Le mystère de l'amphithéâtre romain caché de Londres

L'Empire romain bâtissait des amphithéâtres dans toutes les régions qu'il contrôlait, mais Londres a longtemps semblé être l'exception à la règle. Après des décennies de recherches, les archéologues ont fini par le retrouver enfoui à un endroit inattendu.

De Sean Kingsley
Publication 24 févr. 2023, 08:30 CET
Le soleil se couche sur Londres, et sur la multitude de trésors cachés qui n'attendent que ...

Le soleil se couche sur Londres, et sur la multitude de trésors cachés qui n'attendent que d'être découverts.

PHOTOGRAPHIE DE Chris Dalton, iStock, Getty Images

À l’instar de tous les citoyens de l’Empire romain, la population de Londinium, la Londres romaine, s’adonnait à un large éventail d’activités culturelles. Depuis la fin du 19e siècle, les archéologues mettent au jour des ruines de structures sophistiquées de l’époque romaine dans toute la ville britannique : c’est ainsi que furent notamment découverts les bains publics de Billingsgate, où les Romains se baignaient et se réunissaient, mais aussi le forum, leur lieu de rencontre public, et une grande basilique destinée à vénérer leurs nombreux dieux.

Mais où était l’amphithéâtre ? À l’époque, chaque communauté de l’Empire possédait un lieu dans lequel les citoyens pouvaient assister à des combats de gladiateurs, des abattages d’animaux, ou encore à des exécutions. La ville tentaculaire qu’était la Londres romaine devait donc, elle aussi, abriter un amphithéâtre ; cependant, pendant plus d’un siècle, les archéologues ne trouvèrent aucune trace d’un tel bâtiment.

 

UNE DÉCOUVERTE INATTENDUE

Puis, en 1987, des inspections effectuées pour les fondations d’une nouvelle galerie d’art sous le Guildhall (ou hôtel de ville), au cœur du quartier financier de Londres, permirent de découvrir une énorme zone de ruines vieilles de 2 000 ans, enfouies à 6 mètres de profondeur, sous des siècles et des siècles de gravats. Les archéologues estimèrent que les divers vestiges provenaient d’un seul et même bâtiment, et une analyse plus approfondie réalisée sous les tours gothiques du Guildhall révéla une courbe caractéristique d’un amphithéâtre.

Son emplacement était néanmoins surprenant. La plupart des amphithéâtres romains étaient en effet construits au-delà des murs de la ville, alors que celui-ci était construit en son sein.

À l'époque anglo-saxonne, les Londoniens payaient leurs impôts au Guildhall. La structure actuelle date de 1411. Une ligne noire incurvée marque l'amphithéâtre romain.

PHOTOGRAPHIE DE David Gee, Alamy Stock Photo

Les archéologues découvrirent ensuite un mur extérieur incliné qui proposait des places assises en gradins, et qui descendait vers un mur intérieur entourant le sol. D’une largeur de 7 mètres, le plan au sol du passage dédié à l’entrée, par lequel les bêtes sauvages, les gladiateurs et les criminels passaient pour entrer dans l’arène, était intact. Munies de trappes, les petites chambres situées de part et d’autre de l’entrée pouvaient potentiellement servir de vestiaires, de sanctuaires ou d’enclos pour les animaux sauvages.

En 2000, d’autres fouilles permirent de mettre au jour les vestiges d’une porterie datant du 13e siècle, construite au-dessus de l’entrée sud de l’amphithéâtre.

Ce sont cependant les plus petites trouvailles qui fournirent sans doute les instantanés les plus poignants de la vie quotidienne de cette époque ancienne. Les spectateurs s’adonnaient à des jeux de société avec des jetons en os en attendant le début du spectacle. Le marbre vert et violet provenant de Grèce et d’Égypte donne un aperçu de l’ancienne allure des murs. Des bols rouges fantaisistes, qui arboraient des gladiateurs et étaient abordables pour la classe moyenne, étaient vendus comme souvenirs, ou servaient pour les repas des spectateurs qui assistaient aux jeux. Une tablette de malédiction (une feuille de plomb enroulée sur laquelle était inscrite une formule magique priant les forces obscures d’écraser l’adversaire de son champion) fut également découverte, cachée dans les canalisations en bois de l’arène.

Cette découverte totalement inattendue mit fin à des décennies de conjectures sur l’emplacement de l’amphithéâtre de Londres. Ces ruines souterraines survécurent grâce aux conditions humides qui préservèrent les bois et autres éléments habituellement périssables.

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    Une section du mur de la ville de Londinium se dresse encore dans le jardin verdoyant de Salters, qui faisait autrefois partie d'un fossé défensif. Le mur resta en service pendant plus de 1 500 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE whitemay, iStock, Getty Images

    CONSTRUIT POUR IMPRESSIONNER

    L’arène fut construite vers l’an 74 de notre ère sur la colline ouest de Londres, près de la rivière Walbrook et du fort romain de Cripplegate. L’arène d’origine, probablement commandée par le gouverneur Quintus Petillius Cerialis, était une simple structure en bois. Elle fut améliorée vers l’an 125 grâce à l’ajout de briques et de pierres de Kentish, mais aussi d’une entrée carrelée.

    L’amphithéâtre de Londres fut construit pour impressionner les foules. Avec ses 100 mètres de long et 85 mètres de large, il était plus grand que les arènes moyennes des provinces occidentales de l’Empire romain (en comparaison, le Colisée de Rome mesurait toutefois 188 par 156 mètres). Le mur de l’arène s’élevait à 2,7 mètres de haut, et était surplombé de gradins en bois. Jusqu’à 6 000 spectateurs pouvaient occuper ses sièges, réclamer du sang et hurler face aux discours des politiciens.

    L’amphithéâtre offrait une variété de divertissements. Les politiciens honoraient les dieux et les empereurs. Des combats et des chasses antiques étaient reconstitués avec des sangliers, des taureaux et des ours bruns (dont les ossements furent retrouvés sous le mur de l’arène). Les combats de gladiateurs, les compétitions d’athlétisme, les acrobaties, la lutte, la boxe et les courses étaient des activités très appréciées.

    Les fondations de l'amphithéâtre romain situé sous le Guildhall, fondé en l'an 74 de notre ère, et modernisé vers 125. Une trappe devant les chambres qui abritaient les bêtes et les gladiateurs est encore visible.

    PHOTOGRAPHIE DE Steve Vidler, Alamy Stock Photo

    Seuls cinq des amphithéâtres de Grande-Bretagne furent construits près d’un fort, comme l’amphithéâtre romain de Londres. Du fait de cet emplacement particulier, il fut probablement utilisé pour des cérémonies et des événements militaires.

    L’amphithéâtre ne se limitait cependant pas au divertissement. C’était une construction politique. Comme l’expliquait le poète romain Juvénal vers l’an 100 de notre ère, « le pain et le cirque » étaient les deux piliers qui pouvaient faire le bonheur de la foule romaine. Lorsque l’on donne de la nourriture et du divertissement au peuple, il ne cherche pas à se préoccuper de la politique et des problèmes sociétaux, et ne risque donc pas de se révolter.

     

    LA FIN D’UNE ÉPOQUE

    L’amphithéâtre de Londres fut utilisé jusqu’en l’an 360 environ. Après la chute de l’Empire qui entraîna le départ des Romains, le site fut négligé pendant des siècles. Londres devint une ville fantôme jusqu’à ce que le roi Alfred le Grand (règne 871-899) marche dans la ville à la fin du 9e siècle pour faire renaître la civilisation… c’est du moins ce que disent les livres d’Histoire. Peu à peu, le peuple s’empara de certaines des pierres de l’arène et les utilisa pour d’autres projets de construction.

    Au Moyen Âge, des maisons en bois furent construites sur le site, suivies par le premier Guildhall de Londres au 12e siècle. Accueillant des banquets, des cérémonies officielles et d’autres événements, le Guildhall fut le centre de la vie de la ville pendant des siècles ; et son emplacement était sans doute lié à celui de l’ancien amphithéâtre romain. La structure actuelle, achevée en 1440, reste le centre administratif et cérémoniel de la capitale britannique.

     

    L’AMPHITHÉÂTRE AUJOURD’HUI

    Après un travail minutieux de conservation, la Guildhall Art Gallery a officiellement ouvert ses portes en 1999 dans les niveaux inférieurs du Guildhall ; les vestiges de l’amphithéâtre furent ouverts au public en 2002 dans un environnement contrôlé au sous-sol. L’exposition sur l’amphithéâtre, qui présente les murs en ruine ainsi qu’une sélection de découvertes archéologiques, utilise un éclairage au laser vert et de la peinture luminescente dans le sous-sol sombre pour illustrer l’apparence que l’amphithéâtre avait probablement à l’époque romaine.

    Bien que moins imposant que le Colisée de Rome, l’amphithéâtre de Londres offre un aperçu des shows antiques qui s’y déroulaient il y a 1 600 ans, lorsque des animaux et des artistes étaient lâchés pour participer à des spectacles vivants devant les foules de la Londres romaine.

    Des extraits de ce travail ont déjà été publiés dans Hidden London de Sean Kingsley. Compilation copyright © 2022 National Geographic Partners, LLC.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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