Cette ancienne civilisation a façonné le monde moderne

Écriture, lois, villes et science sont autant d’innovations créées il y a 5000 ans par les peuples de Sumer, qui vivaient entre le Tigre et l’Euphrate.

De Marcos Such-Gutiérrez
Publication 29 août 2023, 12:15 CEST
High temple

La ziggurat d’Ur fut construite lors de la dernière période de gloire de Sumer, vers 2100 avant notre ère. Surmontée d’un temple dédié à Nanna, dieu de la Lune, la ziggurat fut mise au jour par Leonard Woolley dans les années 1930 et partiellement reconstruite par le dictateur irakien Saddam Hussein.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Runkel, Age Fotostock

Les fondations de la civilisation humaine germèrent pour la première fois sur les terres fertiles situées entre le Tigre et l’Euphrate. Une civilisation novatrice, que l’on nomme aujourd’hui Sumer, donna naissance non seulement aux premières villes mais également à des innovations en matière de transports, de littérature et d’architecture monumentale.

La culture sumérienne s’épanouit durant plus de 2000 années qui la virent dominer la Mésopotamie. Dans l’ensemble de cette région, qui se trouve aujourd’hui au sud de l’Irak, des cités-États influentes émergèrent, des ziggurats immenses sortirent de terre, des épopées grandioses furent racontées et les riches et les puissants se parèrent de bijoux en or. Au fil du temps, domination et contrôle ont changé de mains et ont été exercés par diverses cités glorieuses. La civilisation atteignit son apogée à la fin du troisième millénaire avant notre ère, puis déclina petit à petit. 

La civilisation sumérienne et ses réalisations sont tombées dans l’oubli durant des millénaires, jusqu’à ce que des archéologues commencent à explorer la région minutieusement aux 19e et 20e siècles. De splendides découvertes révélèrent la richesse et le raffinement de cette ancienne civilisation et permirent aux spécialistes de voir comment les influences sumériennes avaient déferlé sur les civilisations venues ensuite.

 

CITÉS ET ROIS

Des colons arrivèrent dans la plaine inondable de Mésopotamie autour du sixième millénaire avant notre ère. Ces innovateurs mirent au point un système d’irrigation constitué de canaux afin d’exploiter les eaux du Tigre et de l’Euphrate et de mieux gérer l’agriculture dans la région. Leur réussite donna naissance à de riches centres de commerce agricoles. La richesse transforma les colonies en villages, puis les villages en cités comptant des milliers d’habitants.

En 3500 avant notre ère, la croissance de Sumer était telle que la civilisation se composait d’une série de cités-États liées par des traditions linguistiques et religieuses. Au rang des plus importantes figuraient Eridu, Uruk, Ur, Larsa, Isin, Adab, Lagash, Nippur et Kish. Au fil du temps, certaines devinrent plus puissantes que d’autres, et durant de brèves périodes, une cité-État pouvait diriger les autres avant de perdre son pouvoir. La Bible fait d’ailleurs mention de villes et de dirigeants de Sumer : « Il régna d’abord sur Babel, Érec, Accad et Calné, au pays de Schinear. De ce pays-là sortit Assur ; il bâtit Ninive, Rehoboth Hir, Calach, et Résen entre Ninive et Calach ; c’est la grande ville. » (Genèse 10:10-12).

Relief sculpté vers 2500 av. J.-C. montrant Ur-Nanshe, roi de Lagash. 

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Ces villes étaient gouvernées par des rois dont les noms auraient pu tomber dans l’oubli si l’on n’avait pas découvert la Liste royale sumérienne. Des copies de la liste furent en effet retrouvées sur seize tablettes et cylindres d’argile différents découverts dans toute la Mésopotamie. La tablette la plus complète inclut les noms d’importantes villes, de leurs rois et de la longueur de leur règne. Les spécialistes sont prompts à faire remarquer que la Liste royale sumérienne mêle légende et histoire. En effet, les règnes des premiers rois sont excessivement longs tandis que les plus récents suivent une temporalité humaine.

 

L’ESSOR D’URUK

La toute première cité-État à occuper une place de premier plan fut Uruk (« Érec » dans la Bible). Selon la Liste royale sumérienne, elle fut fondée par le roi Enmerkar vers 4500 avant notre ère. À son apogée, Uruk comptait 40 000 habitants environ, une population considérable qui donna lieu à un développement économique important.

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    Photographiées en 1973, les ruines d’Uruk sont tout ce qui subsistait de la principale cité-État de Sumer après des milliers d’années passées enfouies sous les sables du désert.

    PHOTOGRAPHIE DE Georg Gerster, Age Fotostock

    La richesse de la cité se reflétait dans son architecture monumentale. La ziggurat d’Uruk, dédiée au dieu sumérien du ciel An, fut achevée à la fin du quatrième millénaire avant notre ère. Surmontée de son Temple Blanc, sa structure qui s’élève dans les airs, resplendissante sous le soleil, côtoya les cieux bien des siècles avant la pyramide de Khéops.

    Des fouilles entreprises au 20e siècle par des archéologues allemands révélèrent la richesse d’Uruk en mettant au jour des preuves témoignant d’un travail de l’or, de l’argent et du cuivre. D’autres édifices massifs furent exhumés, notamment des temples en briques plus petits et un mur défensif. Les archéologues retrouvèrent également une pléthore de tablettes en argile ainsi que des œuvres d’art.

    Carte de l’ancienne cite de Nippur, créée vers 1500 av. J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE DEA, Getty Images

    Les archéologues continuèrent à recoller les morceaux de l’histoire de Sumer tandis que d’autres cités étaient fouillées. À Lagash, on découvrit un système sophistiqué d’irrigation et de canaux à vannes. Les découvertes les plus célèbres furent réalisée par Leonard Woolley, archéologue du British Museum et de l’Université de Pennsylvanie. On mit au jour Ur, une cité ayant atteint son apogée à la fin du troisième millénaire avant notre ère. Dans les années 1920 et 1930, les fouilles de Leonard Woolley permirent de mettre au jour la ziggurat d’Ur, haute de 25 mètres et dédiée au dieu de la Lune, Nanna.

    Leonard Woolley découvrit également le cimetière royal de la cité, qui date du milieu du troisième millénaire avant notre ère. Ces tombes abritaient des couronnes, des colliers et une boîte de toute beauté, l’Étendard d’Ur, incrustée de mosaïques de bijoux dépeignant des scènes de guerre et d’opulence. Les tombes contenaient également les dépouilles de domestiques royaux sacrifiés pour continuer à « servir » leurs souverains dans l’au-delà.

    Moulage d’un sceau cylindrique datant de 2100 av. J.-C. environ et montrant des déesses debout devant le roi Ur-Namma.

    PHOTOGRAPHIE DE British Museum, Scala, Florence

     

    NAISSANCE DE L’ÉCRITURE

    Les dons de Sumer à l’humanité sont incommensurables. Le mot « Sumer » vient de shumerum, nom que les Akkadiens, voisins septentrionaux de Sumer, donnaient aux habitants de cette région. Les anciens Sumériens se nommaient, eux, salmat qaqqadi, ce qui signifie « têtes noires ».

    Les prouesses agricoles de Sumer créèrent le besoin d'un système méthodique pour enregistrer les informations. Les marchands sumériens avaient en effet besoin de moyens fiables de suivre leurs activités commerciales. Vers 3500 avant notre ère, des marchands commencèrent à se servir de tablettes d’argile sur lesquelles ils incisaient de petits symboles pour garder la trace de leurs marchandises. En 3200 avant notre ère, ces signes pictographiques s’étaient mués en une série de signes complexes comptant 600 caractères environ : le cunéiforme. L’écriture venait de naître.

    Tablette sumérienne comportant un texte religieux composé grâce au cunéiforme, le premier système d’écriture du monde. Le cunéiforme sumérien se propagea à travers la plupart du Moyen-Orient à l’âge du bronze.

    PHOTOGRAPHIE DE R. Chipault, RMN-Grand Palais

    Composée de symboles semblables à de petits traits se terminant en coins, l’écriture sumérienne fut créée à l’aide de roseaux que l’on pressait sur des tablettes d’argile humide. Cette technique donna au système son nom moderne de « cunéiforme », mot dont la racine latine signifie « coin ». L’écriture sumérienne donna lieu à une révolution. D’autres groupes linguistiques présents en Mésopotamie l’adoptèrent. Des tablettes cunéiformes furent d’ailleurs découvertes sur de nombreux sites archéologiques sumériens.

    Le commerce fut une des façons dont le cunéiforme se propagea, mais selon les spécialistes, la conquête en fut une autre. En se conquérant les unes les autres, les cités sumériennes accéléraient les échanges culturels. Par exemple, Eanatum de Lagash prit non seulement le contrôle de la majeure partie du territoire de Sumer vers 2500 avant notre ère mais également de régions de l’Élam, plus à l’est. Paradoxalement, cependant, la durabilité de la culture littéraire sumérienne et l’utilisation du système cunéiforme (qui se propagea ensuite au Proche-Orient et servit jusqu’à l’an 75 de notre ère), doit moins aux conquêtes de Sumer qu’au fait que la civilisation ait elle-même été conquise.

    Le plus important temple d’Uruk était dédié à sa principale déesse, Eanna. Centre économique et social de la cité, le temple est directement mentionné dans l’Épopée de Gilgamesh : « Approche de l’Eanna, demeure d’Ishtar, notre dame de l’amour et de la guerre, que nul roi, ni homme vivant, ne peut égaler. » 

    PHOTOGRAPHIE DE Balage Balogh, Scala, Florence

     

    LANGUE ET LITTÉRATURE

    En 2330 avant notre ère, Sargon d’Akkad (que certains spécialistes identifient comme le Nimrod de l’Ancien Testament) renversa Lugal-Zaggisi d’Uruk, principal souverain de Sumer à cette époque. En unifiant Akkad et Sumer dans le cadre de sa conquête de la Mésopotamie, Sargon forgea le premier empire multinational de l’Histoire.

    Lors du règne akkadien sur Sumer, l’akkadien était la langue de choix, mais elle s’écrivait en cunéiforme sumérien. Cela permit de préserver des textes littéraires sumériens. Nombre d’entre eux furent conservés sous la forme de copies réalisées plus tard sous la première dynastie de Babylone (2003-1595 av. J.-C.). Dans cette littérature sumérienne figurent des hymnes, des formules magiques, des textes portant sur la moralité et des mythes sur les dieux.

    Des poèmes primitifs en sumérien louant Gilgamesh, un roi d’Uruk, furent plus tard transformés en une épopée dont une version fut découverte à Ninive au 19e siècle. La quête d’immortalité de Gilgamesh entra dans le canon de la littérature classique et fut traduite dans de nombreuses langues à travers le globe. On considère qu’il s’agit d’un des plus anciens récits épiques du monde.

    Exercice de mathématiques écrit en cunéiforme sur une tablette en argile cuite datant de la fin du troisième millénaire avant notre ère environ.

    PHOTOGRAPHIE DE Prisma, Album

    Les riches témoignages écrits légués par les Sumériens conservent également les traces d’avancées médicales, et notamment des premières ordonnances de l’Histoire. Ces textes comprennent une description de la maladie et une suggestion de remède. Cataplasmes, potions et emplâtres apparaissent dans ces textes sumériens. Bien qu’il soit difficile de rapporter les maux dont il est question à toute maladie connue, ces témoignages suggèrent que la pharmacologie sumérienne était avancée. Ils révèlent une connaissance de méthodes sophistiquées pour se procurer des substances telles que de l’alcali en poudre, du nitrate de potassium et du salpêtre, qui servaient à la fabrication de remèdes.

    Tablette en cunéiforme sumérien créée vers 2400 av. J.-C. partiellement enfouie dans le sable sur laquelle furent inscrites des prescriptions médicales.

    PHOTOGRAPHIE DE Science Source, Album

     

    LA LOI ET L’ORDRE

    Après la chute de l’empire akkadien vers 2150 avant notre ère, Sumer fut submergée par un peuple venu des montagnes de l’est, les Gutis. Les rois sumériens reprirent le contrôle autour du 21e siècle avant notre ère, lors d’une période à laquelle les historiens se réfèrent comme étant la « troisième dynastie d’Ur ». Son fondateur, Ur-Namma, fut un éminent général, réformateur et innovateur. On lui doit la construction de la grande ziggurat d’Ur, mais sa plus grande réalisation fut peut-être la création du premier code juridique du monde.

    Cette tablette est une des copies du premier code juridique du monde, créé par le roi sumérien Ur-Namma entre 2100 et 2050 avant notre ère.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Ce texte, reconstitué en se fondant sur des copies fragmentaires découvertes au 20e siècle, débute par un récit concernant la façon dont Ur-Namma a créé la justice en réformant le système des poids et des mesures et en faisant en sorte que les orphelins et les veuves ne soient plus la proie des puissants. Le code d’Ur-Namma influença par la suite les systèmes juridiques de la Mésopotamie. L’exemple le plus connu est le Code de Hammourabi, du nom du roi babylonien qui régna trois siècles plus tard.

    Toutefois, le renouveau de la puissance sumérienne sous la troisième dynastie d’Ur fut de courte durée. Ur fut conquise par les Élamites, qui capturèrent son dernier roi vers 2004 avant notre ère. La destruction de la ville fut commémorée dans la « Lamentation sur la destruction d’Ur ». Des œuvres mésopotamiennes similaires furent également découvertes, et les spécialistes comparent ce texte aux Lamentations de la Bible.

    Dans cette œuvre émouvante reconstituée à partir de différentes tablettes cunéiformes, la déesse Ningal pleure pour sa cité :

    Des hommes morts, non des tessons de poteries, recouvraient les accès. Les murs étaient béants, les hautes portes, les routes, étaient ensevelies sous les morts.

    La mise à sac d’Ur par les Élamites mit effectivement fin au règne des Sumériens, et la langue sumérienne ne tarda pas à s’éteindre. Les redoutables cités de Sumer, ses textes qui changèrent le monde, restèrent enfouis en attendant d’émerger de nouveau de manière triomphale près de 4000 ans plus tard. Une civilisation perdue fut alors redécouverte, une culture qui avait semé les graines de la civilisation humaine elle-même.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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