Les aliments à privilégier en cas d'inflammation

Les régimes prévenant les inflammations sont à la mode depuis un certain temps déjà. Mais de nouvelles études révèlent l’influence que notre alimentation peut avoir sur notre microbiote intestinal et sur notre disposition aux maladies chroniques.

De Emily Sohn
Publication 20 nov. 2023, 16:49 CET

L’inflammation chronique de l’intestin peut faire des ravages dans l’ensemble du corps, et même dans le cerveau, siège des troubles de santé mentale. Bonne nouvelle toutefois, nous pouvons avoir une influence sur cette inflammation en choisissant ce que l’on met dans notre assiette, et ce que l’on n’y met pas.

PHOTOGRAPHIE DE Giles Price, National Geographic Image Collection

Sur son réfrigérateur, Jennifer Wargo a affiché un tableau qui exprime la teneur en fibres de divers aliments : 15 g pour 100 g de haricots noirs, 8 g pour 100 g de framboises, 2,4 g dans une pomme de 100 g mangée avec la peau. Chaque jour, cette chirurgienne-oncologue et chercheuse sur le cancer encourage ses trois enfants, âgés de 7, 11 et 13 ans, à manger suffisamment d’aliments de la liste pour atteindre 50 g de fibres.

Le but : prévenir l’inflammation chez les membres de cette famille.

Ces dernières décennies, des chercheurs comme Jennifer Wargo ont accumulé des preuves qui permettent désormais de préconiser scientifiquement et sainement l’incorporation dans l’alimentation d’ingrédients clés jugulant efficacement l’inflammation et réduisant les risques de maladies cardiovasculaires, de cancers et d’autres affections. Les chercheurs se concentrent désormais sur la communauté de bactéries qui peuplent notre système digestif, le microbiote intestinal, lieu où des aliments et ingrédients spécifiques, comme les fibres, suscitent ou inhibent des réactions inflammatoires qui finissent par affecter la trajectoire des maladies et la sensibilité aux traitements contre le cancer. En se focalisant sur les intestins, de nouvelles perspectives s'ouvrent : l'alimentation est perçue comme un médicament qui permet de prévenir et de traiter les maladies chroniques.

Jennifer Wargo, qui travaille au Centre médical MD Anderson, à Houston, au Texas, a copié ce tableau dans un livre de cuisine intitulé Cook for Your Gut Health : Quiet Your Gut, Boost Fiber, and Reduce Inflammation (Cuisinez pour la santé de vos intestins). Elle l’offre souvent pour Noël à ses proches. « Je n’y ai pas nécessairement prêté grande attention jusqu’à ce que nous commencions réellement à étudier cela, avoue-t-elle. Et je me suis dit : "Mon dieu, mais c’est vraiment profond." »

 

POMME DU MATIN ÉLOIGNE LE MÉDECIN

L’adoption d’une nutrition convenable est, depuis des milliers d’années, une pierre angulaire des conseils en matière de santé, qui ont longtemps reposé sur des observations rapprochant certaines habitudes alimentaires et le fait de vivre plus longtemps et en meilleure santé.

Plus récemment, l’inflammation est devenue une cible courante de l’alimentation saine, car de nombreuses études associent des aliments et des régimes divers et variés à une diminution du taux de maladies et du taux de molécules inflammatoires qui circulent dans le sang. Nombreuses sont celles qui s’intéressent au régime méditerranéen, riche en fruits, en légumes, en poisson et en céréales complètes, à faible teneur en graisses saturées auxquelles est préférée l’huile d’olive, et qui n’inclut les produits laitiers qu’avec modération.

Des décennies de recherches ont permis de corréler l’alimentation méditerranéenne à une diminution des risques de contracter des maladies cardiovasculaires, du diabète de type 2 et d’autres affections, y compris des troubles de santé mentale. Selon Wolfgang Marx, spécialiste de psychiatrie nutritionnelle au Centre de l’alimentation et de l’humeur de l’Université Deakin, à Melbourne, en Australie, certaines études montrent qu’un régime méditerranéen peut réduire le risque de dépression de 33 %.

Repas méditerranéen classique composé de noix, d’olives, de produits frais et de poisson. Il se trouve que c’est ce que les médecins préconisent pour avoir un taux de fibres élevé et pour prévenir les inflammations.

PHOTOGRAPHIE DE Maskot, Getty Images

Quant à certaines variantes du régime méditerranéen, certaines études ont mis en évidence des bénéfices plus nuancés. Le régime DASH, acronyme de « Dietary Approaches to Stop Hypertension », permettrait par exemple de faire baisser la tension artérielle. Le régime MIND, semblable au DASH, à cette différence près que l’accent est mis sur des nutriments bons pour le cerveau tels que les acides gras oméga–3 et la vitamine D et qu’il est riche en aliments végétaux comme les fruits rouges et les légumes verts à feuilles, aurait un effet protecteur sur le cerveau. Grâce à une analyse de plusieurs études réalisée en 2023, on s’est aperçu que les personnes qui observaient le plus strictement leur régime avaient 17 % de chances en moins de souffrir de démence que les personnes qui l’observaient de manière moins stricte. Certains essais cliniques récents sèment toutefois le doute sur ce lien.

Bien que l’ampleur réelle de ces bénéfices reste sujette à débats, en partie parce que l’étude de l’alimentation est compliquée et parce que les personnes qui ont une alimentation saine adoptent souvent d’autres comportements sains, de nombreuses études ont mis en évidence des taux moindres de molécules inflammatoires dans le sang des personnes suivant des régimes de type méditerranéen. Des études de laboratoire sur des plats, des animaux et des humains mettent également en évidence des réactions anti-inflammatoires lors de l’ingestion de certains nutriments et ingrédients tels que le curcuma, les poissons gras, les pommes, les avocats, les carottes et les légumes verts à feuilles.

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    Il est possible que certaines combinaisons d’aliments soient mieux absorbées par le corps et plus efficaces pour combattre des maladies inflammatoires chroniques comme la goutte, ici vue au scanner.

    PHOTOGRAPHIE DE Image by Steven Needell, Science Source

    Selon Fred Tabung, chercheur spécialiste du cancer à la Faculté de médecine de l’Université d’État de l’Ohio et au Centre de recherche globale sur le cancer, il est vraisemblable que l’interaction des aliments et des nutriments ait davantage d’effet sur la santé qu’un quelconque super-aliment ou condiment à la mode. Lors d’une analyse que lui et ses collègues ont réalisée en 2023, ces molécules inflammatoires leur ont servi à mesurer les effets des aliments, et ils ont découvert que ces dernières, des biomarqueurs, réagissent différemment selon la façon dont une personne combine les aliments et les boissons dans son alimentation. D’après lui, les résultats suggèrent par exemple que l’ingestion d’une salade de tomates avec une source de gras telle qu’un avocat et un peu de fromage peut être meilleure que de manger des tomates seules si l’on cherche à réduire l’inflammation systémique chronique.

    La préparation compte également : une pomme de terre au four n’a pas le même effet sur le système immunitaire que des frites. Fred Tabung réfléchit au développement d’un outil pour aider à la planification des repas. « Un même nutriment peut interagir avec différentes sources alimentaires et affecter les mêmes biomarqueurs différemment, et on retrouve ces biomarqueurs en tant que facteurs causaux dans les maladies chroniques, explique-t-il. L’endroit où nous obtenons le nutriment est plus important que le nutriment lui-même. »

    D’autre part, les régimes riches en aliments transformés, en viande rouge et en graisses saturées semblent stimuler l’inflammation et accélérer le développement de certaines maladies. En 2021, Wolfgang Marx et ses collègues se sont intéressés à quinze revues de la littérature comprenant des données sur quatre millions de personnes de pays du monde entier. Ils ont découvert que les personnes qui mangent davantage d’aliments ultra-transformés présentent un risque accru de crise cardiaque, de cancer, de dépression et de mort prématurée. On définit les aliments ultra-transformés comme des aliments tout prêts contenant au moins cinq ingrédients qu’on ne trouve quasiment jamais dans une cuisine typique : des conservateurs, des colorants artificiels et des composés ajoutant de la texture à un aliment ou rehaussant son goût.

    Cette visualisation médicale montre des cellules adipeuses déclencher la production et la libération de protéines C réactives (PCR), un biomarqueur inflammatoire clé, dans le foie.

    ILLUSTRATION DE The Visual MD, Science Source, SCIENCE PHOTO LIBRARY

    Pour chaque augmentation de cent grammes d’aliments d’origine industrielle, l’étude a révélé une augmentation de 4 % du taux de protéines C réactives que le foie synthétise en réaction à une inflammation et qui servent d’indicateur général d’inflammation dans le corps. Selon certaines estimations, les aliments de ce type représenteraient près de 60 % des calories consommées aux États-Unis et jusqu’à 50 % du nombre total de calories consommées dans plusieurs autres pays. « Une alimentation saine a des propriétés anti-inflammatoires, mais désormais nous voyons aussi qu’une alimentation malsaine produit des effets pro-inflammatoires, explique Wolfgang Marx. Nous voyons les choses deux côtés. »

     

    BONNES BACTÉRIES, MAUVAISES BACTÉRIES

    Alors que se poursuit le travail pour déterminer quelles combinaisons d’aliments contribuent à l’inflammation ou bien la prévienennt, le microbiote intestinal est devenu la cible des tentatives visant à comprendre comment il se fait que des aliments puissent purement et simplement provoquer ou prévenir une inflammation.

    Les scientifiques savent depuis longtemps que plusieurs centaines de types de bactéries vivent sur nous et à l’intérieur de nous. Dans nos intestins, ces microbes contribuent à la digestion et, au cours de ce processus, produisent des molécules qui communiquent avec notre système immunitaire. Ces messages, à leur tour, influencent le niveau d’inflammation généré par notre corps. Ainsi que le montrent certaines études, ce que nous mangeons modifie la composition de ces espèces microbiennes. En outre, il y a une corrélation entre les communautés bactériennes que nous cultivons et les probabilités d’être atteint de cancer, de dépression, d’autisme, d’arthrite et de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, entre autres affections.

    Selon Jennifer Wargo, la diversité et la variété du microbiote intestinal semble être particulièrement importante. Quand les intestins contiennent des espèces de microbes diverses et variées, parmi lesquelles figurent des types tout à fait souhaitables, le système immunitaire peut fonctionner au meilleur de sa capacité afin de réguler l’inflammation et de préserver la santé. Quand cet équilibre est perturbé, certaines espèces peuvent commencer à dominer l’écosystème, ce qui rend le système immunitaire moins apte à répondre de manière appropriée aux maladies.

    Selon certaines études, l’alimentation pourrait constituer une façon de jouer avec le microbiote de sorte à traiter des maladies telles que le cancer. En outre, les fibres semblent être l’une des principales pièces du puzzle. En 2017, après des années de travail, Jennifer Wargo, sa collègue Carrie Daniel-Macdougall et d’autres ont établi un lien entre la composition microbienne de l’intestin, qui contribue à la digestion des fibres, et la sensibilité à l’immunothérapie par inhibition des points de contrôle (ICB), un traitement contre le cancer. Dans des essais sur des animaux, elles sont découvert que les souris suivant un régime pauvre en fibres n’étaient pas sensibles à l’immunothérapie, tandis que celles suivant un régime riche en fibres s’en sortaient bien. La composition de leur microbiote était corrélée avec ces différences.

    Échantillon d’excréments humains au sein duquel est présent une bactérie énorme provenant du microbiote intestinal.

    PHOTOGRAPHIE DE Photography by Martin Oeggerli, National Geographic Image Collection

    Désormais, elles observent des résultats similaires chez des humains. Après avoir analysé l’alimentation et le microbiote intestinal de 128 patients atteints d’un cancer de la peau sous ICB, elles ont découvert que pour chaque augmentation de 5 g de fibres ingérées par jour, le risque de mourir de cette maladie diminuait de 30 %. Cet article, publié fin 2021, a représenté une avancée considérable vers une nouvelle compréhension de la façon dont l’alimentation prévient non seulement le cancer, mais vient également en renfort du traitement. « Ça a été un blockbuster, raconte Jennifer Wargo. Ça a ouvert la voie à une ligne de traitement d’un genre complètement nouveau. »

    Les chercheurs tentent désormais de comprendre comment différents régimes ciblent le microbiote chez différents groupes de personnes, et plus uniquement chez des patients souffrant d’un cancer. Il appert que les fibres ne sont probablement pas les seuls nutriments importants. Le travail de Laura Bolte, de l’Université de Groningue, associe le régime méditerranéen à une meilleure sensibilité à l’ICB chez les personnes atteintes d’un cancer de la peau avancé. De plus, lors d’un essai réalisé en 2021 sur trente-six adultes en bonne santé à la Faculté de médecine de l’Université Stanford, on a découvert que les aliments fermentés comme le yaourt, le kimchi et le kombucha inhibaient les marqueurs inflammatoires et favorisaient la diversité du microbiote intestinal.

    Il reste encore beaucoup à élucider. L’étude sur la fermentation n’a par exemple associé que très peu de bénéfices à un régime riche en fibres, voire aucun. Selon Carrie Daniel-Macdougall, spécialiste d’épidémiologiste nutritionnelle au Centre médical MD Anderson et collaboratrice de Jennifer Wargo, cela peut être dû au fait que les participants absorbaient déjà une quantité raisonnable de fibres lorsque l’étude a débuté.

     

    CHANGEMENT DE PARADIGME

    Pourtant, selon les chercheurs, mettre ainsi l’accent sur le microbiote a donné lieu à un changement de paradigme dans le champ de la nutrition et des maladies. Carrie Daniel-MacDougall se souvient qu’il y a plus de dix ans, elle n’avait pas de conseils scientifiquement fondés à donner à ses patients atteints de cancer qui lui demandaient ce qu’ils devraient manger afin de combattre la maladie. Désormais, les preuves s’accumulent qui indiquent qu’il vaut mieux se nourrir d’une grande variété de fruits, de légumes et d’aliments riches en fibres (avocats, fruits rouges et légumes verts à feuilles) et manger moins d’aliments ultra-transformés, de viande rouge, de sucres et de graisses saturées, avec toutefois quelques nuances selon l’état d’une personne et selon ses besoins nutritionnels.

    Les aliments complets peuvent s’avérer plus efficaces que les suppléments, ajoute Carrie DanieMacDougall, car ils contiennent des composés qui stimulent les bactéries qui contribuent le plus à l’équilibre de notre microbiote. « Quand les gentilles ne sont pas en assez grand nombre, alors les mauvaises bactéries peuvent vraiment prospérer », prévient-elle.

    Les régimes anti-inflammatoires sont à la mode depuis longtemps, mais selon les spécialistes, ils mettent souvent une emphase malavisée sur le fait de réduire l’inflammation plutôt que sur l’optimisation de la façon dont le corps régule le processus, tout en accordant une valeur excessive à certains aliments ou nutriments plutôt qu’à une alimentation saine dans son ensemble.

    Bien que la plupart des conseils émergeant des nouvelles recherches fassent écho à des conseils très anciens, nous disposons aujourd’hui plus que jamais de raisons permettant d’expliquer pourquoi ils fonctionnent. « Optez pour une alimentation abondant en aliments d’origine végétale riches en fibres, conseille Carrie Daniel-MacDougall. Mettez-en davantage dans votre assiette et débarrassez-vous des autres bêtises. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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