic

    La NASA n’a plus posé de vaisseau spatial sur la Lune, robotisé ou avec équipage, depuis la mission Apollo 17 en 1972. L’agence spatiale fait désormais appel à des entreprises privées pour construire les atterrisseurs lunaires qu’elle utilisera pour entreprendre ce nouveau voyage.

    Intuitive Machines et Astrobotic Technology ont construit deux atterrisseurs commerciaux, baptisés Nova-C et Peregrine, qui devraient être lancés dans le courant de l’année. Les deux sociétés espèrent pouvoir réaliser le premier alunissage américain depuis le programme Apollo. Astrobotic a également entrepris la construction d’un atterrisseur plus grand qui devrait être utilisé pour transporter le rover VIPER de la NASA jusqu’à la surface lunaire l’année prochaine.

    La majeure partie de la Lune connaît des périodes de deux semaines de lumière suivies de deux semaines de nuit, ce qui rend la survie des engins spatiaux particulièrement difficile. Toutefois, près du pôle sud, dans les zones qui sont presque toujours éclairées, les panneaux solaires situés sur les côtés du corps du VIPER lui permettront d’être actif pendant plus d’une centaine de jours.

    En orbite à environ 300 km au-dessus de la surface de la Lune, une autre caméra du satellite Danuri de l'Institut coréen de recherche aérospatiale, baptisée la Lunar Terrain Imager, a enregistré la Terre en train de se lever. Sont ici visibles l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud.

    PHOTOGRAPHIE DE Institut coréen de recherche aérospatiale

    Pendant cette période, le rover VIPER se rendra dans plusieurs zones d’obscurité éternelle et utilisera une foreuse de 1 mètre de long afin d’extraire des matériaux qui seront ensuite étudiés à l’aide d’une série d’instruments scientifiques intégrés.

    Le rover explorera d’abord l’obscurité d’un cratère de 80 km de large situé non loin de son site d’atterrissage. « C’est un cratère très ancien et dégradé. Notre équipe a estimé son âge à entre 3,6 et 3,7 milliards d’années », explique Colaprete, qui est également le responsable scientifique de la mission VIPER. « Il présente une entrée magnifiquement effilée par le nord… On dirait qu’il a été conçu spécifiquement pour qu’un rover puisse y entrer. »

    L’équipe de la mission, qui contrôlera le robot 24 heures sur 24, se rendra à deux reprises dans les zones d’obscurité ciblées dans le cadre de ce que Colaprete qualifie de « double plongée ». Le premier voyage servira à cartographier la zone, et le second à forer et examiner les matériaux extraits, à la recherche de glace. L’équipe devra effectuer les deux plongées dans les neuf heures d’autonomie de la batterie du rover avant de le reconduire sur un terrain plus élevé afin de le laisser se recharger à l’aide de ses panneaux solaires.

    L'astronaute Harrison H. Schmitt, pilote du module lunaire, se tient sur la surface de la Lune le 11 décembre 1972, lors du dernier alunissage de la mission Apollo de la NASA. L'équipage d'Artemis II, composé de quatre personnes, devrait retourner sur la Lune en 2024 afin de faire le tour de notre satellite naturel avant de revenir sur Terre au cours d'une mission d'une dizaine de jours.

    PHOTOGRAPHIE DE Eugene A. Cernan, NASA

    Personne ne sait exactement ce que le rover trouvera, mais si les éléments contenus dans les cratères d’obscurité éternelle sont bel et bien duveteux, il risquerait de s’enfoncer dans la poussière lunaire. Pour éviter que cela ne se produise, le rover sera doté de roues d’environ 49 cm de large, soit plus grandes que celles des rovers martiens, et chacune d’entre elles pourra tourner et se déplacer de haut en bas indépendamment des autres.

    « Il peut marcher », décrit Colaprete. « Ainsi, si nous nous retrouvons enfouis dans un régolithe mou et profond, nous pourrons soulever les roues comme nous lèverions une jambe, l’avancer et nous pourrons le sortir de ces sables mouvants. »

    Sur différents sites proches du pôle sud lunaire, dans des endroits ensoleillés ou ombragés, le VIPER cherchera des indices qui lui permettront de déterminer la quantité de glace présente sur le satellite et d’identifier son origine.

    En déterminant les causes de la formation des glaces lunaires, les scientifiques pourront en apprendre davantage sur la fabrication et la distribution de l’eau dans le système solaire. Des missions comme celle de la ShadowCam et du VIPER seront importantes pour donner des pistes et indications, mais pour découvrir avec certitude les secrets que recèlent ces ombres anciennes, des astronautes devront s’aventurer jusqu’au pôle sud lunaire par eux-mêmes et y prélever des échantillons.

    « Les yeux humains, associés à un cerveau bien entraîné, constituent l’expérience scientifique la plus impressionnante que nous pourrions envoyer où que ce soit », commente Petro.

    Avec Artemis III, l’humanité pourrait bien entrer dans une nouvelle ère durant laquelle des découvertes scientifiques révolutionnaires seront réalisées sur le pôle sud lunaire.

    « Comprendre ce qu’il se passe sur la Lune aujourd’hui nous donne un aperçu de ce qu’il s’y est passé il y a un milliard d’années. Nous avons ainsi un guide pour interpréter notre propre histoire, mais aussi celle du système solaire... et celles d’autres systèmes solaires de l’Univers », conclut Petro.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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