Des robots "serpents" pourraient bientôt assister les astronautes lors de missions lunaires

La NASA a mis plusieurs universités au défi de construire une petite armée de robots et de rovers destinés à explorer la surface hostile de la Lune. Plusieurs idées innovantes en sont ressorties.

De Alejandra Borunda
Publication 23 déc. 2022, 11:57 CET
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Des étudiants en ingénierie de la Northeastern University testent leur robot en forme de serpent, le COBRA (Crater Observing Bio-inspired Rolling Articulator) dans le désert des Mojaves. Leur robot, conçu pour explorer le cratère Shackleton situé dans le pôle sud de la Lune, a remporté le premier prix du BIG (Breakthrough, Innovative, and Game-changing) Idea Challenge de la NASA.

PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

LUCERNE VALLEY, CALIFORNIE - C’est le moment de vérité pour le robot COBRA.

Le vent se déchaîne sous un soleil aveuglant, et des éboulis se dérobent sous les pieds des jeunes étudiants en ingénierie de la Northeastern University, prudemment perchés sur une pente rocailleuse dans un recoin du désert californien.

Ils activent un programme et leur robot se mue en hexagone. En équilibre sur une face plane et recouvert d’un fourreau noir, il ressemble à un pneu de mobylette. Puis, soudainement, le voilà qui s’élance à travers la pente, rebondissant si vite sur les cailloux qu'il se retrouve momentanément en l’air. Malgré la vitesse, il reste stable et bien perpendiculaire au sol tout au long de la descente.

Ce robot, capable de dévaler les pentes, était l’une des sept machines élaborées et construites au cours de ces dix-huit derniers mois par des étudiants de tous les États-Unis. Les équipes de futurs ingénieurs participaient à une compétition organisée par la NASA visant à construire des robots innovants à même de se mesurer aux terrains irréguliers et aux conditions hostiles de la Lune (voire au-delà).

Conçu pour résister aux reliefs dangereux que sont les cratères situés au pôle sud de la Lune, le robot COBRA se déplace de côté tel un crotale sur les terrains plats ou en pente. Il dispose d’un mode pour dévaler les pentes, qui lui fait prendre une forme de roue en reliant sa tête et sa queue, et d'une configuration en forme de tire-bouchon (comme sur cette photo) pour se faufiler dans des lieux difficiles d’accès.

PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

En novembre, les équipes d’étudiants ont présenté une véritable collection de robots et de rovers conçus pour traverser le désert, un environnement assez similaire à la surface de Lune. Le COBRA, un assemblage de treize minirobots qui se connectent en un chaînage ophique (de la forme d’un serpent), n’était pas l’unique excentricité en lice. L’Université d’État de l’Arizona a présenté CHARLOTTE, un robot hexapode capable d’escalader des pentes escarpées ; quant à  l’Université d’État de Floride, elle a présenté un quadrupède de la taille d’un chien terrier, baptisé ET-Quad (Extreme Terrain Quad), qui sprintait à travers les rochers.

« Dans ces domaines, il faut vraiment penser différemment », explique Vandi Verma, ingénieure en chef du rover Perseverance actuellement en mission sur Mars, et jurée du concours. Les équipes ont eu des idées radicalement différentes, « ce qui vous fait réaliser qu’il existe bel et bien de nombreuses solutions. Nous avons vraiment plusieurs options ».

 

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    Près du pôle sud de la Lune, le cratère Shackleton, ressemble à un bol de 21 km de diamètre et de plus de 4 km de profondeur. Il est proche des sites de campement humain ciblés par la NASA pour les missions Artemis. Pour explorer efficacement ce cratère, riche en matériaux géologiques, les astronautes auront besoin de l'aide de robots capables de naviguer sur ce terrain hostile.

    PHOTOGRAPHIE DE Scientific Visualization Studio, NASA

    POURQUOI NOUS AVONS BESOIN DE ROBOTS SUR LA LUNE

    L’une des missions de la NASA les plus importantes de ces prochaines années est de renvoyer des humains sur la Lune pour la première fois depuis le programme Apollo, il y a cinquante ans. L’objectif, cette fois-ci, étant d’y rester.

    « Si nous retournons sur la Lune pour y vivre, les robots y tiendront un rôle central », selon Verma. « Ils y seront absolument partout. »

    Pour monter une base, la NASA ne cible pas les régions équatoriales homogènes et planes où se sont posées les missions Apollo, mais les terrains accidentés et les cratères potentiellement riches en eau du pôle sud de la Lune. Ces cratères sont par endroits constamment ombragés par leurs versants escarpés, ce qui laisse penser que ces zones pourraient contenir des réserves d’eau gelée : une ressource indispensable à la présence durable des êtres humains.

    Sur cette représentation de la répartition de l’eau sur la Lune, les zones bleues représentent l’eau gelée sur la surface. Les données, issues de la Moon Mineralogy Mapper de la NASA, indiquent que la plupart de la glace à la surface est concentrée près des pôles.

    PHOTOGRAPHIE DE ISRO, NASA, JPL-Caltech, Brown University, USGS

    L'eau pourrait être utile aux astronautes, mais également éviter les personnes présentes d'être exposées à des rayonnements dangereux. En effet, les atomes d’hydrogène de l’eau dévient les particules entrantes à haute énergie sans les transformer en rayonnements secondaires, qui pourraient être encore plus nocifs.

    Explorer les cratères reste une tâche ardue. En effet, ces derniers sont cerclés de parois raides et parfois abruptes, et composés de plusieurs fosses et chambres créées par d’anciennes coulées de lave. Ils subissent chaque jour de grandes variations de température de plus de 250 °C, et sont souvent à l’ombre du Soleil, rendant l’exploitation de l’énergie solaire inenvisageable.

    En plus des humains, une petite armée de robots et de rovers sera nécessaire pour explorer ce lieu inhospitalier.

    Le COBRA culbute le long d’une pente rocailleuse. « Les serpents et leur motricité unique dans les déserts de sable ont fait l’objet d’études approfondies et ont donc attiré l’attention de l’équipe pour la locomotion sur terrain plat. Les serpents ne peuvent en revanche pas dévaler les pentes, c’est pourquoi l’équipe a conçu son COBRA de sorte qu'il alterne entre ses formes de roue et de serpent », souligne Ramezani.

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

     

    LE BIG IDEA CHALLENGE

    Chaque année, la NASA propose à des étudiants américains de résoudre un problème spatial. En 2021, l’agence fédérale leur avait par exemple demandé de trouver comment éviter les dégâts occasionnés par la poussière lunaire, connue pour détériorer les systèmes mécaniques et, en 2019, de construire la meilleure serre martienne possible.

    Cette année, la consigne était de lui présenter des robots lunaires. Ces derniers pouvaient être de n’importe quelle taille ou forme, mais devaient être capables de traverser des terrains très accidentés. Autre condition : ils ne devaient pas ressembler aux rovers sur roues qui ont déjà exploré la Lune et Mars.

    Kevin Kempton, coordinateur de projet au sein du programme Game Changing Development de la NASA et membre du jury, soutient que le fait de construire des robots indépendants, robustes et adaptatifs constitue un défi de taille, tout comme le fait de construire de véritables engins spatiaux.

    Le ET-Quad (Extreme Terrain Quad) de l’Université d’État de Floride a été conçu pour « traverser des terrains accidentés, pour patauger ou nager dans un régolithe profond et meuble et escalader des parois vertigineuses. »

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

    Les équipes ont trouvé des solutions radicalement différentes. Certaines, comme l’équipe de Floride, se sont tournées vers le biomorphisme, s’inspirant des insectes et des animaux. ET-Quad progresse comme un animal quadrupède et peut nager dans de l’eau ou d’autres substances, comme les tas de poussière lunaire ou de sable, qui peuvent se comporter comme des fluides. Il pouvait également escalader des parois et, bien que l’équipe ne l’ait testé que sur de simples murs, elle envisage de construire des robots similaires qui grimperaient sur un cratère lunaire à l'aide de griffes élastiques.

    Les étudiants de l’Université d’État de l’Arizona testent leur robot hexapode CHARLOTTE le long d’une pente escarpée.

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

    Le robot créé par l’Université d’État de l’Arizona, un hexapode d’environ 120 cm de haut, gardait trois pattes solidement ancrées sur le sol tandis qu’un lidar (sorte de radar qui utilise des impulsions de lumière) scannait le paysage environnant pour décider où placer ses trois autres pattes. Le système robuste de marche ainsi qu’une petite longe de « rappel » lui permettaient de monter et descendre des pentes raides en toute sécurité.

    Le COBRA dans sa configuration en forme de roue.

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

    Le COBRA, robot en forme de serpent de la Northeastern University, conçu pour descendre la paroi des cratères et explorer les tunnels de lave, est également inspiré de la nature. « Nous voulions copier la nature, mais surtout l’améliorer », explique Alexander Qiu, l’un des spécialistes en logiciel de l’équipe, qui a visionné des heures de vidéos de serpents sur YouTube afin de comprendre leurs différents mouvements. L’équipe a finalement conçu le robot COBRA de sorte qu’il rampe et se déplace latéralement, à la manière du crotale. Il peut également prendre une forme hexagonale et dévaler une pente, mais aussi une forme de spirale qui l’aide à manœuvrer à travers les terrains rocheux et irréguliers.

    La veille des tests dans le désert des Mojaves, qui ressemble à s’y méprendre au paysage lunaire, les étudiants ont exposé leurs robots dans la salle de réception d’un hôtel de la ville de Pasadena. Ce robot, le WORMS (Walking Oligomeric Robotic Mobility System), fruit du travail des étudiants du MIT, est constitué d’éléments démontables laissant le champ libre à de nouvelles configurations pouvant être construites sur la Lune. 

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

    Les étudiants de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) sont quant à eux partis du postulat que les astronautes auraient besoin de plusieurs types de robots une fois sur la Lune, et ont donc élaboré « des combinaisons d'éléments fonctionnant comme des Lego, qui peuvent être reconfigurés », comme ils l’ont expliqué lors d’une présentation. Les éléments « Worms », qui agissent comme des jambes, s’attachent au corps du robot à l’aide de pièces universelles, qui permettent d’ajouter ou de retirer des éléments. Les « shoes », qui ont une forme de bol peu profond, agissent comme des raquettes, aidant le robot à évoluer sur le sol lunaire poussiéreux. S’ajoutent à ces éléments des outils scientifiques tels que des foreuses ou des capteurs, que l’on peut insérer dans les « tibias » du robot.

    « On pourrait créer un entrepôt sur la Lune où stocker toutes les pièces dont on a besoin », explique l’équipe. Ceci permettrait aux astronautes de construire différentes versions du robot.

    Le robot LATTICE (Lunar Architecture for Tree Traversal In-service-of Cabled Exploration) de l’Institut de technologie de Californie a été désigné par les juges comme le concept le plus visionnaire.

    PHOTOGRAPHIE DE Spencer Lowell

    Plutôt que de construire un robot qui travaille en autonomie, CalTech a imaginé un système de tyrolienne avec un câble qui s’étendrait du bord du cratère à sa base : ce système ingénieux permettrait de transporter des équipements, des matériaux, et peut-être même des blocs de glace à travers cet environnement hostile. Un robot planterait des pieux en haut et en bas du cratère et les relierait par un câble, puis un châssis motorisé transporterait des charges le long de ce câble.

    Gauche: Supérieur:

    Le rover de l’Université du Connecticut baptisé Morphing Tank-to-Leg Modality for Exploratory Luna Vehicles utilise à la fois des pattes et des chenilles de tank pour « s’adapter aux divers environnements que l’on trouve sur la Lune, tels que des températures extrêmes, des régolithes de glace et une déclivité de plus de 30 degrés. »

    Droite: Fond:

    Le seul rover à roues de la compétition, le robot TRAVELS (Terrapin Rover Allows Versatile Exploration of the Luna Surface) de l’Université du Maryland, dispose d’un « système de mobilité quadrimodal qui lui permet de rouler, de marcher, de sauter, et d’escalader des pentes escarpées en rappel. »

    Photographies de Spencer Lowell

    Le robot de l'Université du Maryland utilise à la fois des jambes et des roues pour se diriger : il se sert de ses roues sur des terrains réguliers et change de mode pour utiliser ses jambes sur les pentes et les rochers. Le robot de l’Université du Connecticut, lui aussi, peut alterner de mode de locomotion : il peut marcher à quatre pattes et se baisser pour ramper sur des chenilles comme un tracteur.

    « Pas besoin d’être un féru de l’espace pour les trouver cool », avance Kempton.

     

    DES TESTS DANS LE DÉSERT

    C’est dans une salle de conférence à Pasadena, en Californie, que les équipes ont présenté leurs concepts et leurs robots. Le lendemain, elles se sont rendues dans le désert, un environnement assez similaire à la surface de la Lune (à l’exception de ses températures glaciales et de ses radiations mortelles).

    Pour une série de concepts de première génération, ils s’en sont incroyablement bien sortis, commente Jennifer Lopez, directrice de l’entreprise Astrobotic Technology, l’une des sociétés chargées d’envoyer des équipements sur la Lune pour le compte de la NASA. ET-Quad a sprinté sur plusieurs mètres sur une surface irrégulière avant de se renverser. La minityrolienne de CalTech a prudemment remonté et descendu le câble sur une pente de 27 degrés, à une vitesse de 45 cm/min, soit à 1/5 de la vitesse du rover Perseverance (mais sur un relief bien plus marqué et pentu).

    « C’est un petit pas pour les robots… », s’est amusé à dire Connor Nail, ingénieur de l’Université d’État de l’Arizona.

    C’est finalement le COBRA qui est arrivé en tête de cette compétition. Il s’est déplacé comme prévu de trois manières différentes. Il a descendu un chemin de terre en se tortillant jusqu’à ce qu’une petite berme le bloque ; il s’est déplacé latéralement le long d’une pente jusqu’à s’empêtrer dans un buisson, mais a finalement réussi à se libérer grâce à sa configuration en forme d’anneau, puis s’est écarté en roulant librement. Heureusement, ce genre de situation n’arrivera pas sur la Lune, comme l’a fait remarquer l’un des étudiants.

    Peu après, alors que le robot dévalait la pente dans sa forme hexagonale, toutes les personnes présentes (aussi bien les étudiants des sept écoles en lice que les juges) ont applaudi en guise de soutien. « C’est de cela qu’il s’agit », explique Eddie Tunstel, directeur de la technologie à Motiv Space Systems. « Tout ce que nous faisons, c’est rechercher de bonnes idées. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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