Comment Rome a arrêté les Huns dans leur conquête de la Gaule

Pendant des années, Attila saccagea ville après ville jusqu’à ce qu’une alliance germano-romaine ne mette les Huns en échec. Cette victoire était pour Rome un aveu amer : la menace barbare ne pouvait être contenue qu’avec l’aide d’autres barbares.

De Borja Pelegero
Publication 18 sept. 2023, 16:33 CEST
Face-Off on the Catalaunian Plains

Deux moments décisifs marquèrent cette bataille. Le premier fut un assaut raté mené par les troupes d’Attila qui ne parvinrent pas à percer la formation ennemie. Le second fut la contre-attaque des Visigoths qui parvinrent, eux, à percer la ligne formée par les Huns et par leurs alliés. Cette illustration reconstitue la première charge hunne et exprime le spectacle effrayant des archers montés fondant sur les lignes romaines.

PHOTOGRAPHIE DE Aquarelle de Peter Dennis , Osprey Publishing

Si chacun ou presque connaît le nom d’Attila le Hun, personne ne sait où il est enterré. Le trouver reviendrait probablement à mettre la main sur un trésor conséquent, car les récits historiques de ses funérailles sont impressionnants : la dépouille d’Attila aurait été enterrée dans un cercueil en or placé à l’intérieur d’un cercueil en argent lui-même placé dans un cercueil extérieur en fer ; une inhumation somme toute convenable pour l’homme le plus craint du 5e siècle.

La terrible réputation d’Attila provient en grande partie de son implacable progression vers l’ouest européen où il pilla les richesses de l’Empire romain. Mais il fut arrêté par une confédération de soldats romains et de tribus germaniques. Cette victoire sur le grand Attila peut sembler un signe de force de la part de Rome, mais pour de nombreux historiens, ce moment révèle en fait la véritable faiblesse de Rome due à des siècles de mauvaise gestion impériale et d’agrandissements exagérés de son territoire.

Comprendre : la Rome antique

 

UN EMPIRE EN CRISE

Les relations entre le Bas-Empire romain et les tribus barbares massées à sa frontière septentrionale ont souvent été présentées sous la forme d’une simple hostilité mutuelle. Mais dans les faits, la relation complexe entre Rome et ses voisins s’intriqua de plus en plus aux 3e et 4e siècles de notre ère.

Le respect sain des Romains pour les tribus germaniques remonte au moins au temps de Jules César, qui admirait le courage farouche dont ses adversaires avaient fait preuve en Gaule. Durant toute la durée du Haut-Empire, des escarmouches avaient eu lieu à la frontière, mais c’est lors d’une série de règnes catastrophiques, au 3e siècle, que la menace barbare commença à éroder l’autorité impériale pour de bon. À cette époque, de graves crises économiques affaiblirent le pouvoir central romain. À court d’argent, les empereurs successifs dévaluèrent la monnaie de sorte à s’octroyer un sursis financier de court terme. Mais cela eut pour effet de générer une inflation démesurée qui perturba les échanges commerciaux et qui entraîna plus de troubles économiques encore.

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    Après avoir fait tomber plusieurs villes par ses impitoyables assauts, Attila était en bonne posture pour prendre Aurelianum (Orléans actuelle, en photo ci-dessus), alors occupée par les Alains. Mais le commandant romain Aetius arriva, et le roi des Huns fut contraint de lever le siège.

    PHOTOGRAPHIE DE BBS Ferrari, Getty Images

    Profitant du chaos, les Goths et d’autres tribus germaniques commencèrent à prendre d’assaut les frontières romaines. Pour repousser ces attaques, Rome forma des alliances et des contre-alliances complexes avec les barbares. De plus en plus, l’empire dépendait de mercenaires germains pour garnir les rangs de son armée. Bien souvent, ces hommes se retrouvaient à défendre la frontière face à leur propre peuple.

    Bien que l’ordre fût rétabli en 284 lors de l’accession de Dioclétien au pouvoir, l’empire ne retrouva jamais sa vigueur économique. Toutefois, les relations nouées avec les voisins septentrionaux de Rome perdurèrent. En 395, à la mort de Théodose Ier, le vaste monde romain se scinda en deux entités : l’Empire romain d’Occident, centré sur les nouvelles capitales impériales de Milan et de Ravenne, et l’Empire romain d’Orient, administré depuis Constantinople.

    Les Huns ne furent une puissance dominante en Europe que durant sept courtes décennies, mais leur notoriété perdura des siècles. Les Huns venaient d’Asie et arrivèrent d’abord dans le sud-est de l’Europe, en 370. Ils agrandirent rapidement leur territoire grâce à leur cavalerie rapide comme l’éclair et à la précision de leurs archers, et ils inspiraient la crainte partout où ils allaient. À son apogée, l’empire d’Attila s’étendait du Rhin à la mer Noire. En plus de leur puissance militaire, les Huns étaient doués pour forger des alliances avec les chefs tribaux de la région (Alains, Ostrogoths et Gépides) en leur offrant des biens en échange de leur loyauté. Pour conserver ces « amitiés », les Huns durent conquérir davantage de terres afin d’accaparer davantage de richesses pour payer leurs « amis ». Sous l’influence d’Attila, les Huns prospérèrent. Mais après sa mort en 453, les Huns virent leur domination disparaître rapidement. En 454, des tribus vassales écrasèrent les Huns lors de la bataille de la Nedao, et leur suprématie cessa peu de temps après.

    PHOTOGRAPHIE DE Carte : EOSGIS.com

     

    LES HUNS ARRIVENT

    Ce casque romain du 4e siècle, qu’on appelle le Berkasovo, est fait de fer et d’argent et fut découvert en Serbie. Des casques comme celui-ci, portés par la cavalerie, servirent lorsqu’Attila envahit la Gaule.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Des luttes de pouvoir complexes s’ensuivirent entre les Empires d’Occident et d’Orient qui étaient en outre tous deux confrontés à des menaces militaires extérieures. Dans les années 370, des signalements en provenance du Danube, une des frontières impériales, firent état de la présence d’un nouvel ennemi terrifiant : les Huns. Ceux-ci étaient arrivés si vite qu’ils ne semblaient venir de nulle part. Ce peuple nomade féroce fit irruption par l’est et conquit les territoires goths au nord du Danube.

    Confrontés à cette menace, les Goths adjurèrent l’empereur romain d’Orient, Flavius Valens, de leur permettre de traverser le fleuve frontalier et de s’installer en territoire romain. Distrait par une attaque des Perses, Flavius Valens accepta hâtivement, mais au lieu d’inviter une nouvelle population de sujets obéissants qui paieraient des impôts et aideraient à défendre la frontière, l’empereur avait créé un ennemi de l’intérieur : en 378, les Goths se révoltèrent, lui infligèrent une défaite et le tuèrent lors de la bataille d’Andrinople.

    Les tentatives d’en faire des défenseurs loyaux de la frontière échouèrent largement, et ces échecs culminèrent lors de l’invasion goth de l’Italie et lors du sac de Rome en 410. Tandis que des hordes gothiques pillaient la capitale cette année-là, les Huns s’installèrent dans les prairies de leur nouveau territoire en actuelle Hongrie. Parmi eux se trouvait un jeune garçon, membre de la famille dirigeante : Attila.

    La Porta Nigra (la porte noire) date de l’époque romaine. Elle se trouve dans la ville de Trèves, mise à sac par Attila lorsqu’il faisait route vers la Gaule.

    PHOTOGRAPHIE DE Thomas Robbin, Age Fotostock

     

    GÉANTES STEPPES

    Selon les historiens, les Huns descendraient des Xiongnus, une tribu qui vivait dans les steppes d’Asie de l’Est près de l’actuelle Mongolie. Au début du 4e siècle, ils commencèrent à se déplacer vers l’ouest à travers les steppes et progressèrent en Europe jusqu’à ce que la frontière de l’Empire romain n’entrave leur percée.

    On doit l’une des premières descriptions des Huns à l’historien romain Ammien Marcellin qui souligna certains de leurs traits les moins civilisés. Il décrivit un peuple qui chauffait sa viande en la pressant entre les cuisses et qui portait des vêtements rudimentaires faits de « peaux de mulots cousues ensemble ». D’autres sources romaines insistent sur leurs redoutables compétences d’archers montés.

    Les Huns employaient à la fois artillerie et tours de sièges lorsqu’ils lançaient l’assaut contre des villes fortifiées. Cette sculpture en bois du 5e siècle montre une ville se défendant contre un siège barbare. Musée d’art byzantin, Berlin.

    PHOTOGRAPHIE DE BPK, Scala, Florence

    En 445, ayant hérité de terres s’étirant de l’actuelle Allemagne à la mer Noire, Attila entama son règne en assassinant son frère, Bleda, pour régner seul sur les Huns. Les premières années de son règne furent marquées par une campagne de terreur contre l’Empire romain d’Orient qui le vit tour à tour multiplier d’outrageantes demandes de rançons mirobolantes et des incursions en territoire impérial au point d’avancer considérablement à l’intérieur des terres grecques en 447. Après avoir obtenu d’importantes concessions de la part de Constantinople, Attila tourna son attention vers l’Empire romain d’Occident, et en particulier vers la Gaule.

    Le roi des Huns trouva une excuse toute faite pour envahir l’Empire romain d’Occident : Honoria, la sœur de l’Empereur Valentinien III. Exilée à Constantinople par son frère, cette femme déterminée tenta de s’échapper en faisant savoir à Attila qu’il pouvait l’épouser. Bien que l’empereur parvînt à contrecarrer le plan de cette dernière, Attila considéra habilement Honoria comme sa femme et exigea la moitié de l’Empire romain d’Occident en guise de dot. Le refus catégorique de Valentinien fut pour Attila une raison suffisante d’envahir la Gaule. Il espérait que le chaos qu’il comptait y semer finirait par contraindre Valentinien à le payer pour qu’il parte.

    Attila voyait la Gaule comme une cible facile. La population locale était composée de Visigoths et d’autres tribus qui y avaient élu domicile ; un mélange complexe qui, pensait-il, entraverait les tentatives de Rome de constituer une défense efficace. Au printemps 451, Attila mit son plan à exécution et commença à mettre à sac les villes du nord de la Gaule une à une. Cependant, en s’attendant à une faible opposition, il avait omis de prendre en compte l’adroite diplomatie dont savait faire preuve le général romain Flavius Aetius. Celui-ci parvint à unir l’ensemble des divers peuples de la Gaule (Visigoths, Francs, Burgondes et Alains) en une robuste coalition pour tenir tête à la menace des Huns.

    Soldat et homme d’État brillant, Aetius dirigea de facto l’Empire romain sous le règne de Valentinien après être devenu consul en 432. Aetius avait été otage des Huns, et ce temps passé auprès d’eux lui avait procuré une connaissance intime de leur culture. Sa captivité lui avait permis de tisser de précieux liens personnels avec des dirigeants clés des Huns. C’est d’ailleurs grâce à un recours astucieux à des mercenaires huns au service de l’Empire romain qu’il accéda au pouvoir. Avec leur aide, il avait lancé une série de campagnes militaires dont le but était de maintenir sous contrôle la majorité des barbares installés en Gaule. Malgré les capacités de son chef militaire, rien n’illustre mieux combien le pouvoir de l’Empire romain d’Occident s’était affaibli que cette nécessité de fabriquer de toutes pièces une alliance.

    Selon certaines estimations, cinquante ans auparavant seulement, 50 000 soldats romains étaient présents en Gaule. Mais un demi-siècle de conflits civils et de négligences avait grandement réduit les rangs de l’armée. En 451, il ne restait probablement plus que quelques milliers de soldats romains dans la province.

    Cette œuvre du peintre espagnol Ulpiano Checa, peinte en 1887, représente des Huns à cheval, déchaînés, comme une force écrasante.

    PHOTOGRAPHIE DE Prisma Archivo

     

    CONFRONTATION DANS LES PLAINES

    Les Huns semèrent sur la Gaule la dévastation qui les caractérisait, mais la solide opposition qu’ils rencontrèrent contraria de plus en plus le plan d’Attila de réaliser un « casse » rapide dans la province. L’apparition inattendue de Flavius Aetius et de ses alliés obligea Attila à lever le siège d’Aurelianum (l'actuelle Orléans) et à se retirer. Retranché depuis une semaine, Attila se résolut à affronter l’armée dirigée par les Romains dans les champs catalauniques, au nord de l’actuelle ville de Troyes, qu’il considérait comme un emplacement approprié pour déployer sa cavalerie nombreuse.

    D’après Jordanès, historien du 6e siècle, les combats débutèrent à midi par un affrontement entre des Visigoths pro-Romains et des Huns. Chaque camp chercha à contrôler un pan de terrain élevé situé près du champ de bataille. L’armée d’Aetius fut probablement déployée entre cette crête et une zone densément boisée, et ces obstacles naturels empêchèrent vraisemblablement les Huns d’utiliser une des stratégies préférées des peuples nomades : porter le surnombre sur les flancs de l’adversaire à l’aide de la cavalerie.

    En l’espèce, Attila fut contraint de lancer un assaut totalement frontal. Sur ses ordres, la cavalerie hunne alla au-devant d’Alains pro-Romains au centre du champ de bataille. Les Visigoths contre-attaquèrent, repoussèrent les Huns et forcèrent Attila à battre en retraite.

     

    VAINQUEURS ET PERDANTS

    Ayant subi sa seule défaite majeure sur le champ de bataille, Attila n’en repartit pas moins avec la somme des butins accumulés tout au long de sa campagne. Un an plus tard, il envahit le nord de l’Italie et mit à sac les villes de Milan et d’Aquilée, mais fut dissuadé d’attaquer Rome par l’hâtive diplomatie du pape Léon Ier.

    Sur cette pièce en or à l’effigie de Valentinien III, l’empereur écrase un serpent à tête humaine. Bon nombre de citoyens de Rome devaient voir en ce serpent une représentation de l’ennemi de l’empire : Attila.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Album

    En 453, le terrifiant roi des Huns mourut de manière quelque peu décevante d’une hémorragie cérébrale lors de sa nuit de noces et fut enterré, à en croire la légende, dans son triple cercueil tarabiscoté. On dit que, dans un acte de cruauté posthume, les esclaves qui avait creusé sa tombe furent exécutés.

    Privés de sa stature de dirigeant impitoyable et magnétique, ses héritiers ne parvinrent pas à maintenir son empire unifié. La terreur hunne se dissipa aussi vite qu’elle était arrivée. Depuis lors, les historiens discutent de son legs et s’interrogent sur la mesure dans laquelle ce siècle de chaos hun contribua à l’effondrement ultérieur de Rome.

    Nombreux sont les historiens contemporains qui voient Attila comme un détail haut en couleur au sein d’un tableau plus vaste de chaos administratif dans lequel le pouvoir romain était davantage menacé par ses propres folies que par quelque ennemi venu d’ailleurs. Après des années de luttes intestines et de gouvernance médiocre, l’armée impériale manquait de ressources. Le sort du héros de Gaule, l’astucieux général Aetius, illustre une telle folie : en 454, il fut assassiné par son maître, Valentinien III, dans un accès de rage.

    Après le règne de Valentinien, une série d’empereurs obscurs, aux règnes brefs, lutta pour empêcher leur État, hérité d’Auguste, d’imploser. En 476, le dernier de ces empereurs abdiqua face à un mercenaire germanique, Odoacre, et l’Empire romain d’Occident ne fut plus.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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