Que sont devenus les samouraïs ?
Les samouraïs, classe importante de la société japonaise, défendirent le pays durant des siècles. Mais alors que le shogunat entrait dans une ère de stabilité, on eut de moins en moins besoin d’eux, forçant les guerriers à trouver une nouvelle vie.

Cette illustration du 19e siècle représente le samouraï légendaire, Honda Tadakatsu à dos de cheval après sa victoire à la bataille du mont Komaki en 1584. Tadakatsu était l’un des principaux collaborateurs de Tokugawa Ieyasu dans son combat pour le shogunat.
Les samouraïs, cette lignée bien connue de guerriers japonais, ont émergé durant l’époque de Heian, entre 794 et 1185, lorsque la montée de leur statut leur a permis de se mêler à la noblesse habitant la capitale d’alors, Heian-kyō (Kyoto). Les samouraïs ont par la suite combattu dans la guerre d'Ōnin, de 1467 à 1477, ainsi que pendant la période de troubles qui suivit. À partir de là, les bushis, comme on appelait les samouraïs alors, ont apposé leur marque sur l’histoire du Japon par leurs prouesses combattives exceptionnelles, devenant un emblème de la culture nippone.
L’âge d’or de l’histoire des samouraïs est souvent associé avec le shogunat de Tokugawa, que l’on connaît aussi comme l’époque d’Edo, de 1603 à 1868, un temps de paix, de prospérité, de croissance culturelle et de politiques isolationnistes. Il s’agit de l’une des époques de l’histoire japonaise parmi les plus étudiées et la période que les auteurs, réalisateurs et dessinateurs choisissent pour mettre en scène leurs samouraïs. Cependant, loin d’être le zénith de la culture samouraï, ces années ont marqué le début de la fin pour les guerriers, ou du moins pour la caste à laquelle ils appartenaient depuis des siècles.
S’ADAPTER À LA PAIX
Une fois le régime de Tokugawa établi après la conquête du château d’Osaka en 1615, le Japon entra dans une période de paix, seulement dérangée par quelques révoltes paysannes. La dernière insurrection majeure fut celle de la rébellion de Shimabara, de 1637 à 1638, qui avait débuté dans un village sur l’île de Kyushu, au sud-ouest de l’archipel. La taxation excessive et la conversion au christianisme par la persécution mirent le feu aux poudres. Amakusa Shiro, le leader de la révolte, était l’exemple parfait des paradoxes de cette nouvelle ère : un samouraï chrétien, capable d’associer le caractère belliqueux des bushis avec les idéaux de salvation transmis par les évangélistes jésuites arrivés au Japon au cours du 16e siècle. Cette révolte connut une fin brutale, réprimée par les troupes du gouvernement avec l’aide des canons apportés par les marchands hollandais présents dans l’archipel.

Construite au 16e siècle, cette forteresse était la principale place forte du clan Toyotomi, qui a résisté aux troupes de Tokugawa Ieyasu. La prise du château en 1615 a mené à l’unification du Japon sous le shogunat de Tokugawa.
La révolte écrasée, Iemitsu, troisième shogun Tokugawa, décida de fermer à toute influence étrangère les portes du Japon et imposa une politique de contrôle isolatrice draconienne, le sakoku. Les mesures prises par Iemitsu garantirent deux siècles de paix au sein du pays. Cependant, les samouraïs devinrent obsolètes. Des dizaines, voire des centaines de milliers de samouraïs, dont les ancêtres combattaient dans les guerres depuis des siècles se retrouvèrent soudainement à devoir survivre en dehors de l’armée.

Garde du 18e siècle de la poignée d’un katana japonais.
Même dans ce contexte, certains samouraïs continuaient de faire étalage de leurs prouesses à l’épée lors de duels et de spectacles. Le plus connu d’entre eux était sans aucun doute Miyamoto Musashi, qui vécut de 1584 à 1645. Les spécialistes sont divisés quant à savoir si, encore adolescent, il prit part à la bataille de Sekigahara en 1600, l’un des derniers conflits majeurs avant le shogunat de Tokugawa. Quoi qu’il en soit, Miyamoto était démuni, sans seigneur à servir, et se dévoua au développement de sa propre technique de combat, avec deux épées : le wakizahi (une épée courte) et le katana (une épée longue). Il fit la démonstration de ses talents au cours de près de soixante-dix duels. Il ne connut jamais la défaite et les affrontements se soldaient souvent par la mort de son adversaire. Avant sa mort, Miyamoto écrivit un traité d’arts martiaux, aujourd’hui encore très connu : Gorin No Sho, en français Le Livre des cinq anneaux.
DES ÉPÉISTES
Au milieu du 17e siècle, les duels ont été bannis et l’usage des épées fut réservé à l’auto-défense. Faces à cette restriction, les samouraïs s’en remirent aux provocations et aux insultes pour forcer leurs opposants à attaquer les premiers. Là seulement pouvait se justifier la défense à l’épée d’un samouraï. Nombreux furent ceux qui devinrent maîtres dans l’art du iaijutsu, le fait de dégainer son katana à la vitesse de l’éclair avant même que l’adversaire puisse attaquer. Cette pratique était dérivée de l’art martial du kenjutsu mais devint rapidement plus populaire. Les samouraïs créèrent de nombreux dojos, des écoles d’arts martiaux, au sein desquels s’est développé un style de combat esthétique.


Des rōnin, des samouraïs ambulants, sans maître, armés d’une lance, ou yari, et de daisho, une paire d’épées, une courte et une longue.
Le changement spectaculaire du statut social des samouraïs était observable par l’émergence des rōnin, le nom que l’on donnait aux samouraïs qui n’avaient aucun maître. En japonais, rōnin signifie « homme des vagues » et évoque une déambulation sans but aucun, un sens de ne connaître aucune attaque, comme des feuilles flottant à la surface de l’eau. Une étude romantique du guerrier japonais par excellence fit rapidement son apparition autour de la figure des rōnin. Ils étaient vus comme des dissidents aux multiples talents. Cet idéal était personnifié en la personne de Miyamoto Musashi. Il était cependant une exception. En réalité, les rōnin relevaient plus des vagabonds brandissant des épées et leur sens de la survie les poussait à endosser des rôles comme garde du corps, policier ou simple ouvrier.

Un daimyo, propriétaire terrestre féodal, accompagné de ses guerrier, prêt à se mettre en route pour Edo (l’actuelle ville de Tokyo) dans un norimono, un palanquin. La photographie a été prise en 1867, juste avant la Restauration meiji, qui mettrait un terme au shogunat féodal de Tokugawa et forcerait une occidentalisation de la société japonaise.
LA PROSPÉRITÉ D’EDO
Pendant ce temps, Edo (l’actuelle ville de Tokyo) semblait au paroxysme de sa forme. Des entreprises et des services apparaissaient chaque année, créant une cité riche et peuplée qui impressionnait le peu de visiteurs étrangers se rendant au Japon. Parmi eux, le physicien et naturaliste Engelbert Kaempfer déclara qu’Edo était « le centre du monde ». La prospérité de la cité était largement due à une loi qui voulait que les seigneurs féodaux habitent Edo six mois dans l’année, maintenant leur entière cour de samouraïs et d’autres servants là-bas.

Les rōnin affluaient également en masse à Edo. Certains y établirent des gangs organisés qui opéraient dans la périphérie de la ville, pratiquant l’extorsion des habitants ou dirigeant des cercles de prostitution. Au fil du temps, ces groupes acquirent des codes et des hiérarchies complexes, elles trouvaient leurs origines sur une version déformée du Bushido, le code samouraï. Cela pava le chemin pour ce qui deviendrait plus tard les yakuzas, la mafia japonaise, des familles que l’on pourrait comparer aux clans samouraïs. Les armes, tatouages et vêtements de ses membres distinguaient les yakuzas du commun des mortels et instiguaient la peur dans le cœur de ceux qui croisaient leur route. Un peu à la façon dont s’étaient démarqués les bushis entre eux, en portant les daisho (la paire traditionnelle d’épées qui comprenait le long katana et le court wakizashi) et en faisant montre de l’emblème de leur clan (kamon). Lorsque les membres des yakuzas commettaient des erreurs, ils amputaient symboliquement des bouts de leurs doigts, une imitation du hara-kiri, le suicide par éviscération.

Un yakuza, le terme pour désigner les gangsters, dépeint sur une illustration du 19e siècle, le corps couvert de tatouages.
UNE SITUATION ÉCONOMIQUE PRÉCAIRE
Les samouraïs qui étaient parvenus à rester au service d’un daimyo, un seigneur féodal, devaient l’accompagner durant la saison qu’il devait passer à la capitale. Une fois là-bas, ils percevaient une rémunération minimum en échange d’un travail d’intendance ou de surveillance sporadique sur le domaine de leur maître. Le code de leur classe les empêchait d’investir ou de s’engager dans une quelconque activité commerciale, et ce faisant, la situation économique de ces samouraïs était souvent précaire. Il n’était pas rare de les voir passer la journée à boire dans des tavernes ou d’engager des prostituées à Yoshiwara, le quartier des plaisirs d’Edo. Ils finissaient souvent endettés auprès des membres de la bourgeoisie marchande, en plein essor à Edo. Beaucoup de samouraïs d’anciennes lignées vendaient même leurs katanas pour payer le mizuage (la défloration) d’une maiko, une apprentie geisha, une cérémonie en vogue à cette époque. Mais tous ne tombèrent pas dans cette débauche.

Un samouraï (tout à droite) marche à travers le quartier des plaisirs d’Edo avec une maiko, une apprentie geisha, au bras. Gravure sur bois du 19e siècle, par Hishikawa Moronobu.
Certains devinrent de grands noms dans le monde des arts. L’exemple parfait pour illustrer cela était Matsuo Bashō, 1644-1694, l’un des plus grands compositeurs d’haikus de l’histoire du Japon. Il était le fils de Matsuo Yozaemon, qui appartenait à une ancienne famille de samouraïs. Jeune homme, Bashō commença par servir l’aîné du clan Todo mais son talent littéraire lui permit de prendre de la distance avec le champ de bataille. Dans le royaume de la peinture, Watanabe Kazan, 1793-1841, dont la famille était loyale au daimyo Tahara, combinait le style de peinture traditionnel japonais ukiyo-e avec le réalisme européen et les talents d’ombre (namban). L’artiste Kawanabe Kyōsai, 1831-1889, était presque aussi révolutionnaire dans sa technique et est aujourd’hui considéré comme l’un des pères du manga.
OFFICIELS ET BUREAUCRATES
Parmi les samouraïs, on en retrouve qui accédèrent à des positions de pouvoir au sein des cours des shoguns de Tokugawa, pas en tant que guerriers, mais endossant le rôle de ministres et de bureaucrates. Ce fut le cas de Kira Yoshinaka, qui vécut de 1641 à 1703 et devint un kōke, un maître de cérémonies qui organisait des événements importants. Le daimyo Asano Naganori agressa Kira durant une dispute et fut ensuite condamné à mort par seppuku, aussi connu sous le nom de hara-kiri, en guise de punition. En découla la tristement célèbre vendetta des quarante-sept samouraïs. Après le suicide d’Asano, les samouraïs qui étaient à son service se convertirent en rōnin et patientèrent plus d’une année jusqu’au meilleur moment pour assassiner Kira et ainsi venger leur maître. Ils furent par la suite condamnés à se donner le hara-kiri.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le triomphe du samouraï le plus important de l’histoire du Japon, le shogun Tokugawa Ieyasu, marqua le début de la fin de sa propre caste. Le code bushi a perdu en grande partie de sa signification première tandis qu’émergeait une image idéalisée des samouraïs, qui décrivait un phénomène qui n’avait jamais existé. Au cours du 19e siècle, alors que le Japon voyait son intégrité menacée par les Anglais, les Russes et les Américains, une tentative de raviver l’ancienne idéologie puriste du guerrier eut lieu, pour la mêler à l’un des nationalismes au service de l’empereur. Aujourd’hui, il reste un semblant de l’essence des samouraïs au Japon, que ce soit dans la tradition militaire, l’activité des yakuzas ou profondément ancrée dans la sensibilité artistique et disciplinaire.
LA NOSTALGIE DES ANCIENNES VALEURS SAMOURAÏS

Portrait d’un samouraï par Felice Beato, 1864.
Le Hagakure est une compilation du 18e siècle des réflexions de Yamamoto Tsunetomo, un officiel samouraï haut-gradé. Cette collection, plus tard traduite en français, est une sorte de guide et de code éthique des samouraïs à une époque où les valeurs guerrières ne semblaient plus être aussi pertinentes. Yamamoto avait poursuivi une carrière d’érudit, de guerrier et de libraire. Il devint un prêtre bouddhiste et se retira dans les bois où il écrivit ses pensées qui furent plus tard compilées dans cette œuvre. En hommage à son environnement boisé, Hagakure est tantôt traduit par « à l’ombre des feuilles » ou bien « les feuilles tombées ». Cet ouvrage renvoie à une époque dont les contemporains de Yamamoto étaient nostalgiques, un temps où les samouraïs étaient de véritables guerriers prêts à sacrifier leur vie à n’importe quel moment. Il écrit longuement sur la façon d’aborder la mort, de montrer sa dévotion à son maître et rester calme dans l’adversité. Son œuvre originale se veut également critique des jeunes samouraïs qui ont délaissé les usages anciens. L’emphase est mise sur la dévotion et la bravoure, ce qui suit les idéaux des premiers bushis, bien loin des samouraïs modernes dont le rôle ne demandait pas de discipline.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
