Lait de vache, de soja, d'araignée… Que peut-on réellement qualifier de "lait" ?

Les différents types de laits abondent dans les rayons de nos supermarchés. Pourtant, les experts et autorités réglementaires ne semblent pas parvenir à se mettre d'accord sur une unique définition de cette boisson si essentielle à notre évolution.

De Jason Bittel
Publication 24 avr. 2024, 18:52 CEST

Nous comprenons mieux le lait aujourd'hui qu'à n'importe quelle autre époque de notre histoire. Pourtant, nous ne parvenons pas toujours à nous mettre d'accord sur sa définition. Les alternatives végétales peuvent-elles être qualifiées de « laits » ? Qu'en est-il des sécrétions similaires au lait des mammifères, telles que celles que produisent les araignées et les pigeons pour nourrir leurs petits ? Que contient réellement ce liquide si important à notre évolution ?

PHOTOGRAPHIE DE Spohler, Laif, Redux

De l’entier à l’écrémé, en passant par les alternatives sans lactose, les différentes options de laits ne manquent pas dans les rayons de nos supermarchés.

Les laits de chèvre et de brebis sont également de plus en plus courants, tout comme les laits végétaux à base d’avoine, de soja, d’amande, de noix de cajou, de coco, de riz, de chanvre, ou encore de pois.

Du côté du monde naturel, des preuves indiqueraient même que certaines espèces d’araignées, d’amphibiens, de fourmis et d’oiseaux seraient capables de sécréter des liquides similaires au lait caractéristique des mammifères.

Ces boissons moins célèbres peuvent-elles néanmoins réellement être qualifiées de « lait » ? Et d’ailleurs, comment pouvons-nous définir le lait ?

« Nous pouvons mesurer presque tout ce qu’il y a dans le lait », explique Michael Power, spécialiste des sciences animales qui gère une collection au Smithsonian’s National Zoo and Conservation Biology Institute, qui regroupe environ 15 000 échantillons de lait provenant de pas moins de 200 espèces de mammifères.

« Nous pouvons mesurer tous les peptides et les microbes présents dans le lait, mais aussi en examiner tous les éléments génétiques », révèle Power, qui est également l’auteur de l’ouvrage Milk: The Biology of Lactation.

Voici ce que nous savons (et ce que nous ignorons encore) de cette boisson si essentielle à notre évolution.

 

AVANT LE LAIT, IL Y AVAIT DU POISON

Selon Power, pour mieux comprendre le lait, il nous faut remonter à une époque qui précède son existence.

Il y a 250 à 300 millions d’années vivaient les synapsides, de petites créatures à la peau recouverte d’écailles qui constituent une ancienne lignée qui a donné lieu à la naissance des mammifères. Les synapsides auraient été les premiers de nos ancêtres à développer la capacité de nourrir leurs petits par le biais de sécrétions provenant de glandes situées sur leur abdomen.

Bien entendu, il ne s’agissait cependant pas de l’allaitement que nous connaissons aujourd’hui. Les synapsides pondaient des œufs, puis les enduisaient de ces sécrétions.

« Nous pensons qu’à l’origine, l’objectif était surtout d’équilibrer l’eau », explique Power.

En plus de l’eau, les scientifiques supposent que les liquides des synapsides contenaient des minéraux essentiels, tels que le calcium, le phosphate et le sodium, mais aussi des poisons qui protégeaient les œufs délicats contre les bactéries et les champignons.

Quel que soit son contenu, ce breuvage maison semble avoir porté ses fruits, car les synapsides ont survécu à l’extinction Permien-Trias, qui a provoqué la disparition de 90 % de toutes les espèces végétales et animales de notre planète.

« Pour moi, cela indique que la lactation constitue une évolution et une adaptation incroyablement importantes », commente Power.

 

L’ALIMENTATION DES PETITS MAMMIFÈRES

Aujourd’hui, il existe autant de laits que d’espèces de mammifères, et chacun est unique.

Le lait de phoque à capuchon contient jusqu’à 60 % de matières grasses, tandis que le lait de rhinocéros noir n’en contient que 0,2 %. Le lait de baleine bleue, quant à lui, a une consistance similaire à celle d’un fromage blanc coulant, ce qui est idéal pour une transmission sous-marine du liquide de la mère à son baleineau.

Les ornithorynques et les échidnés ne disposent pas de mamelons apparents, mais émettent leur lait par des pores présents sur leur peau, un peu comme les glandes sudoripares, dont le rôle est de produire la transpiration.

Chaque espèce de mammifère a suivi sa propre voie évolutive qui lui a permis de survivre jusqu’ici, et qui a ainsi entraîné une évolution de la chimie, de la consistance et du mécanisme d’administration de son lait.

 

LE LAIT N’EXISTE-T-IL QUE CHEZ LES MAMMIFÈRES ?

Selon la communauté scientifique, certaines preuves commencent à suggérer que la production de ce liquide essentiel ne se limite pas aux mammifères.

« Servez-vous un bon verre glacé de lait de pigeon… ou peut-être pas », écrit Rosemary Mosco dans son ouvrage A Pocket Guide To Pigeon Watching.

Pendant les premiers jours de la vie d’un jeune pigeon, son père et sa mère des vomissent une sécrétion semblable à du lait caillé dans la bouche de leurs petits, un liquide qui partage le même objectif que l’allaitement dans les premiers jours des bébés humains. Les manchots, les flamants roses et plusieurs autres espèces d’oiseaux produisent également cette substance connue sous le nom de « lait de jabot ».

De même, les araignées sauteuses, les nématodes et les poissons discus produisent des sécrétions riches en nutriments destinées à nourrir leurs petits, et selon une récente découverte, au moins une espèce d’amphibiens vermiformes, connus sous le nom de cécilies, sécrèterait également du lait, mais à partir de leur oviducte, lorsque les petits sont encore à l’intérieur de la mère. Les grands requins blancs utiliseraient une méthode similaire en émettant un liquide utérin blanc laiteux destiné à nourrir leurs petits.

Ces substances peuvent-elles être qualifiées de « lait » ?

Carlos Jared et Marta Antoniazzi, les scientifiques à l’origine de la découverte du liquide produit par l’oviducte des cécilies, admettent avoir été surpris de constater que celui-ci contenait des protéines, des glucides et des lipides, tout comme le lait des mammifères.

« Les acides gras sont très similaires à ceux que l’on trouve dans le lait ordinaire », révèle Antoniazzi, qui travaille à l’Instituto Butantan, un centre de recherche biologique brésilien.

Power souligne toutefois que seul un nombre limité d’espèces d’amphibiens, d’arachnides, d’oiseaux ou de poissons sont capables de produire ces substances.

« Les mammifères sont entièrement définis par leur capacité à produire du lait », explique-t-il. Selon le spécialiste, le lait des mammifères est donc unique.

 

DÉFINIR LE TERME « LAIT »

Le marché laitier mondial devrait dépasser les 1 200 milliards de dollars d’ici 2028, c’est pourquoi il est important que les autorités réglementaires déterminent quels produits peuvent être qualifiés de « lait » dans nos épiceries et supermarchés.

En France, lorsqu’il est utilisé seul sans indication concernant l’espèce animale dont il provient, le terme « lait » est strictement réservé au lait de vache. Tout produit laitier provenant d’un autre animal, tel que le lait d’ânesse ou le lait de brebis, doit préciser le nom de l’espèce dans sa dénomination commerciale. Aux États-Unis, une règle similaire est appliquée, le lait étant défini comme « la sécrétion lactée, pratiquement exempte de colostrum, obtenue par la traite complète d’une ou de plusieurs vaches en bonne santé », avec quelques subtilités relatives aux niveaux de pasteurisation et de matières grasses du produit.

Se pose également la question de l’appellation des laits végétaux. Au sein de l’Union européenne, la loi interdit la dénomination commerciale « lait » pour la majorité des alternatives végétales au lait d’origine animale, comme les laits de soja ou d’avoine, cette appellation étant susceptible de créer de la confusion chez les consommateurs. C’est pourquoi, malgré l’usage, les emballages des produits végétaux présentés dans les rayons présentent désormais les appellations « boisson » et « jus », plutôt que « lait ».

Du côté des États-Unis, la situation est différente. Après avoir examiné plus de 13 000 commentaires provenant du public, la Food and Drug Administration (FDA) a conclu en 2018 que les consommateurs comprenaient généralement que les « laits » végétaux ne contenaient pas de lait de vache, et que ce terme ne prêtait donc pas à confusion. L’agence américaine recommande néanmoins que tout produit dont le nom comporte le mot « lait » présente des informations relatives à sa différence nutritionnelle avec le lait de vache.

D’un point de vue technique, les laits végétaux peuvent-ils réellement être qualifiés de laits ? « Pour moi, le lait est, par essence, un produit créé par des parents pour nourrir leur petit », commente Katie Hinde, bioanthropologue à l’Université d’État de l’Arizona et corédactrice de la publication Splash! Milk Science Update de l’International Milk Genomics Consortium. Selon Hinde, les laits de soja et d’avoine ne correspondent pas à cette définition.

 

UNE SOURCE D’INFORMATIONS

Les scientifiques le réalisent un peu plus chaque jour : le lait s’avère bien plus complexe que nous ne le pensions auparavant.

« Pour moi, le lait constitue une sorte de canal d’information entre une mère et son enfant », affirme Power.

Grâce à un équilibre de nutriments, d’hormones et même de microbes, le lait guide la croissance et le développement du bébé, mais reflète également l’état corporel de la mère : certains des ingrédients qui le composent, comme le calcium, proviennent littéralement des os de celle-ci.

Par ailleurs, « le lait peut se transformer avec le temps », ajoute Power. La structure biochimique du lait maternel n’est pas la même le matin et le soir, et peut même changer entre le début et la fin d’une tétée.

Hinde cite également le cas du wallaby de l’île d’Eugène, dont les organes internes ne sont que partiellement développés à la naissance. « Le lait des marsupiaux contient des protéines qui les aident à développer leurs poumons afin de leur permettre de commencer à respirer de l’air par les poumons, plutôt que par la peau. »

Les chercheurs s’efforcent d’identifier ces protéines afin de déterminer si elles pourraient contribuer à la conception de traitements pour les bébés humains prématurés, qui souffrent souvent d’un sous-développement pulmonaire et de pneumonies.

 

DES MYSTÈRES PERDURENT

Les humains n’existeraient pas sans le lait maternel qui, chaque jour, continue d’étonner les scientifiques par sa complexité, sa flexibilité et son potentiel médical. Pourtant, selon Power, ce liquide essentiel a lui aussi ses défauts.

« Certaines personnes affirment que le lait est l’aliment parfait. À cela, je réponds qu’aucun fruit de l’évolution n’est parfait. »

Le lait manque naturellement de fer et de vitamine D, souligne le spécialiste. Il constitue également un compromis entre ce dont le bébé a besoin et ce que la mère peut se permettre de produire. En d’autres termes, pour être « parfait », il faudrait que le lait contienne encore plus de ressources nutritionnelles, mais cela mettrait en danger la mère qui le produit. « On ne peut pas tuer la mère pour nourrir le bébé. »

Enfin, le lait se compose de nombreux éléments que nous demeurons bien incapables de comprendre.

« Parfois, lorsque nous trouvons de nouveaux éléments dans le lait, ces derniers peuvent nous laisser perplexes... Ont-ils une raison d’être ? »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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