Les Gaulois furent les premiers à conquérir Rome

Les Gaulois, et non les célèbres Vandales, ni les Visigoths, furent les premiers à conquérir Rome et à piller les richesses de la ville. Les mots de leur chef hantèrent les Romains pendant des générations : « Vae victis ! » Malheur aux vaincus !

De Javier Negrete
Publication 16 févr. 2024, 14:34 CET
Romans and Gauls

Tableau du 19e siècle d’Évariste Vital Luminais représentant une scène de combat idéalisée entre des cavaliers romains et gaulois.

PHOTOGRAPHIE DE P. Cartier, Bridgeman, ACI

Au début du 4e siècle avant notre ère, la République romaine était en plein essor. Riche et puissante, elle venait de battre la cité étrusque de Véies, d’amasser un immense trésor de guerre et de doubler la taille de son territoire. Mais alors, de nulle part, l’impensable s’abattit sur la République : l’occupation par un peuple celte, les Gaulois. C’était la première fois que Rome et la Gaule se faisaient face.

Au cours des siècles suivants, Romains et Gaulois s’affrontèrent à maintes reprises. Mais cette première défaite concédée en 387 avant notre ère resta pour Rome un traumatisme collectif qui persista des générations durant et façonna l’attitude des Romains à l’égard de l’ensemble des peuples du nord.

 

PREMIÈRES CONFRONTATIONS

En 600 avant notre ère, les Insubres, peuple de la Gaule, s’étaient déjà installés au sud des Alpes, où ils avaient fondé Mediolanum (l’actuelle Milan). Au cours des deux siècles suivants, d’autres peuples gaulois firent de même et s’étendirent vers le sud et l’ouest de l’Europe. Vers l’an 400 avant notre ère, les Sénons s’installèrent sur les rives de l’Adriatique, dans la région que les Romains appelleraient plus tard l’ager gallicus. Mais cette cité était encore à bonne distance de Rome, et de l’autre côté des Apennins, qui forment l’épine dorsale montagneuse de la péninsule italienne.

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    Évariste Vital Luminais, peintre du 19e siècle, représentait souvent des Gaulois antiques dans ses œuvres, comme c’est le cas dans celle-ci, intitulée « Gaulois en vue de Rome ».

    PHOTOGRAPHIE DE Artepics, Alamy

    Une décennie plus tard, les Sénons traversèrent ces montagnes et attaquèrent la ville étrusque de Clusium, à 145 kilomètres environ au nord de Rome. Plus de quatre siècles plus tard, l’historien romain Tite-Live décrivit cette expansion gauloise et la façon dont les habitants de Clusium appelèrent Rome à l’aide (aide qui leur fut refusée). Les historiens romains décrivirent quant à eux les Gaulois à grands traits, de manière vraisemblablement exagérée. Les Gaulois étaient grands, pâles, avaient les cheveux longs, étaient blonds et moustachus. Selon l’historien grec du 1er siècle Diodore de Sicile, certains s’éclaircissaient les cheveux avec de l’« eau de chaux ».

    Il existe plusieurs théories pour expliquer pourquoi ils firent cette incursion dans la péninsule italienne. De manière générale, les sources romaines suggèrent que les Gaulois étaient moins développés en tant que société que les habitants d’Italie et qu’ils convoitaient leurs terres arables, et plus particulièrement leur vin. Au 1er siècle de notre ère, des siècles après la précoce expansion gauloise, l’érudit grec Plutarque écrivit que lorsque les Gaulois goûtèrent du vin pour la première fois, ils furent « si ravis du plaisir nouveau » qu’ils « se portèrent du côté des Alpes pour chercher cette terre qui produisait un si bon fruit, et auprès de laquelle tout autre terre leur paraissait stérile et sauvage ». Bien que le penchant des Gaulois pour le vin avait en effet tendance à être exagéré, il y avait tout de même là un fond de vérité. Plus tard, les négociants en vin italiens et romains entrèrent en Gaule comme les précurseurs pacifiques des légions qui suivraient.

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    GUERRIERS CHEVRONNÉS

    Les Gaulois avaient une allure frappante à cause de leurs vêtements qui étaient teints de couleurs vives. À l’inverse des Romains, les hommes portaient des pantalons (des braies, bracae en latin), un vêtement typique des cavaliers nomades des steppes eurasiennes. Les Grecs et les Romains trouvaient cela barbare, voire efféminé, que des hommes se vêtissent ainsi. Chez les Gaulois, l’élite se parait de bijoux, et plus particulièrement de torques, d’épais colliers en or ou en argent, ouverts sur le devant et torsadés comme des tresses. En 361 avant notre ère, quelques années après l’attaque de Rome, un jeune romain du nom de Titus Manlius se retrouva face à un guerrier gaulois géant lors d’un duel. Malgré l’immense taille du Gaulois (dans les légendes romaines, on souligne constamment la taille des Celtes), Titus le vainquit, s’empara de son torque, et on l’appela à partir de ce moment Torquatus, un surnom qu’il transmit à sa descendance.

    Un chef sénon, au 4e ou au 3e siècle avant notre ère, était susceptible de porter un pantalon à carreaux et d’être armé d’un bouclier, d’une épée et d’une lance.

    PHOTOGRAPHIE DE Peter Connolly, AKG, Album

    Quant aux protections dont on se parait durant les conflits, bon nombre de guerriers gaulois ne portaient rien de plus qu’un bouclier oblong et un casque orné de plumes. Ils étaient généralement armés d’une longue épée on ne peut plus propice à la lacération. De nombreux stéréotypes apparurent concernant la férocité avec laquelle les Gaulois se battaient ; celle-ci était paraît-il plus intimidante que celle d’autres adversaires des Romains. Au 1er siècle avant notre ère et au 1er siècle de notre ère, l’historien grec Strabo l’explique en ces termes :

    Tous les peuples appartenant à la race dite gallique ou galatique sont fous de guerre, irritables et prompts à en venir aux mains, du reste simples et point méchants : à la moindre excitation, ils se rassemblent en foule et courent au combat […] Cette force dont nous parlions tout à l’heure tient en partie à la nature physique des Gaulois, mais elle provient aussi de leur grand nombre. »

    Selon des sources classiques, les Gaulois attaquaient en masse au son de leurs cornes de guerre sans recourir à aucune formation tactique, ni à aucun réserviste. Strabon pensait qu’il serait plus facile sur le long terme pour les Romains de conquérir la Gaule que l’Hispanie, berceau des Ibères. Tandis que les Gaulois avaient tendance à « tomber sur leurs adversaires tous à la fois et en nombre prodigieux », ce qui signifie qu’ils pouvaient être « vaincus d’un seul coup », les Ibères « géraient leurs ressources et se répartissaient les luttes, menant la guerre à la manière de brigands, différents hommes à différents moments au sein de divisions distinctes. »

     

    BATAILLE DE L’ALLIA

    Les Étrusques de Clusium appelèrent Rome à l’aide. Le Sénat envoya trois ambassadeurs qui supplièrent Brennus, chef des Sénons gaulois, de se retirer. Brennus refusa et les ambassadeurs, au lieu de retourner à Rome, rejoignirent les rangs de Clusium pour tenter de repousser les Gaulois. En apportant si ouvertement leur soutien aux Clusiens, ils enfreignirent le droit des gens, l’équivalent du droit international actuel. Cette décision donna à Brennus un prétexte pour déclarer la guerre la Rome. Après avoir vaincu les Clusiens, Brennus conduisit ses troupes vers Rome. Tite-Live décrivit ainsi leur procession terrifiante : « Partout, en face et autour des Romains, le pays était couvert d’ennemis ; et cette nation, qui se plaît par goût au tumulte, faisait au loin retentir l’horrible harmonie de ses chants sauvages et de ses épouvantables clameurs. »

    Une armée romaine marcha vers le nord et intercepta les Gaulois à moins de 15 kilomètres de la ville, sur les rives de l’Allia, un affluent du Tibre. C’était la première fois que les légions combattaient contre les Gaulois, et le résultat fut désastreux. Les Romains se trouvèrent en infériorité numérique, une situation qui se produisit souvent dans leurs confrontations avec les Gaulois.

    Les Gaulois escaladent la façade du Capitole sur cette gravure de 1900 d’Henri-Paul Motte.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    En conséquence, les tribuns de rang consulaire qui commandaient l’armée romaine redéployèrent les soldats sur les flancs. Le centre, avec ses rangs décimés, ne tarda pas à rompre, et les Gaulois avancèrent de manière irrésistible. Les légionnaires du flanc gauche fuirent vers la ville voisine de Véies, à 16 kilomètres au nord-ouest de Rome, tandis que ceux situés à droite battirent en retraite et se retranchèrent dans la capitale elle-même.

    Trois jours plus tard, Brennus et son armée de Gaulois se tenaient devant les portes de Rome. La cité était exposée, car elle n’avait pas de mur d’enceinte complet. Le gros de la population prit la fuite, même les vestales, gardiennes du feu sacré de la ville. Sans opposition, les Gaulois envahirent Rome et pillèrent la ville. Des sénateurs âgés de haut rang, qui avaient refusé d’être évacués, s’assirent dans leurs sièges curules au milieu du Forum ou, selon certaines sources, dans les atriums de leurs maisons.

    Selon des sources romaines, quand les premiers Gaulois arrivèrent, ils furent stupéfiés par la dignité et le sang-froid de ces hommes d’États d’un âge certain. Un envahisseur aurait tiré sur la longue barbe blanche du sénateur Marcus Papirius pour voir s’il s’agissait d’une statue. Ce dernier réagit en le frappant avec sa canne. Le Gaulois tua ensuite Marcus Papirius avec son épée, et ses compagnons massacrèrent les autres. Les hommes de Brennus pillèrent et détruisirent la cité sous le regard médusé de la populace. À ce sujet, Tite-Live écrivit : 

    Partout où les cris de l’ennemi, les lamentations des femmes et des enfants, le bruit de la flamme et le fracas des toits croulants, appelaient leur attention, effrayés de toutes ces scènes de deuil, ils tournaient de ce côté leur esprit, leur visage et leurs yeux, comme si la fortune les eût placés là pour assister au spectacle de la chute de leur patrie, en ne laissant rien que leur corps à défendre.

    Lors de l’invasion de Rome en 387 avant notre ère, les Gaulois firent irruption dans la maison du sénateur Marcus Papirius et le trouvèrent assis dans son siège curule, complètement immobile. Quand l’un d’eux tira sur sa barbe pour voir s’il s’agissait d’une statue, Marcus Papirius le frappe à coups de canne, comme le montre cette peinture à l’huile de Théobald Chartran peinte en 1877.

    PHOTOGRAPHIE DE Thierry Ollivier, RMN-Grand Palais

    Certains Romains avaient réussi à trouver refuge sur la colline du Capitole et étaient cachés en lieu sûr. Mais les Gaulois repérèrent, allant vers l’amont de la colline, des empreintes de pas appartenant à un messager que les Romains avaient envoyé à Ardée pour quérir de l’aide. Les Gaulois suivirent le même chemin et envoyèrent un groupe détaché vers l’amont le soir même. Ni les gardes romains, ni leurs chiens de garde ne les entendirent arriver, mais des oies sacrées de la déesse Junon qui vivaient là les entendirent. Leurs cris d’alarme alertèrent les défenseurs de Rome qui prirent leurs armes et repoussèrent leurs assaillants.

     

    MALHEUR AUX VAINCUS

    Sept mois passèrent et les Gaulois n’avaient toujours pas levé le siège. Mais ils commençaient à pâtir. Selon Tite-Live : « Les Gaulois étaient de plus en plus en proie aux maladies pestilentielles. Campés dans un fond entouré d’éminences, sur un terrain brûlant que tant d’incendies avaient rempli d’exhalaisons enflammées, l’excès de cette chaleur, insupportable pour une nation accoutumée à un climat froid et humide, les décimait comme ces épidémies qui ravagent les troupeaux. »

    Enfin, on négocia un accord. Les Gaulois acceptèrent de lever le siège en échange de mille livres d’or. Les défenseurs retranchés descendirent de la colline du Capitole chargés de trésors et les pesèrent dans le Forum devant leurs conquérants. Quand le tribun Quintus Sulpicius remarqua que les Gaulois plaçaient de faux poids sur les balances afin d’accaparer davantage de richesses, il s’en plaignit. Brennus lâcha sa propre épée sur une balance et s’exclama : « Vae victis ! » (« Malheur aux vaincus ! »). Résignés, les Romains concédèrent encore plus d’or pour compenser le poids de l’épée.

    Les historiens divergent quant à la façon dont le siège gaulois prit fin. Selon Plutarque et Tite-Live, Marcus Furius Camillus (Camille), général en exil, aurait répondu à l’appel à l’aide de Rome. Il aurait été nommé dictateur et se serait servi de son pouvoir pour expulser les forces gauloises. Au 2e siècle avant notre ère, l’historien Polybe ne fait aucune mention de Camille ou d’une expulsion des Gaulois. Au lieu de cela, dans son récit, Rome paie une rançon et les Gaulois se contentent de partir.

    Les Gaulois utilisèrent une balance pour peser les trésors que les Romains leur avaient concédés en guise de paiement pour qu’ils lèvent le siège. Brennus ajoute du poids en plçant son épée sur la balance. Peinture à l’huile de Sebastiano Ricci réalisée au 18e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Gérard Blot, RMN-Grand Palais

    Les sources classiques contiennent à n’en pas douter des détails factuels, mais des éléments légendaires et des exagérations y sont intégrés. Il existe des preuves montrant que Rome a subi une défaite et un sac vers l’an 387 avant notre ère : des auteurs grecs comme Aristote et Héraclide du Pont, qui écrivirent peu de temps après les événements, font mention d’une invasion. Cependant, les archéologues ne disposent pas de preuves de destruction de masse et d’incendies aussi terribles que ceux décrits dans l’œuvre de Tite-Live. Rome semble s’être remise très rapidement au cours des années qui suivirent, ce qui serait invraisemblable si les dégâts avaient été aussi graves que ceux mentionnés. Des faisceaux d’indices suggèrent que plutôt qu’une armée gauloise occupante, les envahisseurs n’étaient qu’une bande de guerriers qui attaquèrent Rome lors d’un raid rapide. Ils pillèrent probablement ce qu’ils purent mais ne démolirent aucun édifice, ni ne mirent la ville à feu. 

    L’histoire de l’invasion gauloise telle que redite dans les récits écrits des siècles plus tard témoignent du metus gallicus, une peur exagérée des Gaulois et d’autres peuples du nord. Ce préjugé se cristallisa à la fin du 2e siècle avant notre ère alors que des groupes de Cimbres et de Teutons poussaient vers le sud en territoire romain. Le metus gallicus allait devenir une force motrice de la politique expansionniste de Rome. La menace perçue servit de prétexte aux campagnes de Jules César en Gaule au 1er siècle avant notre ère, et cela explique également pourquoi ses victoires sur les Gaulois furent célébrées par quinze ou vingt jours de réjouissances inouïes lors de son retour à Rome.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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