Un remède contre le diabète de type 1 devrait bientôt voir le jour
Cette maladie auto-immune annihile la capacité du corps à produire de l’insuline. Mais dans le cadre d’essais expérimentaux, certains patients ont réussi à retrouver cette capacité.

Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune qui entraîne la destruction des îlots de Langerhans et rend les personnes qui en sont atteintes d’apports externes dépendantes d’insuline qui permettent l’accomplissement d’un phénomène vital : la régulation de leur glycémie.
Quand Amanda Smith est entrée dans sa cuisine un soir de 2015 pour réchauffer un biberon pour sa fille de quatre mois, elle s’est rendu compte qu’elle n’arrivait plus à distinguer les chiffres du micro-ondes. Ils lui apparaissaient flous. Mais ils n’avaient jamais été flous. Une pensée sombre lui a alors soudain traversé l’esprit : diabète. Sa mère en avait et Amanda Smith était infirmière. Elle en connaissait les signes. Son système immunitaire, voilà plusieurs mois sans doute, avait commencé à détruire les cellules de son pancréas responsables de la production d’insuline, une hormone qui permet au corps de brûler le sucre. Son taux d’insuline était si bas que le sucre s’accumulait dans son sang, gorgeait ses cristallins de liquide et déformait la lumière qui y entrait.
Amanda Smith a alors réveillé son époux et, ensemble, ils se sont dépêchés d’aller dans un hôpital de l’Ontario où un test a confirmé que sa glycémie grimpait en flèche ; celle-ci atteignait plus de six fois le niveau normal. Un médecin lui a alors injecté de l’insuline et sa glycémie a chuté abruptement. « Ça a été difficile dès le départ », confie-t-elle. Le diagnostic d’un diabète de type 1, une maladie chronique incurable, l’a mise en colère. Cela l’a rendue triste. Sa glycémie chutait régulièrement en raison des injections d’insuline, ce qui la rendait irritable. Elle s’emportait contre son époux. Elle s’emportait contre ses trois enfants. Elle avait l’impression d’être un fardeau pour tous les membres de son entourage. Malgré tous ses efforts, elle avait l’impression d’échouer encore et encore dans la gestion de sa glycémie.
Mais depuis octobre, cela fait deux ans qu’Amanda Smith n’a plus à prendre d’insuline. Elle a l’impression, dit-elle, d’être libre.
Amanda Smith fait partie de la première vague de patients à avoir reçu un traitement dont médecins et scientifiques affirment, avec prudence, qu’il pourrait bien constituer, un jour prochain, un potentiel remède. « Je ne dis jamais remède », tempère Kevan Harold, médecin, immunologue et chercheur spécialiste du diabète de type 1 à la Faculté de médecine de l’Université Yale. « Mais c’est bien dans cette direction que nous allons. » Cette avancée arrive à point nommé. Dans le monde, 9,5 millions de personnes environ souffriraient de diabète de type 1 et la prévalence de cette maladie augmente, notamment chez les enfants et les jeunes adultes, sans que les chercheurs ne sachent pourquoi.
Avant le traitement, Amanda Smith, désormais âgée de 36 ans, se sentait prisonnière de son propre corps, enfermée dans la monotonie étouffante de la gestion de sa glycémie. « C’était pénible à tous les niveaux. Même lorsque j’emmenais ma fille au parc, je devais m’assurer que j’avais des en-cas dans ma poche au cas où ma glycémie chuterait. » Mais désormais, « je deviens parfois très émotive », confie-t-elle, car même si le traitement ne dure que quelques années, « ce sont les meilleures années ».
Le traitement suivi par Amanda Smith en est encore au stade des essais cliniques expérimentaux mais des résultats ont déjà été publiés en juin dans la revue New England Journal of Medicine. Le fabricant de médicaments qui dirige les essais, Vertex Pharmaceuticals, a l’intention de commercialiser le traitement dès cette décennie et anticipe, sous réserve d’une autorisation de mise sur le marché de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA), une clientèle de 40 000 à 60 000 patients aux États-Unis et en Europe. Le traitement, appelé VX-880, sera probablement le premier prescrit à un sous-ensemble de diabétiques de type 1 qui, comme Amanda Smith, n’arrivent pas à garder une glycémie saine malgré l’insulinothérapie, et ce qu’importe leurs efforts. Celui-ci n’a pas été conçu comme un traitement général, en grande partie parce qu’il nécessite la prise de médicaments immunosuppresseurs, un compromis auquel ne sont probablement pas disposés bon nombre de diabétiques.
Mais selon les scientifiques, ce que le moment représente a une portée immense. Depuis plus d’un siècle, les médecins traitent cette maladie en redonnant à l’organisme la substance qu’il ne peut plus produire : l’insuline. Et si la découverte de cette dernière a transformé une maladie mortelle en une maladie traitable, le diabète de type 1 demeure une maladie qui nécessite un suivi constant. Les chercheurs apprennent aujourd’hui à rétablir la source même de la sécrétion d’insuline, à rétablir les éléments manquants. La médecine continue d’évoluer ; les scientifiques œuvrent à la conception de traitements similaires qui ne nécessiteraient pas d’inhiber le système immunitaire. Selon les chercheurs, si le VX-880 continue à fonctionner, la science sous-jacente à ce traitement pourrait bien guérir d’autres maladies que le diabète.

En 1921, le chirurgien canadien Frederick Banting (à droite) et l’étudiant en médecine Charles Best (à gauche) furent les premiers à isoler l’insuline, qui est une hormone.
UNE MALADIE INCURABLE PENDANT LA MAJORITÉ DE L’HISTOIRE HUMAINE
Dans l’Antiquité, les médecins remarquèrent que l’urine de certaines personnes attirait les fourmis, qui faisaient figure de mauvais présage. Les enfants maigrissaient à vue d’œil en l’espace de quelques jours après l’apparition des fourmis et les adultes, qui disposaient de plus de muscle et de graisse pour nourrir leur organisme, vivaient un peu plus longtemps. Les médecins avaient l’impression que ces personnes se liquéfiaient, s’évacuant elles-mêmes par leurs urines. Elles urinaient constamment et les fourmis étaient attirées par leur urine, car celle-ci était visqueuse et sucrée, comme du miel. Peu après la naissance du Christ, Arétée de Cappadoce donna le nom de diabète à cette maladie. Ce mot signifie « siphon », car toute la nutrition apportée par les aliments et les boissons semblait traverser le corps des personnes concernées.
Pour des raisons que les médecins ignorent encore aujourd’hui, le système immunitaire des diabétiques de type 1 commence, souvent dans la jeunesse, à détruire spontanément la seule source de production d’insuline de l’organisme, les cellules bêta, qui vivent dans un plus grand type de cellules, les îlots de Langherans, qui s’entassent dans le pancréas.
Quand une personne au pancréas parfaitement fonctionnel mange une banane, par exemple, le sucre de cette banane s’accumule dans son sang et l’insuline permet à ce dernier d’entrer dans ses cellules. C’est là la principale façon dont les humains tirent de l’énergie de la nourriture. En l’absence d’une quantité suffisante de cellules bêta, le pancréas sécrète peu, voire pas d’insuline et le sucre s’accumule dans le sang et devient un poison. Une glycémie élevée nuit aux nerfs, aux vaisseaux sanguins, aux tissus et aux organes. Les cellules, quant à elles, sont affamées. À la recherche d’un carburant, l’organisme se tourne vers les graisses et, en les brûlant, l’acidité du sang augmente également.
Dans le monde, un adulte sur neuf est diabétique, mais la plupart souffrent de diabète de type 2. Leurs cellules produisent souvent bel et bien de l’insuline, mais elles ne réagissent pas bien à cette hormone et ne peuvent absorber le sucre, qui s’accumule là encore. Les causes sous-jacentes du diabète de type 2 sont bien comprises, il est principalement lié au mode de vie (alimentation malsaine ou manque d’activité physique), mais celles du type 1 demeurent une énigme. Ce que les chercheurs savent est que le type 1 est le plus répandu chez les jeunes des pays riches, où beaucoup de patients disposent des ressources, de l’accès aux soins et de l’éducation nécessaires pour pouvoir atténuer le caractère létal de la maladie. Un garçon diagnostiqué à l’âge de dix ans aux États-Unis a par exemple des chances de vivre jusqu’à 67 ans. Mais, en Afghanistan, ce garçon mourrait probablement à 24 ans.

Ces échantillons d’insuline datent des premiers temps de l’insulinothérapie. La découverte du fait que l’insuline animale pouvait remplacer l’insuline humaine manquante a marqué une étape importante dans l’histoire de la médecine : pour la première fois on pouvait traiter le diabète de type 1 efficacement.
Pendant des siècles, le principal traitement du diabète de type 1 fut de priver l’organisme de tout nutriment à « siphonner » en premier lieu ; en fait, de l’affamer. Ce fut le meilleur traitement dont disposait l’humanité jusqu’en 1921, année où Frederick Banting, jeune chirurgien canadien, et Charles Best, étudiant en médecine, prélevèrent le pancréas d’un chien. Ils écrasèrent les glandes de l’organe, les congelèrent, les broyèrent, les aspirèrent à l’aide d’une aiguille et les réinjectèrent dans le chien, qui privé de son pancréas était devenu diabétique. Il ne fallut pas deux heures pour que la glycémie du chien chute.
C’était la première fois que l’on isolait l’insuline. L’année suivante, dans un hôpital de Toronto, un garçon de quatorze ans que le diabète avait mis à l’article de la mort reçut une injection d’insuline extraite de pancréas de bovins. Là encore, en l’espace de quelques heures, sa glycémie chuta. Soudain, une maladie terminale était devenue traitable. Cette découverte sauva des dizaines de millions de vies. Les médecins aiment parfois à dire que grâce à l’insuline thérapeutique, les diabétiques de type 1 peuvent désormais vivre une « vie normale ». Mais leur définition de ce qui est « normal » est relative et ils ont tendance à placer la responsabilité d’atteindre cet objectif uniquement sur le patient. « Vous pouvez rester en bonne santé si vous contrôlez votre maladie », sermonne une publication de l’Académie américaine des médecins de ville datant de 1999.
Tous les défis de la vie avec un diabète de type 1 dans notre monde qui a découvert l'insuline peuvent se résumer à ces deux lettres : si. Si une diabétique est capable de contrôler sa maladie, sa vie, vue de l’extérieur, peut sembler normale. Mais à l’intérieur, c’est tout un combat. Chaque jour, elle doit faire elle-même le travail des cellules bêta, surveiller en continu sa glycémie avec des bandelettes et un glucomètre. Cela nécessite conjectures et anticipation. Qu’a-t-elle mangé et que mangera-t-elle ? Va-t-elle faire de l’exercice ? Est-elle stressée ? Déshydratée ? Fatiguée ? Malade ? A-t-elle ses règles ? Est-elle dans son assiette ? Les réponses à ces petites questions l’aident à répondre à la grande question : quelle quantité d’insuline, par injection ou pompe portable, doit-elle s’administrer ? En administrer trop peu peut s’avérer nocif à long terme, mais une trop grande dose peut la tuer sur place. En moyenne, un diabétique de type 1 prend chaque jour 180 décisions de ce type.
La plupart des diabétiques de type 1 peuvent contrôler leur maladie. Chris Binder a par exemple joué au football américain en première division à l’Université du Maine dans les années 1990. Il était botteur. Depuis les gradins, personne n’aurait pu deviner qu’on l’avait diagnostiqué à l’âge de deux ans, même si, à la mi-temps, le personnel s’assurait toujours qu’il ait un gros sandwich au cas où sa glycémie chuterait. On entendait dire : « Le casse-croûte de Binder est prêt ? » Chris Binder a aujourd’hui 50 ans, vit à la Nouvelle-Orléans et travaille dans une entreprise du secteur des technologies qui conseille des équipes sportives universitaires et professionnelles pour améliorer leur performance. Il n’y a pas grand-chose qu’il ne puisse faire ; la maladie ne lui dicte pas sa vie. « Je pense que j’ai vraiment vécu avec le diabète, confie-t-il, et non pour le diabète. »
Mais si une diabétique s’avère incapable de maîtriser sa maladie, sa vie sera différente. En laçant ses chaussures un matin avant le travail, Jennifer Coleman, comptable de 60 ans vivant en Alberta, au Canada, s’est écrasée tête la première dans la vitrine d’un meuble lors d’une crise d’hypoglycémie. Jennifer Coleman n’éprouve pas les signaux d’alerte que beaucoup de diabétiques perçoivent lors d’une hypoglycémie (genoux qui tremblent, paumes moites, esprit embrumé et morosité), elle se retrouvait donc souvent prise de court par des hypoglycémies graves. « N’importe quelle activité demande un tel niveau de planification. C’est le plus gros truc, se lamente-t-elle. Et il faut être préparée à affronter le pire. »
Heather McLeod, médecin de ville de Vancouver, âgée de 59 ans, a été diagnostiquée quand elle avait six ans. Même avec sa formation médicale, sa glycémie variait souvent de façon extrême. « Si je pars me promener, je ferais mieux d’emporter trois briques de jus et mon insuline avec moi. Est-ce que j’ai assez de bandelettes pour me tester ? Est-ce que j’ai mes capteurs ? » Comme Jennifer Coleman, Heather McLeod ne perçoit pas les signaux d’alerte classiques. « On vit juste dans la peur, se désole-t-elle. J’ai l’impression d’être Cendrillon. Je ne sais pas quand mon carrosse va se transformer en citrouille. »
C’est la même chose pour Mary Anna Pokerznik. « Les gens ne comprennent pas le fardeau émotionnel d’une chose quand vous luttez autant et que vous continuez à échouer », explique-t-elle. Cette professeure de mathématiques et de sciences en lycée, désormais âgée de cinquante-cinq ans et à la retraite, a reçu son diagnostic à l’âge de 11 ans. Pendant des années, Mary Anna Pokerznik a été la seule personne qui pouvait emmener sa fille à ses leçons de danse. Mais souvent, sa glycémie était trop faible pour conduire et sa fille pleurait toutes les larmes de son corps. « Les gens pensent que les nouvelles technologies », une meilleure insuline, de meilleures pompes, de meilleurs capteurs de glucose, de meilleurs algorithmes, « sont une réponse », dit-elle. « Ça n’est vraiment pas le cas. »

Un îlot de Langerhans du pancréas sur une micrographie électronique à balayage colorisée. Cette structure se compose d’amas de cellules sécrétoires qui libèrent principalement du glucagon et de l’insuline (en bleu), les hormones qui permettent la régulation de la glycémie.
Le diabète de type 1 se décline en un spectre. Chris Binder pourrait en représenter une extrémité et Jennifer Coleman, Heather McLeod et Mary Anna Pokerznik l’autre. Mais le fait est que si une personne commet la moindre erreur, elle peut en mourir, car même les dispositifs médicaux les plus sophistiqués ne peuvent égaler la précision des minuscules machines biologiques présentes naturellement dans le pancréas humain : les cellules bêta. C’est pour cette raison que les scientifiques tentent de les remplacer depuis des décennies.
CETTE AVANCÉE EST LE FRUIT DE DÉCENNIES DE TRAVAIL
Les origines de la percée réalisée par Vertex remontent à un soir de 1991 lors duquel Doug Melton, professeur de biologie du développement à l’Université Harvard alors âgé de 38 ans, étudiait des œufs de grenouilles, des xénopes lisses (Xenopus laevis), dans le sous-sol de Biological Laboratories. Il était en train de chercher les gènes qui disent aux premières cellules souches d’un œuf fécondé comment se transformer en cellules spécialisées quand il a reçu un appel de son épouse, Gail : Sam, leur fils âgé de six mois, était pris de vomissements. Doug Melton a alors quitté précipitamment le laboratoire. Aux urgences du Children’s Hospital de Boston, lui et Gail allaient découvrir que leur fils était diabétique de type 1.
Après le diagnostic, Doug Melton a réuni tout le monde dans son laboratoire (l’ensemble de ses vingt-cinq à trente collègues) et leur a annoncé qu’il délaissait la recherche sur les grenouilles. Harvard avait accepté de construire un nouveau laboratoire à Doug Melton afin qu’il puisse se consacrer à une nouvelle mission : découvrir un traitement pour le diabète de type 1.
Il ne repartait toutefois pas de zéro. Son travail sur les cellules de grenouilles faisait déjà émerger une piste. Ces cellules souches primitives sont comme des pages blanches biologiques : avec les bons stimuli, elles peuvent se transformer en n’importe quelle cellule de l’organisme. Doug Melton devait simplement découvrir quels stimuli permettraient de forcer les cellules souches humaines à devenir des cellules bêta fonctionnelles. Comme il le dit lui-même, il était déjà « peintre mais voilà qu’on me disait quel devait être le sujet du tableau ».
Doug Melton me confiait récemment qu’il n’avait aucune idée de la complexité de ces recherches, mais qu’il se considère chanceux de ne pas l’avoir su. S’il l’avait su, il aurait peut-être abandonné. « Cela m’avait tout l’air d’une idée simple », raconte-t-il. Ne s’agissait-il pas tout simplement de reconstituer les cellules que son fils avait perdues, puis de les réintroduire tout en empêchant le système immunitaire de les détruire ? Il avait dit à son épouse que cela lui prendrait trois à quatre ans.
Durant les dix années qu’ont duré ses recherches, de 1990 à 1999, Doug Melton a largement dépassé ce délai et l’a encore dépassé de plus belle. Il n’était pas le seul chercheur à s’intéresser aux thérapies cellulaires, mais chacun travaillait dans son coin. La communauté scientifique se préoccupait alors davantage de comprendre le mécanisme par lequel l’insuline est sécrétée et non de fabriquer les cellules responsables de cette sécrétion.
Survint alors une avancée qui leur fit changer de perspective sur leur travail. Dans le cadre d’un essai clinique réalisé en 1999 et 2000, James Shapiro, médecin de l’Université d’Alberta, a greffé des îlots de Langerhans extraits de cadavres sur sept patients atteints de formes graves de diabète de type 1. D’autres médecins avaient essayé des procédures similaires avec un succès limité, mais James Shapiro avait mis au point un nouveau protocole. Il s’est procuré des îlots de Langerhans sains sur plusieurs cadavres, a traité les cellules avec une solution inédite et a inhibé le système immunitaire des patients à l’aide de médicaments non stéroïdiens. (Les stéroïdes avaient tendance à avoir un effet contre-productif sur les patients en les rendant résistants à l’insuline et en endommageant leurs cellules).
Chaque patient a rapidement commencé à produire par eux-mêmes suffisamment d’insuline pour ne plus avoir besoin de s’en injecter et ils continuaient à en produire lors de suivis réalisés un an plus tard.
Mary Anna Pokerznik a été la deuxième patiente de James Shapiro lors de l’essai. « Il m’était difficile de comprendre ce qui se passait, car j’étais diabétique depuis si longtemps », se souvient-elle. Plus tard, James Shapiro a également réalisé sa procédure sur Heather McLeod et Jennifer Coleman. Selon ces femmes, cette thérapie les a libérées des calculs incessants qu’elles devaient faire pour gérer leur maladie avec l’insuline pharmaceutique. Elle les a également prémunies contre les hypoglycémies récurrentes. « Cela a changé beaucoup de choses », confie Jennifer Coleman. « Vraiment, en ce qui me concerne, affirme Heather McLeod, il n’y avait aucune autre option. »
Après que le New England Journal of Medicine a publié les résultats en 2000, les standardistes de l’hôpital de l’Université d’Alberta ont été submergés d’appels. Des patients du monde entier souhaitaient être inscrits sur la liste de greffe du docteur Shapiro qui allait bientôt obtenir une subvention de 35 millions de dollars (250 millions de francs environ à l’époque) pour réaliser davantage d’essais.

Des pompes à insuline permettent aux diabétiques de type 1 d’aujourd’hui de réguler leur glycémie. Dans un avenir proche, les thérapies par cellules souches pourraient les rendre obsolètes.
Bien que le protocole de James Shapiro soit devenu disponible pour les patients dans l’incapacité de maîtriser leur diabète par d’autres moyens, on ne l’a jamais prescrit à grande échelle. La greffe d’îlots de Langerhans prélevés sur des cadavres nécessitaient de suivre un traitement immunosuppresseur, qui exposaient à des infections et à des cancers nouveaux. Qui plus est, ces cellules proviennent d’une source limitée : des personnes décédées. Les patients ont généralement besoin de cellules de deux à trois donneurs, et ce n’est pas une opération unique. Parfois, les cellules meurent, ce qui appelle un ravitaillement. Mary Anna Pokerznik avait par exemple cessé de prendre de l’insuline peu après sa première greffe en 1999. Puis, en 2003, elle a repris l’insuline. En 2014, elle a arrêté de nouveau. En 2018, elle a repris. Depuis 2019, elle n’en prend plus.
Pourtant, explique Lori Sussel, directrice scientifique au Centre de diabétologie Barbara-Davis de l’Université du Colorado, le travail de James Shapiro a été un tournant : « C’était une démonstration de faisabilité. » Quand les scientifiques ont vu que les îlots de Langerhans survivaient chez les patients, ils ont commencé à se dire que Doug Melton et les autres étaient peut-être après tout sur une piste sérieuse. Si des cellules provenant de cadavres restaurent la production d’insuline chez les patients, pourquoi des cellules cultivées en laboratoires ne le pourraient-elles pas ? « Des personnes que la thérapie par cellules souches n’intéressait pas auparavant ont commencé à s’y intéresser », se souvient James Shapiro.
Soudain, Doug Melton et les autres chercheurs, qui travaillaient chacun de leur côté, ont commencé à collaborer, et des scientifiques qui ne prenaient pas leurs travaux au sérieux ont lancé leurs propres expériences. Le financement a suivi. Un an après que James Shapiro a annoncé publiquement ses résultats, les Instituts américains de la santé (NIS) ont créé le Consortium de la biologie des cellules bêta, qui a commencé à décerner des bourses, même à des chercheurs en Europe. À mesure que le rythme des recherches s’accélérait, une percée en engendrait une autre, et Doug Melton a commencé à comprendre comment cultiver ces cellules.
LE POUVOIR DES CELLULES SOUCHES DE « CHANGER LA DONNE »
Dans chacune des milliers de milliards de cellules du corps humain se trouvent 20 000 gènes environ, dont un quart seulement sont exprimés. Les cellules lisent les gènes pour apprendre à faire ce qu’elles doivent faire. Doug Melton et son équipe se demandaient quels gènes une cellule souche devait lire pour apprendre à sécréter de l’insuline. « Quels gènes activer et lesquels inhiber ? », se demandaient les scientifiques. « C’est une excuse pour expliquer pourquoi il nous a fallu autant de temps », lance Doug Melton en plaisantant à moitié.
Un soir de 2012, les collègues de Doug Melton étaient attroupés dans le laboratoire autour d’une plaque de plastique ressemblant à une boîte d’œufs énorme. Elle abritait quatre-vingt-seize petits compartiments qui contenaient chacun une goutte de cellules bêta expérimentales produites à partir de cellules souches. Ils ajoutaient à cette solution un anticorps qui devenait bleu en présence d’insuline et ajoutaient simplement du sucre ensuite. Personne ne s’attendait à quoi que ce soit. Plusieurs minutes se sont écoulées. Puis un compartiment, unique, a viré au bleu. Les jeunes scientifiques se sont précipités dans le couloir pour prévenir Doug Melton qui, enfin, a eu l’impression d’aboutir à quelque chose. « Recommencez », leur a-t-il ordonné.
Ce qu’ils ont fait. Encore et encore. Depuis, Doug Melton a cofondé une entreprise dans le secteur des biotechnologies pour industrialiser la production de ses cellules bêta conçues en laboratoire, rachetée en 2019 pour 950 millions de dollars (866 millions d’euros alors) par Vertex, une entreprise plus importante du même secteur avec de l’expérience dans l’organisation d’essais cliniques et dans les démarches réglementaires. En 2021, dans le cadre d’un essai, Vertex a donné à quatorze patients atteints d’une forme grave de diabète de type 1 des infusions des cellules de Doug Melton, baptisées VX-880.
Avant l’essai, douze de ces patients peinaient à équilibrer leur glycémie à l’aide d’insuline. Au bout de quatre-vingt-dix jours, leur glycémie était équilibrée. Deux des patients ont eu besoin de moins d’insuline de substitution. Dix en étaient complètement sevrés. Deux participants sont morts, mais pas à cause du traitement ; l’un à cause d’une méningite, l’autre à cause de démence.
La communauté scientifique est encore en effervescence depuis la publication des résultats de Vertex en juillet dans le New England Journal of Medicine. Notamment parce que le mois suivant, la revue a publié le travail d’un autre laboratoire qui, combiné à une thérapie par cellules souches, comme le VX-880, pourrait constituer le remède tant attendu.
De même que dans le cas de James Shapiro et de ses îlots de Langerhans, les patients des essais de Vertex doivent prendre des immunosuppresseurs. Mais dans l’étude publiée en août, une équipe de Sana Biotechnology, une entreprise plus petite travaillant exclusivement sur les thérapies cellulaires, a montré qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’inhiber le système immunitaire. Les scientifiques ont modifié trois gènes des cellules des îlots d’un donneur malade et réussi à éliminer les empreintes qui les désignaient comme étrangères. Ils les ont ensuite injectées à un homme de 43 ans diagnostiqué diabétique de type 1 à l’âge de cinq ans. Six mois plus tard, le système immunitaire de l’homme n’avait pas réagi aux îlots de Langerhans, qui continuaient à sécréter de l’insuline.
Désormais, des laboratoires, comme Vertex et Sana, travaillent séparément pour combiner ces deux technologies en une solution unique : des cellules cultivées en laboratoire ne nécessitant pas d’immunosuppression et produisant de l’insuline de manière fiable. Selon certains scientifiques, une thérapie comme celle-ci permettrait de guérir le diabète de type 1. Pour Marlon Pragnell, vice-président de la recherche et de la science à l’Association américaine du diabète, ces avancées jumelles inaugurent une nouvelle ère dans la médecine. « Je pense que ça change radicalement la donne, dit-il. Ça change véritablement la donne. C’est énorme. »
UNE NOUVELLE ÈRE MÉDICALE S’ANNONCE
Durant la période sombre qui a précédé la découverte de l’insuline, Amanda Smith, la première patiente des essais Vertex à recevoir une dose complète de la nouvelle thérapie, serait morte rapidement après que son diabète de type 1 s’est déclaré. Aujourd’hui, elle n’a même plus besoin d’insuline. « Je considère cela comme une véritable bénédiction », se réjouit-elle. Même Doug Melton, qui a ouvert ce nouveau chapitre du traitement de la maladie, peine à exprimer l’ampleur des progrès scientifiques réalisés. « C’est presque comme, je ne sais pas, de l’alchimie », s’étonne-t-il.
De nombreuses questions demeurent toutefois. Les îlots édités par Sana continueront-ils d’échapper au système immunitaire ? Les cellules souches de Doug Melton survivront-elles plus longtemps chez l’humain que les îlots de Langerhans prélevés sur des cadavres par James Shapiro ? Il faudra du temps pour y répondre. Pendant ce temps, des avancées dans les domaines parallèles de la thérapie par cellules et de l’édition des gènes permettent des avancées majeures dans le traitement d’autres maladies.
Dans le cadre d’un essai clinique expérimental débuté en 2018, un chirurgien du Massachusetts Eye and Ear, grand hôpital de Boston, a par exemple réalisé une thérapie par cellules souches dans les yeux de quatorze patients à la cornée gravement endommagée. Beaucoup ne disposaient plus d’une vue fonctionnelle et souffraient fortement au niveau des yeux. Lors de bilans réalisés dix-huit mois plus tard, le chirurgien a découvert que le greffon avait totalement réparé la cornée de dix patients, amélioré leur vision et allégé leur douleur. Nature Communications a publié ses résultats en mars. En mai, le New England Journal of Medicine a publié les résultats de scientifiques du Children’s Hospital de Philadelphie et de la Faculté de médecine Perelman de l’Université de Pennsylvanie, qui avaient administré une thérapie par édition génétique à un nourrisson pour traiter une maladie rare et souvent mortelle. Cette thérapie semble tenir ses promesses.
Vertex est pour l’instant en tête dans la course pour traiter le diabète de type 1. L’entreprise est dans la phase finale des essais cliniques de sa thérapie par cellules souches et prévoit des résultats dès l'année prochaine, après quoi elle soumettra une demande d’autorisation auprès de la FDA. Vertex entend commercialiser sa thérapie d’ici la fin de la décennie. Bien que le prix n’ait pas encore été fixé, le VX-880 devrait être extraordinairement coûteux. L’entreprise a fixé le prix d’une thérapie révolutionnaire récente contre l’anémie falciforme à 2,2 millions de dollars (1,9 million d’euros).
Bien qu’il soit probable que le marché pour ce traitement se limite aux cas les plus graves, il pourrait se développer avec le temps. Les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ne surveillent pas la prévalence du diabète de type 1 depuis très longtemps, mais ses derniers chiffres estiment à 304 000 le nombre d’Américains de moins de 20 ans atteints de la maladie. Selon certaines projections, ce nombre pourrait augmenter de 65 % d’ici à 2060.
Amanda Smith continue de voir des publicités sur Facebook et Instagram affirmant que le fait de manger de la cannelle va guérir son diabète de type 1. Elle n’a jamais pensé qu’un véritable remède pourrait exister de son vivant. Pour être claire, précise-t-elle, le VX-880 n’en est pas un, pas encore. « Nous ne savons pas combien de temps ça va durer », dit-elle. Mais elle se sent en meilleure santé aujourd’hui qu’elle ne l’était lorsque sa glycémie variait de manière incontrôlable, un sentiment que partagent de nombreux patients de James Shapiro. Amanda Smith prend désormais trois cachets par jour, et ils sont minuscules. « Ce n’est rien », dit-elle.
La communauté médicale est peu susceptible de recommander largement des thérapies cellulaires telles que le VX-880 lorsqu’elles seront commercialisées en raison des risques liés à l’immunosuppression, ce qui est frustrant pour les patients qui estiment avoir le droit de décider eux-mêmes. Chris Binder a découvert le VX-880 lors de son interview par National Geographic. S’il était éligible à ce traitement, dit-il, il serait intéressé, même s’il parvient à bien contrôler sa glycémie avec une pompe à insuline et un glucomètre. « Pour quiconque a vécu toute sa vie avec cette maladie, en être libéré doit être fascinant », s’étonne-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.