Comment deux musiciens ont révolutionné l'histoire de l'astronomie

Il y a 250 ans, William et Caroline Herschel ont mis de côté leurs carrières de musiciens accomplis pour devenir astronomes : une décision qui a mené à la création de télescopes et à la découverte de comètes, de galaxies… et même d'une planète.

De Carlos Prego Meleiro
Publication 23 janv. 2023, 18:45 CET
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Les journaux intimes de Caroline Herschel relatent son déménagement en 1772 du Hanovre vers l'Angleterre pour aider son frère (tous deux représentés dans cette lithographie en couleur). « J'ai dû lutter contre le mal du pays et je connaissais trop peu l'anglais pour tirer une quelconque consolation de la part de la société. » Au cours des décennies suivantes, elle consigna son intégration dans la société anglaise, son intérêt naissant pour l'astronomie de William et ses propres observations. Le 31 août 1791, elle écrivit : « J'ai commencé à balayer vers  1 h 30 du matin, de l'horizon en passant par les Pléiades jusqu'à la tête de Méduse. Ensuite, j'ai continué à faire des balayages horizontaux jusqu'à ce que la lumière du jour soit trop forte pour que je puisse continuer à voir. »

PHOTOGRAPHIE DE Album, Wellcome Images

Frère et sœur, William et Caroline Herschel décidèrent d’abandonner leur carrière musicale prometteuse pour se réorienter vers une tout autre discipline : l’astronomie. Jusqu’à l'arrivée des Herschel, l’observation du ciel se limitait principalement à celle du Soleil, de la Lune et des planètes visibles à l’œil nu. Grâce aux télescopes améliorés conçus par William, le frère et la sœur réalisèrent les premières observations systématiques d’étoiles et de nébuleuses au-delà du système solaire, ouvrant ainsi la voie à l’astronomie scientifique que nous connaissons aujourd’hui.

La nouvelle profession du duo était bien loin de la vie modeste que menait la famille Herschel à Hanovre, en Allemagne. Leur père, Isaac, jouait du hautbois dans la fanfare militaire de la ville, à quelques pas du poste de jardinier qu’occupait son propre père. Il insistait sur l’éducation musicale de ses dix enfants, voyant cette discipline comme un instrument efficace d’ascension sociale. William, âgé de douze ans de plus que sa sœur, apprit à jouer du hautbois, du violon et de l’orgue, et suivit son père dans le domaine de la musique. Cependant, alors que la guerre de Sept Ans avec la France se rapprochait de Hanovre, William décida de déserter l’armée et de s’enfuir à Londres, où il arriva en 1758 à l’âge de 20 ans. Il trouva un emploi de copiste, puis suivit des cours particuliers et se produisit jusqu’au jour où il obtint un poste d’organiste d’église à Bath, en 1766.

Le télescope fabriqué par William Herschel et qui contribua à la découverte d'Uranus était en bois.

PHOTOGRAPHIE DE SSPL, Getty Images

Située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Londres, la ville de Bath, alors en plein essor, possédait une scène intellectuelle animée, et William se plaça au cœur de ce mouvement. Il rejoignit la Bath Philosophical Society et s'imprégna, par le biais de conférences, de discussions et de lectures, des dernières découvertes en matière de science et de physique. Il étudia la relation entre l’acoustique et les mathématiques. Ces intérêts le conduisirent à la physique, puis à l’optique, qui l’initia à son tour à l’astronomie. Malgré son amour pour la musique, sa passion pour l'astronomie l’emporta dans une mission personnelle pour apprendre « la construction des cieux ».

 

UNE IMMENSE DÉCOUVERTE

Au début des années 1770, William étudiait la conception de télescopes. Pour pouvoir gérer son double engagement dans la musique et l’astronomie, William invita sa sœur Caroline, alors âgée de 22 ans, à le rejoindre à Bath après la mort de leur père. La jeune femme, qui vivait cloîtrée à Hanovre et s’occupait de leur mère, accepta volontiers la proposition de son frère et arriva en Angleterre en 1772. Musicienne accomplie, elle chantait et jouait du clavecin.

Tout en poursuivant ses études dans la musique et en s’occupant de la maison, elle travaillait aux côtés de son frère. Caroline était elle aussi captivée par le ciel nocturne, et s’imprégna des connaissances de son frère en astronomie. Un rythme de travail s’installa alors entre les deux : tandis que William faisait les observations, Caroline se chargeait de cataloguer et de calculer les emplacements, un travail exigeant et une étape importante qui fit avancer l’astronomie vers son approche mathématique actuelle.

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    L’année suivante, frustré par les performances de ses télescopes, William entreprit de concevoir et de fabriquer son propre équipement. Fabriquer un télescope était un travail d’équipe, de nombreux composants provenant de sources diverses. Les oculaires, micromètres, tubes et autres pièces nécessitaient le travail d’artisans qualifiés.

    Les miroirs métalliques nécessitaient un polissage intense, les grands miroirs en verre n’étant pas encore disponibles à cette époque. Dans ses mémoires, Caroline se rappelait l’implication de William dans cette tâche. « Je passais une telle partie de mon temps à copier de la musique et à m’exercer, en plus de m’occuper de mon frère lorsqu’il polissait. Pour le maintenir en vie, j’étais parfois même obligée de le nourrir en lui mettant de la nourriture par morceaux dans la bouche », écrivait-elle. « Ce fut notamment le cas lorsqu’il s’occupait des finitions d’un miroir de 2 mètres. Il ne l’avait pas lâché pendant 16 heures d’affilée. » À la fin de l'année 1779, après vérification de ses conceptions, William fut considéré comme le plus grand fabricant de télescopes de son temps.

    Deux ans plus tard, alors qu’il étudiait les étoiles doubles (deux étoiles qui semblent proches l’une de l’autre lorsqu’elles sont vues de la Terre), William remarqua pendant plusieurs nuits un objet peu lumineux qui se déplaçait lentement par rapport aux étoiles de fond, et qu’il pensa d’abord être une comète. Cependant, après une étude plus approfondie et la confirmation de ses collègues, il s’avéra qu’il avait découvert une planète : l’une des géantes de glace du système solaire. Il la baptisa Georgium Sidus, « l’étoile de George » en latin, en l’honneur du roi George III. Le fait de nommer la nouvelle planète en l’honneur du monarque britannique suscita toutefois des critiques dans d’autres pays, si bien que William opta finalement pour Uranus, en référence au dieu du ciel issu de la mythologie grecque.

    Visibles à l’œil nu, Jupiter, Saturne et les planètes intérieures du système solaire étaient connues depuis des millénaires. Uranus fut la première planète découverte à l’aide d’un télescope. William gagna une renommée internationale pour sa découverte. Il fut fait chevalier et nommé astronome de la cour par le roi, et on lui accorda une pension annuelle de 200 £, à condition de vivre près de Windsor et d’être disponible à chaque fois que le roi souhaitait observer les étoiles.

     

    UNE RECONNAISSANCE MÉRITÉE

    William et Caroline abandonnèrent alors leur carrière musicale à Bath et s’installèrent près du château de Windsor afin de se lancer dans la vie d’astronomes à plein temps. En 1783, ils commencèrent une étude révolutionnaire du ciel nocturne de vingt ans destinée à trouver des objets du ciel profond, tels que des nébuleuses et amas d’étoiles. Le travail était minutieux. William ne pouvait détourner le regard, et Caroline passait des heures à enregistrer les observations de son frère et à confirmer les mesures et les angles.

    Ce télescope de 12 mètres conçu par les Herschel devint une attraction touristique populaire, comme le montre cette aquarelle de 1801. Il coûta à la couronne près de 4 000 £.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Pendant ce temps, Caroline effectuait elle aussi des « balayages du ciel » et faisait ses propres découvertes. Identifiée en février 1783, sa première trouvaille fut un amas ouvert (NGC 2360) surnommé « l’amas de Caroline », dans la constellation du Grand Chien. Cet été-là, elle trouva NGC 205, une galaxie satellite de la galaxie d’Andromède, et la « Rose de Caroline » (NGC 7789), un amas ouvert situé dans la constellation de Cassiopée, fut découverte plus tard cette même année.

    En août 1786, elle entra dans l’Histoire en devenant la première femme à découvrir une comète. Dans la lettre qu’elle adressa à la Royal Society pour décrire sa découverte, Caroline écrivit : « En raison de l’Amitié que je sais exister entre vous et mon Frère, j’ose vous déranger en son absence avec le récit imparfait d’une comète consigné ici. » Elle ne tarda pas à recevoir la reconnaissance qu’elle méritait. L’année suivante, le roi reconnut son rôle clé en lui accordant un salaire de 50 £ par an. Cela constitua une nouvelle première pour Caroline, et sans doute l’une des plus importantes : elle était devenue la première femme à recevoir un salaire en tant qu’astronome.

    Outre ses importantes avancées scientifiques, la particularité de Caroline résidait dans « sa capacité à faire reconnaître son travail », selon Emily Winterburn, spécialiste d’Herschel. La reconnaissance publique de ses travaux par William l’aida à se faire accepter par la communauté scientifique, mais Caroline savait également comment gagner l’approbation de ses pairs masculins en combinant la rigueur scientifique avec le charme et les compétences sociales. Ce numéro d’équilibriste était « une réussite impressionnante et délicate à réaliser », écrit Winterburn.

    En 1787, les télescopes de William révélèrent plusieurs lunes d’Uranus et, deux ans plus tard, de nouvelles lunes de Saturne. Son mariage en 1788 provoqua quelques tensions entre sa sœur et lui, mais le duo continua à travailler ensemble. William et Caroline étudièrent la quasi-totalité du ciel visible depuis le sud de l’Angleterre, compilant une liste de 2 500 nouveaux objets célestes, dont des nébuleuses, des amas d’étoiles et des galaxies. Leurs découvertes sont publiées dans le Catalogue des nébuleuses et des amas d’étoiles, qui a servi de base au Nouveau catalogue général de nébuleuses et d’amas d’étoiles (ou New General Catalogue) utilisé aujourd’hui.

    Caroline continua à travailler avec son frère jusqu’à la mort de ce dernier en 1822, après quoi elle retourna en Allemagne. Elle révisa les trois catalogues de nébuleuses et d’amas d’étoiles de William, pour lesquels elle reçut une Médaille d’or de la part de la Royal Astronomical Society en 1828 : une première pour une femme. Caroline mourut en 1848, et sur son épitaphe sont inscrits les mots : « Les yeux de celle qui est glorifiée ici-bas étaient tournés vers les cieux étoilés. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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